Tribune signée Grégoire Bleu, président de l’AFAUP (Association française d’Agriculture urbaine professionnelle) et co-fondateur d’UpCycle, entreprise spécialisée dans la valorisation des biodéchets en entreprise
La mise en lumière de nouvelles formes d’agriculture (micromaraîchage, agriculture urbaine, indoor farming) est l’occasion rêvée de rejouer la querelle des nouveaux contre les anciens, des modernes contre les plus traditionnels. Certains médias s’emparent du sujet, en donnant parfois des accents polémiques aux prises de paroles des différents acteurs. Alors lançons le débat sur les formes d’agriculture urbaine.
Et tout d’abord, intéressons-nous aux entrepreneurs. Urbains, souvent Bac+5, ils ont grandi dans la culture digitale, la bouffe industrielle et désirent remettre du bon sens dans notre alimentation ainsi que de la nature en ville. On compte une centaine d’entreprises de ce type en France, avec des promesses en rupture avec l’agriculture traditionnelle issue de la PAC (Politique agricole commune de l’Union européenne). Ces promesses, les voici : « produisez 7 tonnes de fraises par an dans un container », « transformez le marc de café en pleurotes », « combinez élevage de poissons et culture de fruits et légumes », « payez-vous un salaire en cultivant moins d’un hectare en maraîchage », « faites de l’hydroponie haut de gamme », ou encore « transformez un toit de laverie en serre high-tech ». Ils sont perçus avec un mélange de fascination et de scepticisme.
Maintenant, regardons du côté du mouvement associatif, qui n’a pas attendu ces nouveaux entrepreneurs pour végétaliser la ville. Animation de jardins ouvriers, projets sociaux ambitieux, AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), composteurs, cultures en libre-service… Les associations œuvrent depuis des dizaines d’années pour réhabiliter et valoriser l’agriculture en ville. Elles observent avec joie, mais non sans inquiétude, cette déferlante technologique, marketing et commerciale. Elles veillent à ce que les valeurs de base, celles qui les mobilisent – partage, respect de la nature, pédagogie, humilité, connexion au vivant – ne soient pas instrumentalisées par des entreprises. Ce sont aussi souvent les premières à tester les nouvelles idées, à bénéficier des progrès techniques réalisés, à s’appuyer sur des savoir-faire professionnels pour se simplifier la vie et développer leur projet.
Enfin en toile de fond, nous avons le mouvement agricole, notamment les maraîchers périurbains. Ceux qui travaillent plus de 50 heures par semaine pour un salaire en moyenne inférieur au SMIC. Ceux qui, dans les faits, remplissent nos marchés, nos AMAP, nos « Ruches Qui Dit Oui ! » de produits de qualité. Ils peuvent être très surpris d’entendre de la part d’entrepreneurs que « cultiver, c’est simple comme bonjour », ou encore qu’on ne peut plus trouver de produits de qualité en ville et qu’un parking est un endroit idéal pour la culture de fraises, de tomates ou de champignons. Mal compris du grand public, ils s’étonnent qu’on puisse s’extasier sur du lombricompost tout en valorisant mal le travail des « vrais » agriculteurs.
Des mouvements profondément complémentaires
L’agriculture urbaine se situe pourtant directement dans cette filiation. Celle des maraîchers du XIXe siècle de la Plaine des Vertus (Seine-Saint-Denis) et de ces nombreuses zones devenues urbaines qui étaient capables de produire toute l’année des salades de qualité en récupérant les déchets de la ville, et même d’exporter ce savoir-faire jusqu’en Angleterre. Les petits maraîchers sont également en pleine mutation sous l’influence de nouvelles pratiques agricoles – agro-écologie, permaculture, agriculture biologique – et de l’essor de la vente directe et des magasins militants.
Tout ce beau monde aurait de bonnes raisons de se tirer dans les pattes, se donnant en spectacle face à des consommateurs qui en perdraient leur latin, et peut être un peu leur élan. Mon intime conviction est que l’ensemble de ces mouvements sont profondément complémentaires. Les villes traversent des crises écologique, sociale, urbanistique, nutritionnelles ; elles débordent de déchets et réclament du vert et du sens. L’agriculture urbaine est un outil formidablement efficace de lutte contre ces crises. Elle apporte de la résilience, du bon sens, de la stabilité et de la biodiversité en ville. Et puis la frontière entre tous ces mondes est-elle vraiment étanche ? L’agriculture urbaine ne pourrait elle pas servir de point d’accès à l’agriculture ? Prenons l’exemple d’UpCycle.
Nous développons notre projet au sein d’une serre horticole des Yvelines entourée de maraîchers et de céréaliers, après avoir exploité des caves à Rungis (Val-de-Marne) et des containers. Nous travaillons avec de nombreuses associations, soit en tant que client (pour des associations d’insertion par le travail notamment, nous avons l’agrément solidaire ESUS), soit comme fournisseur. Nous sommes en plein dans l’agriculture urbaine en récupérant toutes les semaines 5 à 10 tonnes de marc de café des machines à café et d’entreprises d’Île-de-France, en livrant Rungis tous les jours, en fournissant du substrat et du conseil à tous ceux qui cultivent sur les toits, dans les caves ou dans leur cuisine. On pourrait dire de même d’un maraîcher qui a son AMAP au milieu d’une banlieue et qui bénéfice de l’aide de bénévoles tout en faisant de la sensibilisation.
En somme, la petite agriculture, quelle que soit son origine, est de plus en plus hybride et diversifiée, entre la production alimentaire et la vente de services. La permaculture, qui inspire aussi bien de nombreux projets agricoles, de nombreuses associations et l’agriculture urbaine (on parle souvent de permaculture urbaine pour des projets comme UpCycle), a pour valeur cardinale l’unité. Observer un système dans sa globalité, dans sa complémentarité, crée beaucoup plus de ponts que cela ne dresse de barrières. Chiche d’essayer de voir ce qui nous rassemble ?
Infos pratiques : Dans le cadre des Rencontres agricoles du Grand Paris, organisées jusqu’en juillet par Enlarge your Paris en partenariat avec la Métropole du Grand Paris, conférence « L’agriculture en ville bouscule-t-elle le monde agricole ? » mercredi 27 février de 14h30 à 17h au Salon de l’agriculture, 1 place de la Porte de Versailles, Paris (15e). Accès libre sur inscription sous réserve d’être muni d’un billet pour le Salon de l’agriculture. Infos et inscription sur Eventbrite
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