
Le temps d'une soirée, Enlarge your Paris a accompagné les bénévoles de l'association Espaces. Au programme : le comptage des crapauds dans le bois de Meudon où des voies sont fermées à la circulation pour permettre leur migration. Cofondateur de l'association, Yann Fradin nous a servi de guide.
Nous sommes au cœur de la forêt de Meudon (Hauts-de-Seine), à proximité de l’étang de Villebon, la nuit est tombée. Que vont y faire les bénévoles de l’association Espaces ?
Yann Fradin : Depuis 25 ans, les bénévoles de l’association Espaces comptent les crapauds et autres batraciens, comme les grenouilles, lors de leur migration annuelle. On commence à sortir du froid, et les crapauds quittent la forêt où ils ont passé l’hiver pour retourner dans leur étang de naissance. Ils parcourent 1 à 3 km à travers bois. Les femelles pondent, les mâles fertilisent les œufs. C’est la saison des amours. On va observer les amplexus, c’est-à-dire les crapauds mâles sur le dos des femelles, pour les compter.
Pourquoi faites-vous ce comptage dans le bois de Meudon ?
À Meudon a lieu l’une des plus grandes migrations de batraciens en milieu urbain d’Europe. On en trouve par centaines ! C’est tellement incroyable que Jean Rostand, le grand biologiste que l’on appelait « l’homme aux grenouilles », a fait de nombreuses études dans la forêt voisine de Fausses-Reposes et dans les étangs de Ville-d’Avray, après la Seconde Guerre mondiale, pour étudier leur génétique et leur comportement.
Pourquoi y a-t-il autant de batraciens ici ?
La forêt recouvre une grosse butte calcaire avec une couche d’argile qui retient l’eau. Il y a donc beaucoup de sources, de rivières et de ruisseaux dans cette forêt vallonnée. L’argile empêche l’eau de s’infiltrer trop profondément, créant ainsi des zones d’habitats idéales pour les batraciens.
Le bois de Meudon est complètement entouré par la ville, et c’est aussi l’une des forêts les plus fréquentées du Grand Paris. Les batraciens ne sont-ils pas en danger ici ?
C’est pourquoi nous avons réussi à faire fermer la route forestière pour éviter que les crapauds ne se fassent écraser.

Comment avez-vous obtenu la fermeture de la route ?
Au départ, la route des Étangs était ouverte à la circulation et les crapauds s’y faisaient écraser. Avec l’aide de la ville de Meudon et de l’Office national des forêts (ONF), nous avons pu faire fermer la route pendant la migration, qui dure un mois, de la fin février à la fin mars. Ensuite, les crapauds retournent en forêt, où ils sont en sécurité. La fermeture de la route a été progressive : d’abord pendant les vacances scolaires de février, puis pendant toute la période de migration et finalement toute l’année. Cela correspond aussi à la volonté de l’ONF de faire sortir les voitures des forêts. Cette fermeture était un bon moyen de protéger les crapauds et de réduire la circulation automobile en forêt. La fermeture de la route a également permis de préserver la biodiversité et de réduire les risques d’accidents liés aux crapauds écrasés.
On n’imagine pas les crapauds vivre en forêt. On les imagine plutôt au bord des étangs…
Ils vivent dans des recoins des bois et des jardins limitrophes, et retournent en forêt après la saison des amours. Les petits crapauds, après avoir été têtards, partent tous en même temps vers la forêt, souvent par dizaines de milliers. Ils grandissent en forêt et reviennent trois ans plus tard à leur étang de naissance, une fois adultes, pour se reproduire. C’est une migration étonnante, très spectaculaire. Et émouvante. On apprend à les aimer, et même à les trouver beaux…
Comment comptez-vous les crapauds alors qu’il y en a absolument partout ?
Nous les repérons et les comptons un par un, jusqu’à 100, 200, 300, parfois 600 par soirée. Cela nous permet de comprendre si la population augmente, stagne ou baisse, selon la saison, la température… Nous notons également le nombre de mâles et de femelles, ainsi que d’autres paramètres environnementaux tels que la température. Notre hypothèse est que la population croît, surtout depuis que la route est fermée. Les crapauds sont en meilleure santé et leur nombre augmente. Les comptages réguliers nous permettent de suivre cette évolution sur le long terme. L’association Espaces joue un rôle crucial dans la protection des batraciens en organisant ces comptages et en sensibilisant le public à l’importance de préserver ces espèces. Grâce à leurs efforts, la forêt de Meudon est devenue un refuge sûr pour les crapauds et les grenouilles pendant leur période de migration. Et notre démarche, en lien avec l’ONF et les communes alentour, est devenue un exemple inspirant de préservation de la nature en milieu urbain.
Y a-t-il des phénomènes de migrations de cette ampleur ailleurs dans le Grand Paris ?
Oui, à l’étang d’Ursine, toujours en forêt de Meudon, à la limite de Vélizy et Chaville, qui avait lancé cette initiative quelques années plus tôt. En forêt domaniale de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), la route est également coupée depuis cette année pendant la migration. Cela devient courant, car les gens sont sensibilisés à la biodiversité et à la préservation des espèces. La fermeture des routes pendant la migration des crapauds est une mesure de protection qui se répand dans plusieurs régions.
Plus d’infos sur association-espaces.org

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26 mars 2025 - Meudon