Société
|

En Île-de-France, la voiture autrement… et pas tout le temps

La place de l'Etoile à Paris / © Peter Alfred Hess (Creative commons - Flickr)
La place de l’Etoile à Paris / © Peter Alfred Hess (Creative commons – Flickr)

Face à un réseau routier saturé, le temps est venu de fouiller les alternatives à l'usage solo ou systématique de la voiture quand d’autres solutions existent. Ce qu'explore Frédérique Prédali, urbaniste transport à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme.

Frédérique Prédali, urbaniste transport à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme

Depuis l’émergence du numérique, la manière dont chacun pense ses déplacements a changé. En préparant son trajet et en cherchant le meilleur itinéraire, on peut s’interroger sur le choix modal le plus performant, le plus confortable ou le moins coûteux. L’offre de mobilité a, dans le même temps, évolué, avec l’émergence d’opérateurs privés qui proposent des services permettant des usages partagés du véhicule/trajet et sans nécessité de possession individuelle. C’est le cas de l’autopartage, avec des offres adaptées au public urbain pour un recours ponctuel à la voiture, du covoiturage, à inciter pour les trajets de courte distance et récurrents comme le trajet domicile-travail, et des VTC, qui concurrencent et complètent l’offre des taxis avec une offre massive, flexible, accessible, adaptée au public dans un périmètre vaste mais sans régulation véritable.

Étant donné qu’il est difficile de changer les habitudes de déplacements de citoyens pris dans des emplois du temps de plus en plus complexes, les collectivités cherchent des outils d’incitation aux bonnes pratiques : péage positif, bonus, subvention, compte mobilité… Le péage inversé, dit « positif », a été initié aux Pays-Bas dans l’optique de lisser les pointes de trafic routier. Il s’agit de proposer aux conducteurs «navettant» habituellement aux heures de pointe de différer ou d’annuler leurs déplacements, moyennant une rétribution sur les deniers publics. À Rotterdam, les automobilistes gagnent 3 euros par trajet domicile-travail reporté ou évité (au maximum 120 €/mois). Avec un total de 20 000 testeurs, la baisse de la congestion observée depuis les cinq ans de mise en oeuvre atteint 5 % du trafic en période de pointe.

Cette mesure a été testée durant l’été 2017 à Boulogne-Billancourt, pour anticiper les perturbations de trafic liées aux travaux de la future gare Pont de Sèvres – Île Seguin qui sera desservie par la future ligne 15 du Grand Paris Express. Ce programme, baptisé « chasseur de bouchons », est porté et mis en oeuvre par Grand Paris Seine Ouest (GPSO), la ville de Boulogne-Billancourt, la Société du Grand Paris (SGP) et Egis, avec le concours des employeurs volontaires. L’acceptation des employeurs est capitale pour la réussite de l’expérimentation, impliquant plus de flexibilité sur les horaires, d’envisager le télétravail et d’inciter au report modal. 33 salariés ont ainsi eu durant cinq semaines la consigne d’éviter de circuler sur une portion ciblée de la RD1 de 8 h 30 à 9h30 et de 18h à 19h30 en jours ouvrés. Le boîtier traceur intelligent placé dans les véhicules a révélé que la majorité des participants ont eu des comportements éco-responsables et ont été récompensés à la fin de cette expérimentation.

Combiner incitations et sanctions

Pour être efficaces, les politiques de mobilité doivent toutefois veiller à combiner incitations et sanctions. Plusieurs niveaux de pénalités sont possibles, de la possession automobile avec l’instauration de taxe (l’ex-vignette) à son usage, avec le péage urbain pour les coeurs historiques, ou encore au stationnement. Londres, qui connaît un fort niveau de congestion sur son réseau routier, a déjà mis en place l’ensemble de ces outils et continue de les affûter. Par exemple, dans l’Outer London, où l’usage automobile et la motorisation continuent de croître sans relâche, le Borough de Waltham Forest délivre des permis de stationnement résidentiel plus onéreux au-delà d’une ou deux voitures par foyer.

Autre exemple en Angleterre, la ville de Nottingham a initié en 2011 l’instauration d’une taxe sur les emplacements de stationnement offerts par les employeurs (Workplace Parking Levy) afin d’encourager les employeurs à mieux gérer le stationnement disponible. Le phénomène de congestion est largement imputable aux déplacements domicile-travail, et son coût annuel est évalué à 160 millions de livres à Nottingham. La moitié du coût de congestion incomberait au final aux entreprises, ce qui justifie la mesure du point de vue de la collectivité. La taxe est demandée chaque année à partir de 12 places offertes, soit 288 £/place en 2012. Son tarif a régulièrement augmenté, pour atteindre 387£ en 2017/2018 (plus de 450 €), et continuera de suivre le niveau de l’inflation. 25 000 places sont taxées sur les 42 000 places déclarées dans 2 900 sites professionnels. Les recettes fiscales de 11 millions d’euros par an sont dédiées au financement des transports publics (en dehors des 5 % liés aux frais de fonctionnement).

Ces recettes ont permis d’asseoir les capacités d’emprunt de la ville auprès de l’État pour développer un réseau de tramway et de mettre en oeuvre sa politique de mobilité (achat de bus électriques, modernisation du pôle gare, aménagement de stations de bus, smartcard, informations voyageurs en temps réel). Le réseau routier a gagné en fluidité en heures de pointe puisque les salariés, visiteurs et étudiants sont incités au report modal par leur employeur. Les employeurs sont, quant à eux, incités à repenser leurs espaces réservés au stationnement et peuvent bénéficier du programme de subvention pour des aménagements à destination des cyclistes. Bien que controversée à son lancement, cette mesure a permis à la ville de renforcer son attractivité, avec l’accueil de nouvelles entreprises et la création de 2 000 emplois sur la période. Nottingham a démontré qu’il était possible de conjuguer essor économique, baisse de la congestion et des émissions et meilleure qualité de vie. En outre, cette mesure est plus facile à instaurer qu’un péage urbain et moins coûteuse en frais de fonctionnement. Oxford et Cambridge devraient suivre.

Selon le contexte, ces différents outils peuvent donner lieu à des modulations horaires et/ou être adaptés en fonction des types de véhicules (motorisation, particuliers ou professionnels) ou d’usage, ou encore selon le taux de remplissage. Limiter les usages automobiles dans les centres-villes permet d’améliorer le fonctionnement urbain, sans toutefois résorber toute la congestion. Les centres urbains connaissent une hausse des livraisons liées au e-commerce, en plus du boom des voitures de transport avec chauffeur (VTC) qui participent à l’encombrement de la chaussée, alors que les artisans et commerçants rencontrent de telles difficultés qu’ils peuvent être dissuadés d’y rester. Pour une politique de mobilité bien ciblée, il faudrait désormais tendre vers une connaissance plus fine de l’usage du réseau routier alors que ses usages se sont diversifiés. Les nouvelles technologies devraient pouvoir aider à développer cette vision au cours de la prochaine décennie.

Cette analyse est tirée de l’ouvrage «La vie mobile : se déplacer demain en Île-de-France» (Ed.IAU). 18,50€. Plus d’infos sur iau-idf.fr

A lire : Le futur des transports sera léger, lent et convivial