Avec ses séries photo « Tous les jours Dimanche » ou « Métropolis », Manolo Mylonas, qui arpente Paris et sa banlieue, revisite des paysages urbains que l’on croyait connaître. Lauréat 2014 du Prix de la Presse, son regard singulier réenchante les territoires sur lesquels il se pose.
« Depuis 10 ans, je pérégrine, je photographie sans mise en scène, en sortant du seul carcan documentaire, et en choisissant des situations et des paysages qui invitent à d’autres imaginaires au milieu de l’espace des possibles (…) La banlieue et la Seine-Saint-Denis ont été un laboratoire pour les architectes, dont l’héritage forme une mosaïque urbaine inégale et très contrastée, Paris installant en périphérie ce qu’il ne voulait pas voir, créant un chaos “anarchitecturale”. Au milieu, des zones incarnant le fantasme pavillonnaire et des grands ensembles rétro-futuristes pour loger à grande échelle ».
« La Seine-Saint-Denis, le « 93 », c’est une identité forte, pleine de fierté, d’audace et d’insolence, un département dont la population est la plus jeune de France. Le nouveau Grand Paris est certes une belle marque sans doute lisible a l’étranger mais cette ambition de faire de Paris une « ville-monde » ne doit pas être conçue uniquement par le « centre », car cette approche occulterait la réalité des inégalités, la complexité et le contraste entre l’Est et l’Ouest de la capitale. L’enjeu, c’est ce qu’on peut perdre ou gagner. Il s’agit ici de ne pas perdre la réalité et de gagner un nouveau regard ».
« La banlieue n’a pas besoin d’une autre image mais d’autres regards »
« La banlieue est aujourd’hui l’atout du Grand Paris. La Seine-Saint-Denis est devenue attractive pour tous ceux qui cherchent plus d’espace : entreprises, artisans, artistes et galeries s’y sont installés. C’est aussi devenu le lieu des soirées branchées des Parisiens et Parisiennes. Les organisateurs s’emparent des terrains vagues et des entrepôts désaffectés à la manière d’un « Little Berlin » ou de Brooklyn ».
« C’est en se nourrissant de nouvelles représentations de vie que le Grand Paris va exister. Loin des stéréotypes véhiculés par les médias à la recherche de sensationnel qui la caricaturent. La banlieue n’a pas besoin d’une autre image mais d’autres regards. En Seine-Saint-Denis, il y a des moyens alloués au développement d’une autre sensibilité (avec l’approche photographique par exemple) pour les lycéens via les résidences In situ, ou les parcours CAC au collège. En résidence à la Capsule au Bourget, je participe à une cartographie de l’imaginaire aux cotés de lycéens. L’occasion de transmettre l’intention photo, la lecture des images et comprendre les rêves d’une jeunesse qui capte à tout-va son quotidien via le smartphone et s’en sert afin de créer du lien ».
« Les Jeux olympiques de 2024 sont l’occasion de panser certaines cicatrices urbaines »
« Le Grand Paris, c’est l’opportunité de délocaliser les grands équipements publics en les orientant vers les quartiers populaires, mais cette volonté est encore timide. Les Archives nationales sont désormais à Pierrefitte-sur-Seine, le Centre national de la Danse s’est installé à Pantin, la future Villa Médicis est en cours de création à Montfermeil mais la Philharmonie n’a pas osé franchir le périphérique. Le Grand Paris, c’est aussi gagner en mobilité afin de désenclaver les villes oubliées et souffrant d’inégalités. C’est l’occasion unique de repenser la ville d’une manière plus utopiste et humaniste, en renforçant la participation des citoyens aux décisions politiques. Pendant des années, on a installé des centres commerciaux qui font office d’absurdes centres-villes, une politique acquise au « tout voiture » qui a défiguré les paysages. Il est étonnant par ailleurs d’observer le décalage criant entre la manière dont les habitants vivent l’espace public et la façon dont il a été imaginé par des urbanistes éloignés de la réalité qui ont multiplié les lieux de transits auxquels j’essaie aujourd’hui de redonner une âme à travers mon travail (…) Le projet des Jeux olympiques de 2024 est l’occasion de panser certaines cicatrices urbaines et de pérenniser les équipements dont l’ambition affichée est d’être à terme à la disposition de tous ».
« Le revers, c’est le Monopoly du Grand Paris. Ça spécule, les enjeux semblent aliénants, les élus auront-ils les moyens de garantir l’ équilibre social et environnemental face aux promoteurs ?Abritées dans des friches, les associations qui mènent des projets à la fois créatifs et innovants, rendant l’environnement attractif, risquent d’être délogées sans espoir de lendemain. »
Les reportages de Manolo Mylonas sont à retrouver sur son site manolomylonas.fr
A lire et à voir : Un oeil sur la banlieue avec le photographe Rémy Soubanère
13 mars 2018