Société
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Voyage en Sex-Saint-Denis

En Seine-Saint-Denis, il y a 1 530 000 habitants, 293 boulangeries, 446 pharmacies, 365 instituts de beauté et il y avait, jusqu'à ce qu'il ferme tout récemment, 1 sex shop. Il va sans dire que ce sont les portes de ce dernier que nous avions choisi de pousser.

31/07/15 : Depuis la parution de ce reportage, Playsir, le seul et unique sex shop du 93 a fermé boutique. On espère que ce n’est pas lié…

Dans le 93 on a accès à tout, ou presque. Manquait juste un sex shop. Une anomalie qu’Alice a choisi de combler. A 25 ans, elle avait envie d’avoir son propre business. Elle a arrêté ses études et monté sa boutique il y a tout juste un an à Aulnay-sous-Bois. En face du parking de la gare, un discret panneau indique où trouver Playsir.

Lové dans une cour, on y entre par une porte de pavillon, qui s’ouvre sur un vaste espace lumineux. « De ce côté, il y a la lingerie, là les livres, ici les sextoys, indique Alice. Les produits de beauté c’est par là. Et derrière, j’ai des DVD. En fait c’est entre le sex shop et le love shop».  Hummm… Mais c’est quoi la différence entre les deux ? « Dans les love shops il n’y a pas de godes réalistes, couleurs chair et avec des veines. Il n’y a pas de DVD ou de lingerie non plus. » 

Des conseils de pro

La clientèle vient pour l’essentiel du département et est plutôt contente de ne plus avoir à se rendre à Paris. Un couple d’une trentaine d’années sonne. « On veut faire un cadeau pour une amie », explique mademoiselle. Alice les conseille : « Si elle a un copain, vous pouvez lui offrir un anneau vibrant. Vous avez aussi des coffrets de jeu ». Alice parle franchement, utilise des mots crus mais jamais vulgaires. Une vraie pro. « Je n’ai rien appris de spécial pour parler de sexualité.  J’en parle assez naturellement avec mes amis. Il y a encore trop de tabous autour du sujet. On a l’impression que c’est banalisé mais pas du tout. »

 

Playsir © Lucinda Terreyre
Playsir © Lucinda Terreyre

 

Mais reprenons l’histoire depuis le début. Alice est née dans le 93 et habite depuis toujours à Aulnay-sous-Bois. Elle a une sœur qui est partie dans la com’ et ses parents sont profs. Alors, quand il a fallu choisir des études, elle a d’abord pensé à être prof. Une licence d’espagnol plus tard, elle se dit que prof c’est pas mal mais que ça ne lui correspond pas. Alors elle décide de devenir CPE. L’année où elle passe les concours à l’IUFM, il y a 250 postes pour 4 500 candidatures. Non retenue, elle persévère et parvient à ses fins, mais se dit finalement qu’elle n’a pas vraiment envie de ça.

«  Deux choses qui fonctionnent : la mort et le sexe »

 

Elle prend alors le temps de la réflexion. « J’avais envie d’être mon propre patron, avoir mon business. Mais je ne me voyais pas vendre des portes. » Elle en parle avec ses parents et un soir, son père lui dit : « Ecoute ma fille, il y a deux choses qui fonctionnent : la mort et le sexe ». Et l’aventure d’Alice commence comme ça. Elle crée d’abord des coffrets d’initiation : un livret, des accessoires. Ses clients sont des hôtels, des love shops. Elle veut dédramatiser le sexe, le rendre accessible, pédagogique.

Puis elle ouvre un site de vente en ligne et enfin, « SA » boutique. « En fait les gens ont besoin de parler. Je fais du social. Même s’il y a internet, ils viennent en boutique », constate-t-elle, étonnée. Mais pourquoi le sexe ? « Je crois que c’est par provoc’ et c’est pour libérer la parole… Quand je travaillais en lycée, les langues étaient tellement nouées. Et même dans ma clientèle, il y a des adultes qui n’osent pas en parler. » Pas de doute. Les sex shops devraient être considérés comme des services publics.