
Cela partait pourtant d'une bonne intention : faire tomber les idées reçues sur la banlieue en organisant une expo au musée de la Porte Dorée à Paris. Alors que "Banlieues chéries" débute ce 11 avril, Renaud Charles, rédacteur en chef et co-fondateur d'Enlarge your Paris, regrette une vision encore trop parisiano-centrée qui hélas n'évite pas les clichés.
Renaud Charles, rédacteur en chef et co-fondateur d’Enlarge your Paris
Cette fois, j’y ai vraiment cru. Pour une fois, la banlieue allait montrer un autre visage d’elle-même dans Paris, à une distance toutefois raisonnable du périph puisqu’elle est l’invitée d’honneur jusqu’en août du Palais de la Porte Dorée (12e), en lisière du bois de Vincennes. À lire la promesse, « Banlieues chéries, l’expo qui recadre les clichés », on allait en finir avec l’approche misérabiliste (et, ça va avec, souvent condescendante) de l’outre-périphérique vu depuis le petit Paris.
Las… les clichés ont la vie dure (comme, semble-t-il, la vie en banlieue). Dès l’entame, ces fameux clichés que l’on croyait définitivement enterrés renaissent aussi sec. Sur les murs, des portraits d’habitants sur fond d’immeubles typiques des grands ensembles. Autrement dit, l’imaginaire commun que l’on associe habituellement à la banlieue. Pour le vérifier, il suffit de taper « banlieue » dans Google images pour voir s’afficher instantanément des images à l’infini de grands ensembles qui sont pour la banlieue ce qu’est la tour Eiffel pour Paris : un symbole.
« Même dans une exposition qui prétend « recadrer les clichés », les grands ensembles restent au premier plan de l’imaginaire de la banlieue »
Alors bien sûr il ne faut pas attendre des symboles autre chose qu’une vision partielle et partiale. Mais lorsque l’objectif est de déconstruire les idées reçues et d’ouvrir les imaginaires, il convient de s’interroger sur ceux que l’on place en figure de proue. Car non, les 10 millions de banlieusards qui peuplent l’Île-de-France (j’oubliais de préciser que l’exposition portait essentiellement sur la banlieue parisienne, tant pis pour les autres) ne vivent pas tous en HLM. Dix millions, pour mémoire, c’est autant d’habitants que la Grèce ou le Portugal et presque autant que la Belgique. Pourtant, quand on pense au Plat Pays, ce n’est pas la vision de Molenbeek, cette ville en périphérie de Bruxelles, qui nous vient en premier.
Même dans une exposition qui prétend « recadrer les clichés », les grands ensembles restent au premier plan de l’imaginaire de la banlieue. Ils ont même tendance à saturer le paysage puisqu’après les portraits d’habitants sur fond de tours, c’est Jean Gabin qui fait son apparition à Sarcelles (Val-d’Oise) dans Mélodie en sous-sol avec tout autour de lui… des tours et des barres ! L’expo a tout juste commencé que déjà j’ai l’impression qu’on me joue un mauvais tour. Je me dis que celle que l’on appelle la Zone, que Zola dépeint comme « sinistre et boueuse » dans son texte La Banlieue et qui va se peupler de bidonvilles à partir du XIXe, ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. Pari(s) gagné ! La voici dès la deuxième salle, après une première salle consacrée aux « banlieues douces-amères » (guère plus réjouissant). À croire que, si les garçons naissent dans les choux et les filles dans les roses, les banlieusards, eux, naissent dans les bidonvilles.
« La banlieue abrite quelque 800 lieux de diffusion du spectacle vivant, contre 400 à Paris »
Viennent ensuite des maquettes des grands ensembles, l’évocation des violences urbaines (où, c’est heureux saluons-le, l’expression « émeutes de banlieue » est remplacée par « révoltes ») et enfin une dernière partie consacrée à l’art et à la culture. Enfin quelque chose de plus léger et de plus joyeux qui permet une autre approche de ces villes (même si là aussi les clichés ne sont pas loin) !
Qui sait – je ne l’ai vu nulle part dans l’exposition – que la banlieue abrite quelque 800 lieux de diffusion du spectacle vivant (contre 400 à Paris) et environ 130 festivals (90 pour l’intra-muros) ? Qui sait qu’après Paris, la Seine-Saint-Denis (qui s’y connaît en clichés) est la scène artistique la plus bouillonnante d’Île-de-France, et l’une des plus dynamique de l’Hexagone ? Qui se souvient qu’un collectif a mené le projet Banlieues capitales pour tenter d’obtenir (sans succès hélas) le titre de Capitale européenne de la Culture 2028 ? Qui sait qu’en banlieue se trouvent quatre des cinq sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco en Île-de-France ? Enfin qui sait qu’on peut s’y promener dans la troisième plus grande forêt de France (la forêt de Fontainebleau) et qu’elle est recouverte à 75 % de terres agricoles et d’espaces boisés (une réalité totalement occultée dans l’expo) ? Eh bien… ceux qui lisent Enlarge your Paris ! Pas étonnant d’ailleurs que le projet de créer un média indépendant qui traite autrement de la banlieue, à rebours des clichés véhiculés habituellement dans la presse, soit né… en banlieue. Car, pour en adopter une autre vision et ne pas en faire un décor servant à raconter sans cesse la même histoire, il fallait pouvoir s’extraire de son imagerie préfabriquée. Et oser en montrer d’autres réalités.
« Tant que l’histoire s’écrira depuis Paris, la banlieue autant que la « province » continueront d’être les seconds rôles du récit national »
Pour être pris au sérieux lorsqu’on parle de banlieue et paraître crédible, il est fortement recommandé de faire le récit des quartiers populaires et de dresser l’état des lieux de ce qui ne va pas et parfois des réussites qui y poussent. En plus d’être condescendante, cette vision écrase une quantité d’autres réalités. Précisément comme le montre cette exposition, conforme à l’image officielle que l’on se doit d’avoir de la banlieue. Les quartiers populaires, le principal sujet de l’expo, sont l’une des pièces du puzzle qui composent la banlieue. Ils sont loin d’être la seule. On peut se réjouir que ces quartiers, parfaitement décrits depuis 20 ans par le Bondy Blog, aient attiré l’attention d’un musée national aussi prestigieux que celui de la Porte Dorée, mais il aurait été plus juste dès lors de baptiser l’exposition « Quartiers populaires chéris ».
Tant que l’histoire s’écrira depuis Paris, la banlieue autant que la « province » continueront d’être les seconds rôles du récit national. Comme le soulignait la profession de foi d’Enlarge your Paris il y a 12 ans, Paris n’a pas le monopole du cœur qui bat. Il suffit d’ouvrir les yeux pour sortir d’une vision parisiano-centrée (que ces deux termes, banlieue et province, illustrent parfaitement et dont ce plagiat de Rendez-vous en terre inconnue se moque avec malice), et enfin écrire de nouvelles histoires qui recadrent vraiment les clichés.
Infos pratiques : exposition « Banlieues chéries » au Musée de l’Histoire de l’immigration au Palais de la Porte Dorée, 293, avenue Daumesnil, Paris (12e). Du 11 avril au 17 août. Fermé le lundi. Tarif : 12 € (plein tarif), gratuit pour les moins de 26 ans. Accès : métro Porte Dorée (ligne 8) / tramway T3a arrêt Porte Dorée. Plus d’infos sur histoire-immigration.fr
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11 avril 2025