Marc Barra, écologue, et Nicolas Laruelle, urbaniste, au sein de l’Institut Paris Region
Tandis que l’État approuvait, il y a 25 ans, un schéma directeur pour l’Île-de-France (Sdrif 1994) encore dominé par les enjeux de programmation des « infrastructures grises » devant accompagner le développement urbain (lignes électriques, stations d’épuration et surtout voies routières et ferroviaires), le land de Berlin se distinguait en adossant son schéma directeur à un ambitieux Landschaftsprogramm Artenschutzprogramm, un Plan-programme du paysage, de la faune et de la flore.
Ce document articulait entre elles, et avec le développement urbain, des « infrastructures vertes » susceptibles de remplir à moindre frais certaines des fonctions que les « infrastructures grises » ne savent que coûteusement imiter. Il identifiait et préservait pour la première fois des « zones prioritaires de protection du climat », vastes espaces naturels périphériques se prolongeant par des « couloirs d’échanges climatiques » jusqu’au centre urbain, pour le rafraîchir.
Au cours de la décennie suivante, les travaux de l’Institut Paris Région allaient populariser le Plan-programme de Berlin dans les milieux de l’aménagement en Île-de-France et éveiller une curiosité nouvelle pour toutes les « solutions fondées sur la nature » imaginées dans d’autres métropoles.
Des bénéfices aujourd’hui mieux reconnus
Les champs et les prairies, les forêts et les bois, les rivières, les étangs et les marais, les parcs et les jardins, tous ces espaces sont susceptibles d’apporter des réponses significatives aux grands défis des métropoles, qu’il s’agisse de contribuer à l’atténuation du changement climatique (en stockant le carbone sous forme organique dans le sol et dans la végétation) ou de s’adapter à ses effets (en rafraîchissant la ville lors des canicules ou en captant l’excès de ruissellement lors des pluies d’orage).
Certaines stratégies urbaines affichent, sous forme de slogan, une préoccupation particulière pour l’un des effets du changement climatique, par exemple la gestion du ruissellement et des inondations. En 2014 est né en Chine le concept de « Sponge City » (ville-éponge), déployé dans plusieurs localités, comme la ville nouvelle de Lingang, au sud-est de Shanghai, dans laquelle des zones humides ont été restaurées, des parcs inondables créés et des milliers d’arbres plantés pour stocker l’eau des pluies d’orage en vue de la réutiliser dans les périodes sèches.
Avec son concept de « Cool city » (ville-fraîcheur), la ville de Stuttgart a plutôt cherché, en s’appuyant sur un réseau de grands parcs et des plantations d’alignement, à favoriser la circulation du vent pour évacuer l’air chaud du centre-ville et ainsi combattre la canicule : tout permis de construire est soumis à un météorologue afin de garantir que le bâtiment envisagé ne bloquera pas l’écoulement de l’air.
Parce qu’elles reposent en pratique sur un même triptyque (maintien d’un sol vivant, accroissement du couvert végétal et rétablissement de la circulation naturelle de l’eau), ces approches sont convergentes : une ville-éponge est forcément plus rafraîchissante, grâce à l’évapotranspiration végétale, et les couloirs végétaux de la ville-fraîcheur lui permettent de mieux stocker l’eau. Ces approches présentent des bénéfices connexes (épuration de l’eau et de l’air, biodiversité…) d’autant plus importants que les espaces sont gérés écologiquement et sont reliés entre eux par une « trame verte et bleue », et ce à toutes les échelles !
Un fourmillement d’initiatives à toutes les échelles
À l’échelle de la métropole, il s’agit de rendre la ville plus perméable à la nature, comme à Rome ou Stockholm, où des parcs naturels pénètrent jusqu’au coeur de la ville. En Île-de-France, le premier Schéma régional de cohérence écologique fixe depuis 2013 les objectifs de préservation ou de restauration des continuités écologiques (réservoirs de biodiversité reliés entre eux par des corridors). Il offre pour la première fois à une échelle assez fine une image globale de la « trame verte et bleue » régionale. Ces objectifs sont confortés par le Schéma directeur régional (Sdrif 2013), qui introduit davantage de liaisons intra-urbaines.
L’enjeu reste de populariser auprès d’un large public les formes et les fonctions de cette trame métropolitaine, en utilisant par exemple une espèce emblématique (comme à Strasbourg, où la simulation des déplacements de l’écureuil roux permet d’évaluer les déclinaisons locales de la trame métropolitaine), ou une activité décalée (comme à Berlin, dont la trame verte doit permettre de rallier la campagne environnante au centre-ville… à cheval !).
À l’échelle de la rue, les projets doivent encourager la création de noues, de « jardins de pluie » et la plantation d’arbres ; la ville de New York affirme en avoir planté un million en dix ans. Il faut aussi accueillir la végétalisation spontanée en autorisant et en accompagnant les initiatives citoyennes, comme à Rennes, Lille ou Strasbourg. En Île-de-France, le permis de végétaliser suscite un large engouement à Paris depuis 2015, et plus récemment à Pantin, Saint-Denis ou Massy.
Enfin, à l’échelle de la parcelle, bâtie ou non, le maintien de surfaces en pleine terre et l’accroissement de leur couvert végétal sont des éléments vitaux. Il importe aussi de promouvoir la végétalisation des toits des bâtiments nouveaux ou anciens. Avec près de 30 % de toitures plates végétalisées, la ville de Bâle est souvent citée comme « ville la plus végétalisée du monde ». Depuis 2001, toutes les nouvelles toitures plates « non utilisées » doivent être végétalisées, ce qui a permis une diminution de la température estivale nocturne au niveau micro-local (en toiture) et local (dans le centre-ville). D’autres bénéfices ont été mesurés en termes d’isolation acoustique, de qualité de l’air (par la séquestration des particules fines) de gestion des eaux pluviales ou de longévité du système d’étanchéité des toitures.
En Île-de-France, l’Agence régionale de la biodiversité mène actuellement, sur une trentaine de toits végétalisés du coeur de la métropole, une étude inédite nommée « Grooves » (Green ROOfs Verified Ecosystem Services), dont les premiers résultats montrent les surprenantes capacités de stockage des toitures selon la texture et la profondeur du substrat et leur grande capacité à accueillir de façon spontanée une diversité de plantes et de mousses (plus de 268 espèces différentes).
Le coefficient de biotope par surface (CBS), indicateur composite utilisé depuis 1998 par la ville de Berlin dans ses projets de construction, fixe un objectif de végétalisation à la parcelle. Il permet de faire la pédagogie des moyens susceptibles d’être mobilisés (sols, toitures et terrasses végétalisées, murs et façades végétalisés, surfaces alvéolées perméables…) et, par le jeu des paramètres, des performances respectives de ces moyens (le plus efficace demeurant la pleine terre).
À toutes les échelles, la reconquête d’espaces de pleine terre s’avère d’ailleurs souvent indispensable. La ville de Fukuoka offre plusieurs exemples de désimperméabilisation, qu’il s’agisse de transformer l’ancien parking d’une école en un jardin aquatique conçu avec les élèves ou de dé-bétonner et restaurer écologiquement les berges d’une grande retenue d’eau potable du Onga Fishway Park. Dans le cadre de l’opération « Strasbourg ça pousse », la ville et la métropole se sont appuyées sur des collectifs d’habitants pour désimperméabiliser et gérer écologiquement plus de 5 ha d’espaces publics depuis 2008 (trottoirs, pieds d’immeubles et allées de cimetières). En Île-de-France, le Conseil régional propose depuis 2017 une aide financière à la désimperméabilisation dans le cadre de son appel à projet « Plan vert ».
Vers un modèle francilien de « métropole-nature »
Toutes ces solutions fondées sur la nature demeurent toutefois plus difficiles à mettre en oeuvre dans le coeur des métropoles, et notamment à Paris et en proche banlieue, dont la densité, particulièrement élevée au regard des autres métropoles européennes, tend à s’accroître depuis les années 1990. Même lorsque cette densification ne consomme pas d’espaces de pleine terre, la pression sur ceux-ci s’accroît, les rendant moins aptes à remplir leurs multiples fonctions d’infrastructures naturelles. L’offre en parcs et jardins a crû moins vite que la population dans le coeur de métropole ces dernières années, et ces espaces subissent donc aujourd’hui une plus forte pression de fréquentation. La densification de Paris et de la proche banlieue doit être raisonnée, avec une approche au cas par cas du devenir des friches urbaines. Elle devrait s’accompagner de la recherche d’équilibres à une échelle plus large, dans le cadre de solidarités villes-campagnes ou amont-aval.
L’Île-de-France est riche d’une grande diversité de contextes, appelant une diversité de solutions, comme l’atteste le palmarès des collectivités récompensées depuis 2011 dans le cadre du concours « Capitale française de la biodiversité » : proche banlieue (Montreuil, Courbevoie ou Rosny-sous-Bois), banlieue plus lointaine et plus pavillonnaire (Saint-Prix ou Maurecourt), villes secondaires historiques (Versailles) ou nouvelles (Val Maubuée), ou encore en milieu rural (Bonnelles).
Il s’agit donc non seulement d’accompagner et de valoriser le foisonnement d’initiatives locales au niveau régional, mais aussi de l’aider à se structurer en véritable modèle francilien de « métropole-nature ». Un modèle cohérent, lisible et désirable, pour fédérer les acteurs régionaux, mais aussi, comme le chercheur Camille Girault l’a montré à propos des métropoles nordiques, pour renforcer l’attractivité de l’Île-de-France et la crédibilité internationale de la France en matière environnementale.
Cet article est extrait du cahier « Les villes changent le monde » téléchargeable gratuitement sur le site de l’Institut Paris Région
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21 mars 2020