Article publié le 24 mai 2021 – Réactualisé le 29 août 2021
Une ville où l’on entendrait davantage les oiseaux que les autos. Où les cyclistes, les piétons et les automobilistes seraient (presque) copains. Où l’on respirerait mieux, et pas qu’en période de confinement. Cette promesse de ville porte un nom : « la Ville 30 ». Le principe ? Faire de la limitation à 30 km/h pour les voitures la norme, et la limitation à 50 km/h l’exception.
La démarche est sous le feu des projecteurs grand-parisiens depuis l’automne 2020 (et faisait même l’objet ce 23 mai d’une tribune dans Le Monde signée par Jean Todt, ancien directeur de la Scuderia Ferrari et envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la sécurité routière depuis 2015). A l’époque, la mairie de Paris lance une consultation pour passer l’ensemble de la ville à 30 km/h. Résultat : 59% des Parisiens y sont favorables. Un argument supplémentaire pour Anne Higaldo, qui a promis de multiplier les zones 30.
Un mouvement européen
L’idée fait une apparition remarquée en France en 2005 lorsque Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) se proclame « première ville 30 de France ». Souvent, une commune devient Ville 30 parce qu’un habitant ou un élu est sensible à la cause des vélos et des piétons. « À Fontenay, tout est parti de la volonté de Francine Loiseau, raconte Anne Faure, présidente de Rue de l’Avenir, association qui vise à rendre la rue plus sûre et plus agréable aux usagers. Originaire des Pays-Bas, elle a apporté à Fontenay une vision différente de la ville, dans laquelle les voitures n’étaient pas reines. Et elle a convaincu les élus ».
En 2005, le concept des Villes 30 n’est pourtant pas nouveau… du moins à l’étranger. La démarche existe depuis les années 90 chez nos voisins suisses et en Autriche. Et le sujet est monté en puissance grâce au Parlement européen, qui s’est prononcé pour la généralisation de la règle des 30 km/h. « En France, on a une culture très automobile : nous sommes un pays de constructeurs automobiles, avec l’État pour actionnaire », analyse Patrice Nogues, à la tête de La Vie à vélo, association qui promeut la petite reine comme mode privilégié de déplacement. Mais en menant une enquête pour la Fédération des usagers de la bicyclette, le militant réalise que « entre 2005 et 2010, beaucoup de villes franciliennes ont en fait adopté ce principe : Nogent-sur-Marne, Sceaux, Clamart… »
Aujourd’hui, elles sont une petite cinquantaine en Île-de-France, la plus petite étant Théméricourt dans le Val-d’Oise. « Mais elles sont potentiellement plus nombreuses car toutes ne communiquent pas sur cet aspect de leur politique ! », souligne Patrice Nogues.
La sécurité avant tout
D’ailleurs, avec l’urgence climatique et la crise sanitaire, le tout-voiture n’est plus franchement en état de grâce. Les piétons, les cyclistes et ceux qui roulent en trottinette (et qui n’ont toujours pas de nom à ce jour) veulent eux aussi profiter de la rue sans risquer leur vie à chaque carrefour. Un argument avancé par Laurent Vastel, le maire de Fontenay-aux-Roses : « La mesure a été prise pour des raisons de sécurité, notre ville compte pas mal de petites rues et de zones pavillonnaires, soit autant d’endroits accidentogènes. » Une tendance qui s’est accentuée depuis le début de la crise sanitaire en 2020.
Car c’est là tout l’intérêt de la Ville 30 : faire ralentir les voitures pour diminuer le nombre d’accidents. « Avec les Villes 30, tout l’aménagement urbain est mis en cohérence, argue Patrice Nogues. Les rues sont plus étroites ou bordées de pistes cyclables, les passages piétons surélevés, des coussins berlinois (type de ralentisseurs, ndlr) installés. » Le maire de Fontenay-aux-Roses l’assure : depuis l’entrée en vigueur de la mesure, il n’y a pas eu plus « d’un ou deux accidents » heureusement pas mortels. « Avant j’habitais à Montrouge et en six ans, j’ai connu trois accidents graves. »
Mieux dormir et respirer
La Ville 30, c’est donc la sécurité avant tout. Mais pas seulement. « Cela permet de dormir au calme la nuit et de redécouvrir le chant des oiseaux en journée ! », souligne Patrice Nogues. « En Allemagne, la vitesse est réduite depuis six ans pour diminuer le bruit », abonde Anne Faure. Une mesure qui n’est pas du goût des amoureux du volant.
Ecouter les oiseaux, d’accord, mais aux dépens du champignon sur lequel les automobilistes craignent de ne plus pouvoir appuyer. « En réalité, on dépasse très rarement les 30 km/h en ville, et la conduite est très saccadée. Ce qui implique aussi de la pollution » , rappelle Patrice Nogues. Mais ne pollue-t-on pas davantage en roulant à 30 plutôt qu’à 50 ? Patrice Nogues a l’habitude de cet argument : « Oui, c’est vrai quand la conduite est linéaire. Mais en ville, on freine, on accélère, on redémarre aux feux. En réalité, on consomme davantage de carburant et donc, on pollue plus. »
Un ralentissement des Villes 30 depuis 2010
Une démarche qui a encore du mal à s’imposer dans l’ensemble du Grand Paris. Résultat, peu de communes ont franchi le cap de la Ville 30 depuis 2010. « La faute à la crise économique de 2009 », pour Patrice Nogues. Le dossier n’est alors plus sur le dessus de la pile. Anne Faure a une analyse un peu différente : « Toutes les villes qui avaient la volonté d’appliquer cette mesure l’ont fait entre 2005 et 2010. Soit un habitant ou un élu soutenaient la mise en place de la mesure, ou bien un accident d’enfant survenait et créait le déclic. »
Depuis cette période, le mouvement patine un peu. D’autant qu’il n’existe pas d’association réunissant les Villes 30 ni de communication sur les bonnes pratiques pour faire accepter la mesure. C’est ce dont témoigne l’édile de Fontenay-aux-Roses : « On n’a pas d’échanges avec les autres Villes 30. » D’ailleurs, Laurent Vastel n’est pas nécessairement favorable à une extension du concept à l’échelle de l’Île-de-France. « La Ville 30 a du sens sur le lieu de vie mais le trafic doit demeurer aisé pour se déplacer entre son domicile et son lieu de travail. Beaucoup de personnes travaillent loin de leur domicile, elles ont besoin de couloirs de circulation fluides », défend-t-il.
Un élargissement qui passe par un changement d’échelle
Les statistiques semblent en effet plaider en sa faveur. Près de 70% des Franciliens travaillent dans une ville différente de leur ville de résidence. Avec un trajet moyen de 41 minutes, majoritairement réalisé en voiture. « Les maires ne sont pas les plus proactifs pour faire appliquer la Ville 30 car ils ont peur de perdre leur électorat automobiliste », assène Patrice Nogues, qui estime que la Région a un rôle centrale à jouer pour permettre à la mesure de se généraliser. « Le plan de déplacements de l’Île-de-France s’impose à toutes les communes de la région. La Région a la vision stratégique et la capacité d’ingénierie nécessaire pour implémenter les Villes 30 à l’échelle de tout le territoire ». Dans sa dernière feuille de route 2017-2020, la région préconisait d’ailleurs le passage à 30. Une préconisation, pas une obligation. Qui va piano, va sano…
Infos pratiques : Plus d’infos sur ville30.org
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30 août 2021