Installé à Chelles en Seine-et-Marne depuis 2019 sur un terrain loué à la Région Île-de-France, le vigneron bio Pierric Petit vient de commercialiser sa première cuvée... qui a remporté le 7 octobre le prix du meilleur vin d'Ile-de-France décerné par la Revue du vin de France, à la fois en rouge et en blanc. Journaliste pour Enlarge your Paris, Virginie Jannière est partie à sa rencontre au milieu des vignes.
À l’occasion de ses 10 ans, Enlarge your Paris publie jusqu’à la fin de l’année une série « Portraits de Grand-Parisiens » qui sont une source d’inspiration et la raison d’être de notre média local.
Parmi vos vignobles préférés figurent sans doute aujourd’hui le bourgogne, le bordeaux ou encore le côtes-du-rhône ? Et pourquoi pas demain l’« île-de-france » ! À la lisière de la Seine-Saint-Denis, entre un chantier du Grand Paris Express et le potager de la maraîchère Hanane Somi, se dressent les vignes du Domaine des coteaux du Montguichet, à Chelles (Seine-et-Marne). En ce début d’été, ce sont des rangs encore bien verts que Pierric Petit bichonne avec attention. Menuisier pendant 25 ans à Romainville (Seine-Saint-Denis), ce natif des Lilas (Seine-Saint-Denis) passionné par les vins n’est pas un débutant dans le monde de Bacchus. Formé à la viticulture et à l’œnologie en Bourgogne, il a roulé sa bosse quelques années aux pays du chassagne-montrachet et par le biais de sa société d’animations œnologiques – Le Vin vagabond au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) – avant de faire le choix pleinement réfléchi de planter ses 6 hectares (bientôt 7) de vignes bios en Île-de-France.
Une vieille tradition
Si tirer un vin de qualité reste le but premier de Pierric Petit, le vigneron compte bien reprendre le fil de la prestigieuse et méconnue histoire des vignobles franciliens. Difficile d’imaginer qu’au Moyen Âge la Seine-Saint-Denis était couverte de coteaux réputés ! Les abbayes franciliennes n’avaient pas à rougir de leurs excellents vins blancs, entraînant au fil des siècles toute la région dans la viticulture. « À la fin du XVIIIe siècle, 52 000 hectares de vignes étaient plantées en Île-de-France, soit deux fois la Bourgogne ! » souligne Pierric Petit. La qualité du vin, elle, s’est dégradée avec le temps et la multiplication des vignes : « Tout le monde faisait son vin et ce n’était pas forcément des grands crus », note-t-il. La culture du vin en Île-de-France a fini par s’éteindre avec l’arrivée du chemin de fer combinée à une épidémie de phylloxéra.
Près de deux siècles plus tard, Pierric Petit se prépare à lancer sa première cuvée : 15 000 bouteilles pour la vendange de 2022. Si tout va bien, la cuvée 2023 devrait produire quelque 22 000 bouteilles. Ne vous attendez pas à trouver les vins du Domaine des coteaux du Montguichet au supermarché du coin. Pierric Petit ne travaille qu’en vente directe avec des cavistes indépendants. L’entrée de gamme devrait se situer autour de 15 euros. « C’est un coût mais mon but est de partager l’amour du vin, pas d’être distribué partout à petits prix. Pour quel message finalement ? L’idée est de pouvoir échanger avec les clients directement ou par le biais d’autres passionnés que sont les cavistes. »
Créer du lien social et de la fierté
Le regard de Pierric Petit devient pétillant lorsqu’il parle de relier la ville à ses habitants par la passion du vin. « Nous sommes ici sur un terroir à la fois historiquement viticole et périurbain, c’est unique ! », se réjouit le vigneron depuis sa jolie salle de dégustation toute de bois clair et de béton ciré. Les huisseries sont d’ailleurs fraîchement terminées par ses soins (être menuisier a ses avantages). « Dans cette salle, je souhaite pouvoir développer de la pédagogie autour du vin, auprès des habitants de la région, des entreprises. Mais elle ne servira pas seulement aux formations : nous avons déjà commencé à organiser des apéros avec les habitants de Chelles. J’aimerais mettre en place des soirées-concerts, de la fête, de l’échange. Je suis persuadé que des vignes implantées dans un territoire périurbain permettent de créer du lien social et de redonner une certaine fierté à un territoire. »
Derrière cette idée existe aussi un objectif social : l’agriculture permet de développer l’emploi et de la formation. Car ici, pas question de mécaniser à outrance les vendanges pour celui qui se définit comme un « artisan vigneron » : « Faire tout ou presque à la main, crée de l’emploi, mais aussi améliore nettement la qualité du vin. »
Des solutions naturelles pour lutter contre les parasites et la canicule
Locataire du conseil régional d’Île-de-France, Pierric Petit compte apporter sa pierre à l’édifice du Grand Paris en fixant une activité à long terme sur ces anciennes friches. « C’est un bail rural de fermage d’une durée de 18 ans. Il faut déjà minimum 3 à 4 ans pour avoir une première cuvée. Il faut savoir prendre son temps pour faire du vin ! Et cela n’a pas joué en ma faveur face aux banquiers quand j’ai voulu emprunter pour m’installer, mais c’est une autre histoire », se souvient le vigneron entre deux rangées de vignes désormais plus hautes que lui.
À force de détermination, les vignerons franciliens ont réussi à créer une indication géographique protégée (IGP) « Île-de-France ». Ici, Pierric Petit fait pousser du pinot noir, du chardonnay mais aussi du pinot gris, historiquement attaché à l’Île-de-France et même du savagnin, variété venue du Jura, et bientôt un cinquième cépage. Sensible à la grande biodiversité du site, l’homme fait partie de ces agriculteurs qui aiment expérimenter des solutions naturelles, comme la plantation d’autres espèces au milieu des coteaux (« la vitiforesterie ») pour tenter de pallier les canicules à venir avec des ombres portées, ou pour lutter contre les parasites.
« Plus il y a de biodiversité, moins un parasite peut se développer. Mais nous devons essayer, nous tromper, recommencer. Toutes les plantes ne prennent pas », explique-t-il, pédagogue et emporté par son sujet. Au détour d’une vigne, nous croisons un jeune homme souriant muni d’un sécateur, le fils de Pierric Petit. La passion du vin semble, elle, avoir bien pris dans la famille.
Infos pratiques : Domaine des coteaux du Montguichet, 5, chemin du Beauzet, Chelles (77). Accès : gare de Chelles–Gournay (RER E) puis 2 km de marche. Plus d’infos sur Facebook
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[Article publié le 29 aout 2023 et mis à jour le 7 octobre 2023]
7 octobre 2023 - Chelles