« Croyez-moi, vous ne voulez pas être à Saint-Denis, ce n’est pas la même chose que Paris… » Que vous inspirent ces propos de Thierry Henry prononcés la semaine dernière à la télévision américaine alors qu’il était interrogé sur la finale de la Ligue des champions de football qui se jouera le 28 mai au Stade de France ?
Juliette Bompoint : La question serait de savoir si Thierry Henry est déjà venu à Saint-Denis en dehors du Stade de France. Souvent, je dis aux gens de venir voir de leurs yeux. On véhicule des imaginaires de la banlieue sans forcément la connaître. Je trouve toujours étonnant que certains, qui ne prennent pas le temps de s’intéresser à la Seine-Saint-Denis, la dépeignent aussi négativement. Cela fabrique une stigmatisation des gens qui y vivent. J’y suis installée depuis longtemps maintenant, j’y élève mes enfants et je ressens une fierté de vivre là. La Seine-Saint-Denis a traversé trois grands bouleversements : l’industrialisation, la désindustrialisation et la tertiarisation. Finalement, c’est un territoire qui a su se montrer résilient. À Saint-Denis, il existe une vitalité que je vois peu ailleurs et qui se traduit par une forte dynamique associative et entrepreneuriale. Il ne faut pas non plus oublier que beaucoup de choses ont trouvé leur place en Seine-Saint-Denis parce que Paris n’en a pas voulu.
Saint-Denis est le symbole médiatique de ce qui ne fonctionne pas en France. En 2017, un reportage de Zone interdite parlait d’une « ville de tous les paradoxes et de tous les fantasmes, un monde presque à part, emblématique d’une certaine forme de mal-être à la française ». En 2016, c’est le Figaro Magazine qui titrait en couverture « Molenbeek-sur-Seine ». Comment expliquez-vous ce regard porté sur la ville ? N’y a-t-il pas un systématisme à voir le verre toujours à moitié vide ?
C’est en tout cas quelque chose qui doit nous interroger. Cela étant, il ne s’agit de pas de changer le regard mais plutôt de faire en sorte de montrer notre vrai visage, partager d’autres histoires de Saint-Denis et de la Seine-Saint-Denis. Nous sommes certes dans l’un des territoires les plus pauvres de France mais à la richesse autre, qui passe notamment par l’existence d’une solidarité forte. Cette richesse n’est aujourd’hui pas racontée. Il ne s’agit pas de nier les difficultés. Même si le surnom de Molenbeek-sur-Seine est une image qui a choqué, nous avons assumé et avons créé un projet Erasmus pour 1 000 jeunes de Saint-Denis avec la ville de Molenbeek (Belgique). L’objectif était de les inviter à s’interroger sur la citoyenneté européenne. Nous avons également tissé des liens avec Oakland, dans la banlieue de San Francisco. La Seine-Saint-Denis n’est un territoire ni tout lisse ni tout blanc. C’est ce qui fait sa force.
Quel est l’objectif de la candidature de Saint-Denis comme capitale européenne de la culture en 2028 ?
Périféeries est une candidature portée à la fois par Saint-Denis, Plaine Commune et la Seine-Saint-Denis dont le but est d’entraîner aussi des villes des départements limitrophes ainsi que d’autres communes de banlieue en Europe et dans chaque continent. Il s’agit de nourrir le dialogue entre nous et de construire un nouveau « commun culturel ». Saint-Denis veut être le cœur battant de cette dynamique. Nous en sommes en train de constituer le dossier de candidature qui devra être déposé début décembre.
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12 mai 2022