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Nuit Blanche : on a pédalé sur le périph

Nuit Blanche sur le périphérique / © Olivier Razemon
Nuit Blanche sur le périphérique / © Olivier Razemon

Ce samedi 5 octobre, un tronçon du périphérique entre Porte de la Villette et Porte de Pantin était ouvert aux cyclistes pour Nuit Blanche. Journaliste spécialiste des mobilités, Olivier Razemon y était. Il raconte.

Ce reportage est tiré du blog d’Olivier Razemon sur lemonde.fr, L’interconnexion n’est plus assurée. Olivier Razemon est à suivre également sur Twitter

« Mais ça sert à quoi ? » demande un grincheux. A rien. A s’amuser. Ça vous dérange? Le samedi 5 octobre, vers vingt heures, pour la 18ème édition de la « Nuit blanche », ils sont des centaines, vélo tenu à la main, à se presser sur la rampe d’accès au périphérique, porte de Pantin, au nord-est de Paris. Pour la première fois depuis son achèvement, en 1973, une partie du célèbre boulevard circulaire est réservée aux cyclistes. Entre les portes de Pantin et d’Aubervilliers, le périphérique intérieur est transformé en vélodrome, tandis que le périphérique extérieur est aménagé en promenade piétonne, avec piste de danse et food trucks. En pénétrant sur le vélodrome, chacun se voit remettre deux lumignons, un rouge et un blanc, à placer sur le vélo ou sur ses vêtements. Puis on enfourche son vélo et la foule s’éparpille. La circulation devient fluide.

Le silence étonne

Au début, l’ambiance est étrange. L’environnement de béton impressionne. Le silence étonne. Il a plu dans la journée, mais la chaussée de bitume, dont on remarque d’ailleurs qu’elle est en bon état, est sèche. De cette courte portion du périphérique, on pédale en surplombant la ville, entre la Philharmonie, la tour La Villette ou les moulins de Pantin. Les parents sont venus avec leurs enfants, casque dument attaché sous le menton, des groupes d’amis se dégourdissent les jambes avant d’aller dîner, des amuseurs ont apporté baffles et musique, « Just an illusion » ou «A Paris, à vélo, on dépasse les autos». Deux salles, deux ambiances.

Des huîtres

Cela fait longtemps que les militants pro-vélo en rêvaient, en plaisantant à moitié : « un jour, on pédalera sur le périph ». Ce jour est arrivé. Plus bas, des voitures sont bloquées dans des bouchons, parechoc contre parechoc, et un klaxon émerge de temps en temps du magma. Comme d’habitude, est-on tenté de se dire. Carole, de Pantin, est venue avec des huîtres, du pain, du vin blanc et ses amis. Elle offre une huître à qui veut. « On s’est dit que ça s’imposait ».

Nuit Blanche sur le périphérique / © Olivier Razemon
© Olivier Razemon

Sous les jupes des ponts

Se promener sur le périphérique, c’est aussi l’occasion d’observer la ville comme on ne l’a jamais vue, comme on ne la voit jamais, en fait, car en voiture ou à scooter, personne n’a le loisir de regarder sous les jupes des ponts. Les eaux sombres du canal de l’Ourcq offrent quelques reflets dorés. Sur les voies ferroviaires, TGV et RER filent vers l’est. Le tramway fait retentir son klaxon, qui ressemble, entendu d’en-haut, à une sonnette de vélo, puis s’arrête à la station Ella Fitzgerald.

Qu’ils aient choisi de pédaler pour une simple promenade ou de foncer comme dans une course, les cyclistes prennent un certain plaisir à s’arrêter devant les panneaux autoroutiers indiquant les sorties « Porte de Pantin » ou « Porte du Pré Saint-Gervais », et à s’y prendre en photo. Un panneau signalant une station-service 600 mètres plus loin se morfond, inutile ce soir.

Au bout du vélodrome, là où les voies s’élargissent pour desservir la porte d’Aubervilliers, un vaste espace est rapidement investi par des jeunes gens en fixie qui enchaînent des compétitions improvisées de wheeling (exercice consistant à rouler sur la seule roue arrière). L’atmosphère se parfume d’une douce fumée.

Frontière artificielle

Ce soir, le périphérique, ou au moins cette petite portion, est devenue autre chose qu’une autoroute. Ce n’est plus une barrière. Et d’ailleurs, si on y réfléchit bien, les différences entre les deux côtés du célèbre boulevard sont de moins en moins perceptibles. Le métro, le tramway et les bus desservent convenablement les villes jouxtant Paris, la voirie y est étroite, même plus étroite à Paris, car ces villes, Aubervilliers, Vincennes ou Montrouge, n’ont pas connu les percées haussmanniennes. La moitié des habitants de ces villes ne possèdent pas de voiture, mais la pollution atmosphérique y est tout aussi pesante. En revanche, les prix de l’immobilier demeurent inférieurs à ceux pratiqués dans la ville-centre.

Paris et sa proche banlieue, 3,5 millions d’habitants au total, se ressemblent. Seul une autoroute circulaire les sépare. L’espace d’une nuit, le périphérique a changé de nature. Alors ça sert à quoi, le vélodrome de la Nuit blanche ? Peut-être à démontrer qu’une bande de bitume peut être utilisée autrement. Car le périphérique n’existe déjà plus dans les têtes.

A lire : « Le périph est considéré à tort comme un mur entre le centre et la périphérie »