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En attendant l’Euro : Moi, arbitre en banlieue

Dans tout juste trois mois, l’Euro de foot verra s’affronter 24 nations sous l’œil d’arbitres professionnels venus de tout le continent. Loin du Stade de France ou du Parc des Princes, ils sont des centaines d’arbitres amateurs à parcourir les terrains bosselés de banlieue chaque week-end. Rencontre avec deux d‘entre eux, désormais rangés du sifflet.

« Il y a un côté masochiste dans le rôle d’arbitre ». En une phrase, Eduardo résume sa vision de l’homme en noir. Regard perçant, la quarantaine fringante, ce grand amateur de ballon rond aux faux airs de Pep Guardiola connaît particulièrement bien le football amateur. Comme joueur, en ayant évolué des années au poste de gardien de but au sein de diverses formations franciliennes ; et en tant qu’arbitre, pour avoir tenu le sifflet pendant cinq ans au sein, entre autres, du District de Seine-et-Marne Nord de la Fédération française de football (FFF). Une vocation, l’arbitrage ? Pas vraiment… Lui reconnaît avoir choisi cette activité d’abord pour des raisons financières, chaque rencontre étant – modestement – rémunérée par la Fédé. Mais pas que pour ça : « J’avais suffisamment gueulé sur les arbitres pendant des années, il était temps que je fasse changer les choses », plaisante-t-il.

Flic et juge à la fois

Car si l’on dit souvent que la France compte 60 millions de sélectionneurs, on pourrait tout autant affirmer qu’elle abrite également 60 millions d’arbitres putatifs. Toujours prêts, devant leur écran ou le long de la main courante les jours de match, à réarbitrer la partie à leur façon. « Les règles du foot ne sont pas simples contrairement à ce qu’on croit. Et il y a une grande méconnaissance globale. L’un des soucis dans ce sport, c’est la télévision », tempête Eduardo. « Même s’ils sont nettement plus mesurés qu’à une certaine époque, beaucoup de journalistes et d’anciens joueurs ne connaissent pas les lois du jeu qu’ils commentent ». Véhiculant ainsi idées fausses et contre-vérités. De fait, même au niveau amateur, les arbitres de foot subissent une batterie de tests, à la fois théoriques et pratiques, avant de pouvoir officier sur les pelouses de l’Hexagone. Ce qui devrait leur donner une légitimité qu’aucun joueur, spectateur ou dirigeant, ne devrait pouvoir leur contester.

 

Arbitre en banlieue

 

Pas une raison pour autant de manquer d’humilité sur le terrain, si l’on en croit Eduardo : « Quand tu arbitres, tu ne peux jamais vraiment savoir sur le moment si ta décision est la bonne, car elle est instantanée : tu es à la fois flic, tu constates, et juge, tu appliques la sanction. Sans analyser le dossier en profondeur ou revoir les images ». Une situation d’autant plus complexe à gérer qu’aucune formation en gestion de groupe n’est proposée dans le cadre du cursus arbitral de base, à l’inverse des professeurs, par exemple, qui bénéficient de cours de pédagogie avant de prendre en main une classe. Tout tient alors à l’instinct, et la capacité d’adaptation dans l’instant. « Il faut observer », explique Eduardo. « La réaction des joueurs est significative. Par exemple dans le cas d’une main dans la surface, si tout le monde réagit, mais que tu ne l’as pas vue, pour moi, la bonne façon de faire, c’est de le dire honnêtement : je n’ai rien vu, je ne peux pas siffler. Introduire le fait que peut être tu te trompes, mais que tu es de bonne foi, ça aplanit souvent les choses ».

La légende urbaine du 93

Suffisant pour calmer les esprits, sur des terrains de banlieue qui passent parfois pour des coupe-gorges ? «  Il peut y avoir des moments compliqués, mais moi je n’ai jamais eu de réel souci», relativise Eduardo. Même son de cloche pour Philippe. Ce grand balèze à la mine joviale, quinqua à la voix de ténor, devait en imposer sur les pelouses de Seine-Saint-Denis qu’il a arpentées pendant près de dix ans. « La réputation du 93 est exagérée. Quand tu vas dans certains quartiers sensibles, bien sûr, c’est chaud. Ça met la pression dans les tribunes, ça insulte un peu. Mais dès le coup de sifflet final, c’est terminé. Cela fait bizarre la première fois, mais après tu gères. En fait, la pression elle n’est pas tant sur l’arbitre que sur l’adversaire. Moi, je n’ai jamais eu peur ». Un sentiment que partage Eduardo : « Les mecs de Montfermeil et du Blanc-Mesnil, par exemple, jouent beaucoup sur la légende urbaine, il y a une part de folklore », s’amuse-t-il. « Mais c’était surtout un moyen de mettre la pression sur les visiteurs. Et puis tu peux tomber sur un fêlé du 15e arrondissement de Paris. Ce n’est pas une question de quartiers ».

 

 

Alors, même si les violences existent, et sont régulièrement relayées par les médias [1], l’un comme l’autre semblent plutôt confirmer une évolution vers un apaisement des tensions dans le milieu du foot francilien, en comparaison de leurs débuts comme joueurs ou dirigeants dans les années 80 et 90. Une impression difficile à confirmer par les chiffres, l’Observatoire des comportements de la FFF n’ayant été créé qu’en 2006 seulement, et ne communiquant plus publiquement ses données depuis 2013 [2].

Emmener son cerveau au match

Reste que la naissance de ce dernier constitue l’un des signes que les autorités sportives semblent avoir pris les choses en main, sanctionnant durement les errements de certains joueurs. « On est seul au moment du match, mais on est totalement soutenu en commission de discipline. En tant qu’arbitre, ta parole sera rarement remise en cause. Ces instances font beaucoup de bien, c’est ce qui a fait évoluer le foot positivement. Quand tu mets un an, deux ans de suspension à un joueur pour des faits de violence… », note Eduardo.

D’autant que l’organisation même du football francilien a elle-aussi évolué, les dirigeants s’étant plus activement impliqués dans les processus de management. Au sein des instances franciliennes, plusieurs présidents de clubs, dont certains issus de quartiers populaires, ont ainsi été désignés pour occuper des postes stratégiques au sein de la Ligue de Paris île-de-France [3]. Une bonne chose pour Philippe : « Cela a inquiété tout le monde au début, mais en réalité c’est exactement ce qu’il fallait faire. C’était un moyen de permettre aux clubs d’être mieux représentés. Cela a créé un vrai changement dans les mentalités, jusqu’à la Fédé ».

Joueurs, dirigeants, arbitres… A chacun son rôle, pour assurer le bon déroulement d’une partie. Des rôles qu’Eduardo résume à sa façon : « Dans la hiérarchie des gens qui doivent emmener leur cerveau au match, tout en bas, il y a le joueur, qui se fout d’à peu près tout ; ensuite, il y a le dirigeant ; et tout en en haut, il y a l’arbitre, qui a la responsabilité que tout se déroule sans le moindre souci ».

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DR

[1] Lire par exemple : www.lemonde.fr/sport/article/2013/12/26/terrain-dangereux_4340377_3242.html
[2] Lire tout de même sur le sujet : www.francetvinfo.fr/sports/violences-dans-le-sport/a-mort-l-arbitre-les-chiffres-du-foot-amateur_505665.html
[3] Lire : www.leparisien.fr/sports/iledefrance/foot-jamel-sandjak-est-le-nouveau-president-de-la-ligue-de-paris-ile-de-france-20-10-2012-2250821.php