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Lettre à un Youtubeur australien venu faire du « tourisme » à Clichy-sous-Bois

Le YouTubeur Spanian à Clichy-sous-Bois / © Spanian
Le Youtubeur Spanian à Clichy-sous-Bois / © Spanian

En septembre dernier, le Youtubeur australien Spanian publiait une vidéo « A Ghetto in Paris » dans laquelle il se met en scène dans les rues de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Une vision stigmatisante que dénoncent Bahar Makooi et Joséphine Lebard, autrices du livre « Une année à Clichy, la ville qui rêvait qu'on l'oublie ».

Bahar Makooi, journaliste pour France 24, et Joséphine Lebard, journaliste pour Enlarge your Paris, ont publié en 2015 Une année à Clichy, la ville qui rêvait qu’on l’oublie (Éd. Stock)

Vous vous appelez Spanian. Vous êtes un Youtubeur australien. Votre truc, c’est de voyager à travers le monde pour visiter les « hoods », les quartiers mal famés. Le 27 septembre dernier, vous avez filmé avec votre GoPro votre virée en mode « tourisme dans le ghetto » à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Vous rappelez que, en 2005, c’est de cette ville qu’ont démarré les révoltes urbaines consécutives à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux adolescents poursuivis par la police qui ont trouvé refuge dans un transformateur où ils ont été électrocutés.

Mais vous n’êtes pas venu à Clichy pour parler violences policières. Non, vous, visiblement, votre truc, c’est de vous autoportraiturer en Indiana Jones des « no go zones ». Et il faut que votre récit colle à ce personal branding. Vous allez donc tout faire pour. Quitte à déformer la réalité, qui, il faut bien le dire, vous importe peu. La seule chose qui compte, c’est vous, votre image de gros dur qui ne craint pas de se rendre en solo dans de prétendus coupe-gorge.

Pourtant, on ne va pas se mentir, votre escapade débute plutôt mal. Vous êtes bien à Clichy mais on vous voit déambuler dans des rues pavillonnaires tranquilles, avec même le chant des oiseaux en fond sonore. Pas terrible pour votre street-cred… Dieu merci, vous vous arrêtez pour acheter un café dans un commerce dans le quartier des Marronniers. Vous en ressortez bientôt tout paniqué : « Tout le monde, tout le monde me regardait », expliquez-vous à votre caméra. On a envie de vous dire qu’il n’y a rien de bien révolutionnaire là-dedans : à Clichy, comme au fin fond de la Creuse ou dans un rade en Bretagne, quand un visage inconnu déboule, il n’est pas anormal qu’on l’observe, tout simplement parce qu’on ne l’a encore jamais vu… Il vous en faut peu pour vous faire grimper la tension, quand même.

« Non, tout n’est pas rose à Clichy, loin de là. Mais la description que vous en faites est partiale et malhonnête »

Heureusement, vous arrivez bientôt au Chêne Pointu. Un sourire renaît sur vos lèvres : des vitres cassées, des boîtes aux lettres éventrées, des voitures abandonnées… Ouf ! Vous trouvez ce que vous êtes venu chercher. Votre sourire justement : il est insupportable. Il se réjouit de la misère des autres, parce que vous la pensez proportionnelle aux nombres de likes que vous allez obtenir. Le problème, c’est que vous arrivez à Clichy comme un chien dans un jeu de quilles. Vous ne savez rien. Rien de l’histoire des copropriétés privées grevées par l’appauvrissement des populations et les charges impayées. Rien du rachat, appartement par appartement, des logements pour sortir du cercle vicieux des marchands de sommeil qui exploitent la pauvreté. Rien des destructions de bâtiments insalubres pour imaginer un futur plus enviable pour les habitants. Vous regardez le tramway passer sans savoir combien il a été attendu pour désenclaver la ville. Vous montrez du doigt un immeuble décati sans savoir qu’il n’est plus habité puisque voué à la démolition. Non, tout n’est pas rose à Clichy, loin de là. Mais la description que vous en faites est partiale et malhonnête.

Non, vraiment, vous ne savez rien de Clichy. Comment le pourriez-vous, puisque vous ne parlez à aucun habitant ? Vous vous baladez en conquistador sans daigner tourner votre fichue GoPro vers ceux qui, au quotidien, vivent ici. Vous filmez une ville fantôme ce qui est quand même le comble pour Clichy, si pleine de vie(s). Une vidéo du Parisien répare cette injustice. Par la voix de Moussa Cissé, comédien et résident de la commune, elle dit le beau conservatoire. Elle dit une réalité plus nuancée que celle que vous voulez vendre à vos followers. Mais avez-vous le temps ou même l’envie pour la complexité ?

« L’image qu’on renvoie d’un territoire à ses habitants est importante »

Avec votre vidéo, vous faites le malin. Au sens premier du terme : vous faites le mal. Elle a déjà été vue 1,4 million de fois. Par elle, vous blessez des milliers d’habitants dont vous présentez le lieu de vie comme un cloaque. Eux auraient pu vous parler de la beauté de la forêt, du petit étang et de la guinguette où les pêcheurs se retrouvent. De la vue depuis la butte où est installé le collège Doisneau et qui plonge sur toute l’Île-de-France. Des jours de marché où les stands abondent. Des après-midis aux Ateliers Médicis, des soirées à l’Espace 93 où on vient écouter Michel Jonasz comme on célèbre le Nouvel An berbère (le 13 janvier prochain si jamais vous êtes dans le coin). C’est sûr, cela n’aurait pas collé avec votre scénario.

Mais voilà : l’image qu’on renvoie d’un territoire à ses habitants est importante. Pas seulement pour trouver du travail et éviter que le futur employeur fronce du nez en voyant d’où vous venez. Mais aussi dans la construction de l’estime de soi. À l’heure où Clichy se panse de blessures ouvertes depuis bien longtemps, vous ne faites que mettre du sel sur la plaie. Mais ça, vous vous en fichez bien. Sur votre front, vous avez fait tatouer ceci : « Caught in a hustle ». On pourrait le traduire par « Pris dans le tumulte ». Dans le tumulte de votre insondable bêtise, aurait-on envie de rajouter à l’encre. C’est une suggestion, au cas où il vous resterait un peu de place à l’arrière de votre crâne. Car, à l’intérieur de celui-ci, ne semble souffler qu’un vide abyssal.

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