Série « Les éleveurs du Grand Paris » en partenariat avec Interbev, association fondée en 1979 qui fédère les organisations nationales représentant la filière française de l’élevage et des viandes, ses entreprises et ses métiers : éleveurs, commerçants, bouchers… Interbev porte la voix des professionnels et valorise leur volonté de proposer aux consommateurs des produits sains, de qualité et issus d’un mode de production plus durable. Plus d’informations sur l’agriculture circulaire sur agriculture-circulaire.fr
La rue du Nil (2e) est bordée d’étonnantes boutiques qu’on croirait sorties d’un village de poupées. Devanture vert d’eau pour le primeur, rose pour la crémerie, bleue pour la poissonnerie, rouge pour la boucherie et jaune pour la boulangerie. Toutes sont estampillées « Terroirs d’avenir », la société créée par Alexandre Drouard en 2008. À la sortie de son école de commerce, le jeune homme n’envoie pas des CV en rafale aux grands noms de l’industrie. Il a une autre idée en tête. Historien de l’alimentation, son père l’a initié, avec ses trois frères, aux bons produits. Auteur, entre autres, d’une Histoire des cuisiniers en France, il est membre du mouvement Slow Food, qui défend une alimentation de qualité rémunérant justement les producteurs.
Forcément, Alexandre Drouard se laisse gagner par les centres d’intérêt paternels. « Avec le mouvement Slow Food, j’ai découvert j’ai découvert les produits de terroirs, les variétés anciennes de légumes , les races rustiques de volaille… Tout un savoir-faire et une biodiversité alimentaire en passe de disparaître en raison de l’industrialisation de l’agriculture. » Le jeune homme voit alors dans la nourriture un moyen de s’engager dans une voie qui a du sens, et qui permet d’avoir un impact tant sur l’environnement que sur la santé et le lien social. C’est de cette volonté que naît Terroirs d’Avenir, pour mettre en avant et valoriser « des produits qui permettent aux producteurs de gagner leur vie sans recours aux produits phytosanitaires, avec des qualités gustatives et nutritives bien au-dessus de la mêlée ».
130 emplois créés depuis 2008
Les étoiles lui sont favorables. À Paris, au même moment, se développe la « bistronomie ». Portée par de jeunes chefs tels Iñaki Azpitarte, Adeline Grattard ou encore Bertrand Grébaut, la société milite pour une gastronomie engagée qui met le produit au cœur de son projet. Terroirs d’avenir s’impose comme un fournisseur de référence pour ces restaurateurs engagés. Pour dénicher ses producteurs, Alexandre Drouard s’appuie au départ sur des rencontres via la Slow Food et notamment son projet des Sentinelles qui aide les producteurs un peu isolés à trouver des débouchés à leurs produits.
La lecture d’ouvrages du Conservatoire national des arts culinaires et le bouche-à-oreille finissent d’étendre son réseau. Aujourd’hui, Terroirs d’Avenir travaille avec plus de 300 paysans, compte 14 magasins, a créé 130 emplois et livre 250 restaurants. L’enseigne peut se prévaloir de quelques autres belles réussites à son actif. « Certains ont réussi à maintenir ou développer leur activité grâce à notre collaboration, c’est une fierté pour nos équipes, raconte Alexandre Drouard. Je pense aussi à Julien De Clédat, paysan-meunier dans le Loiret qui est passée de 15 hectares à 150 hectares de culture de blés en bio et en agroforesterie grâce à l’ouverture de nos 4 boulangeries. Nous sommes heureux de participer à cette transition ! » Voire de participer au renouveau de certaines variétés.
Quand, en 2008, le chef étoilé Yannick Alléno veut élaborer un menu autour du terroir parisien, Terroir d’Avenir se fait fort de dénicher l’unique producteur restant du chou de Pontoise. « Il y a quinze ans, plus personne n’en voulait ! » Le légume connaît désormais un regain de succès, comme l’asperge d’Argenteuil ou le cresson Méréville (Essonne). Emballant des épis de maïs et des figues Dauphine sur le porte-bagage de son vélo, le chef Masayoshi Haraguchi finit justement ses achats pour ses recettes du jour : « Je sais qu’ici ils ne proposent que des produits de saison, explique-t-il. Chez beaucoup de primeurs, on va se retrouver avec des tomates ou des poivrons en hiver. Ici, j’ai découvert des produits que je ne connaissais pas comme la puntarella ou le radicchio… »
Le changement, c’est maintenant (dans le frigo)
En devanture de la boutique de fruits et légumes, les cerises Napoléon voisinent avec les tomates Piccadilly et les courgettes trompette ou graffiti joliment zébrées. Car, après s’être adressée aux chefs, Terroirs d’Avenir a décidé d’ouvrir des échoppes destinées au grand public. « Les cuisiniers sont des prescripteurs, explique Alexandre Drouard, mais il faut aussi que le changement puisse se jouer chez nous, dans le frigo. » Et l’entrepreneur de mettre en avant le rôle de pédagogue du commerçant qui explique la saisonnalité des produits, leur origine. On en a vite la démonstration. À la poissonnerie, Olivier, le maître des lieux, caresse le dos de son maquereau, aux teintes joliment irisées. Du haddock ? Ce sera non. « C’est de la grande pêche, on n’est pas là pour soutenir ça », explique-t-il.
De fait, chez Terroirs d’Avenir, on mise sur la pêche de ligne, au petit filet ou en casier et côtière qui permet de privilégier le poisson de saison. Côté crémerie, le produit fermier est mis à l’honneur avec des fromages faits avec le lait issu d’un même troupeau. Serge nous fait découvrir le bastelicacciu, un fromage de Corse du Sud. Ou encore le gaperon, un fromage frais fabriqué à partir du caillé qui reste dans les moules de Saint-Nectaire et agrémenté de poivre et d’ail rose. Et que dire du bergère du soir, un brebis suisse marbré et délicatement relevé par l’ail noir ?
À la boucherie, toutes les viandes sont garanties élevées en plein air, sauf le lapin « parce qu’il a tendance à creuser des galeries et donc à filer ». « On achète les bêtes entières, explique Alexandre Drouard, car comment dire à un éleveur qui a de petits effectifs « tu ne me mettras que deux carrés » ? »
À la boulangerie, les pains sont faits à partir de farines bios issues de semences paysannes. Pas de diviseurs ni de façonneuses pour les baguettes qui sont faites à la main. Quant aux fruits et légumes, ils sont cultivés en pleine terre ou en plein champ, sont à 80 % bios et on trouve sur un même produit au moins quatre ou cinq variétés.
Cuisiner plus pour manger mieux
Alors, évidemment, payer justement le producteur, bien se nourrir et être accessible à tous n’est pas une équation facile à résoudre. Pour Alexandre Drouard, il existe néanmoins un levier qui permet d’abaisser la note : cuisiner soi-même. « La question du prix dépasse notre simple volonté. Nous achetons des produits paysans qui sont injustement comparés avec des produits qui ne respectent pas les mêmes critères de production. Bien sûr, notre cochon Kintoa élevé 12 mois en plein air ne peut pas avoir le même prix qu’un porc élevé 3 mois en batterie. Il faut une volonté politique pour soutenir les initiatives vertueuses et faire de l’alimentation durable un bien commun pour toute la société. Mais en attendant, faire soi-même sa salade de carottes ou cuisiner des bons légumes est accessible à un grand nombre, à condition de prendre le temps ! Et cela ne coûte pas plus cher chez nous, sinon les clients iraient dans d’autres commerces. » Et d’insister sur les externalités négatives induites par certains produits moins vertueux, comme l’obésité ou la pollution de l’eau qui ont un coût collectif pour la société. « L’idée, résume Alexandre Drouard, n’est pas de pointer du doigt. Mais plutôt de se dire que, chacun à notre niveau, producteur, commerçant et consommateur, nous avons un rôle à jouer. »
Et, visiblement, certains le jouent bien volontiers. « Qu’est-ce que c’est joli, toutes ces teintes de rouge, de jaune et de violet ! », s’enthousiasme une cliente en contemplant l’étal de fruits et légumes. De quoi faire rosir davantage les premières framboises. Et donner encore plus de couleurs à la rue du Nil.
Infos pratiques : Terroirs d’avenir, 14 boutiques à Paris notamment rue du Nil (2e), rue Paul-Bert (11e), rue Jean-Pierre Timbaud (11e), rue des Dames (17e), boulevard Morland (4e) et à Montreuil (93). Plus d’infos sur terroirs-avenir.fr
Retrouvez l’interview d’Alexandre Drouard sur agriculture-circulaire.fr
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3 juillet 2024 - Paris