Quand une dizaine de photographes participent à une randonnée de 48 heures non-stop autour de Paris, ils en tirent une très belle expo à voir à partir de ce 23 mai à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme à Paris.
En septembre dernier, les associations A Travers Paris et Le Voyage Métropolitain, ainsi qu’Enlarge your Paris, entraînaient 700 marcheurs pour un relais de 48h non stop autour de Paris : le Tour d’horizon(s). Au total, ce sont 120 km de bitume qui ont été engloutis ainsi que neuf sommets grand-parisiens comme la Butte d’Orgemont (95) et le Mont Valérien (92). Plusieurs photographes ont immortalisé cette marche et partagent à partir de ce 23 mai leur expérience à travers l’expo photo « Walk in progress » à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (15e). Pour nous, ils ont choisi une photo emblématique du Grand Paris et nous livrent leur vision de ce territoire en mutation.
Marie Genel, photographe indépendante et membre de l’agence coopérative Picturetank
« Explorer le Grand Paris, c’est parfois emprunter sur quelques centaines de mètres des voies qui ne sont pas destinées aux marcheurs. Ce n’est pas agréable de marcher le long d’un échangeur routier, mais il n’y a que la marche qui nous permette de mesurer l’agression que représente le bruit tonitruant d’une autoroute, l’odeur acide des pots d’échappements … et de prendre conscience des difficultés des populations qui vivent à proximité de telles infrastructures.«
Fontenay-sous-Bois (94) : « Cette vue a été prise depuis l’éco-parc des Carrières de Fontenay-sous-Bois. J’adore cette image car au premier coup d’oeil on ne sait pas bien où on est. La végétation et la lumière font penser à l’Asie au premier abord. Et ensuite nos repères surgissent : on reconnaît le rocher du zoo de Vincennes, on identifie le bois et les incinérateurs d’Ivry, qui en contre-jour prennent une dimension plutôt poétique. Observer le Grand Paris depuis une butte, c’est toujours un peu comme un jeu de piste. Et les changements de points de vue autour de Paris sont à chaque fois une nouvelle énigme, une nouvelle découverte.«
Pierre-Yves Brunaud, photographe et membre de l’agence coopérative Picturetank
« L’expérience des 48 heures du Tour d’horizon(s) fut pour moi un exercice très intéressant en même temps qu’assez périlleux : parvenir à ramener des images pertinentes d’un événement qui tient lieu de performance quasi sportive n’est pas chose évidente. Le temps de la marche est relatif : celui du randonneur qui doit tenir un horaire pour le relais suivant et celui du photographe flâneur ne sont pas nécessairement les mêmes. Il faut donc trouver des compromis. Marcher et cadrer assez vite ! J’ai effectué 6 relais, soit environ ⅔ du parcours, découvert à cette occasion certains coins de la petite couronne que je ne connaissais pas, revisité d’autres qui me sont plus familiers, le tout à la vitesse de ce qui m’a semblé celle d’un TGV. Le Grand Paris est une réserve infinie de territoires à découvrir qui méritent d’être arpentés à pied, où une foule de petites et grandes histoires ne demandent qu’à être racontées, à condition de prendre le temps. Celui de la marche permet de mieux saisir les contours, les articulations, les logiques et les aberrations de la métropole ; il permet aussi et surtout de rencontrer ses habitants. C’est à mon sens l’alliance de ces deux approches qui permet de proposer un regard aiguisé et intéressant. Une démarche que j’entreprends aujourd’hui sur le long terme avec le projet du Sentier Métropolitain du Grand Paris.«
Montmagny (95) : « J’ai particulièrement apprécié la découverte des alentours de la Butte Pinson. Cette photographie de l’âne à proximité de la ferme pédagogique est pour moi une des réponses possibles à « l’anti carte postale » du Grand Paris. Une parcelle de « territoire préservé », avec des stigmates discrets mais bien présents de la métropole, symbolisés par le graffiti à l’arrière-plan et le survol de l’avion de ligne.«
Line Francillon, artiste plasticienne, photographe et vidéaste
« Dans le cadre des 48h de marche du Tour d’horizon(s), il s’agissait de suivre un itinéraire préalablement tracé. J’ai découvert des paysages contrastés et des lieux insoupçonnés. Marcher en groupe implique un rythme particulier, pas toujours évident à tenir en photographiant. Impossible de revenir en arrière, de choisir précisément son point de vue, de « laisser venir ». Cependant, j’ai trouvé très intéressant d’observer et de photographier le rapport d’autres marcheurs aux territoires. Le Grand Paris est encore abstrait, ses limites sont floues et changeantes, selon qui en parle. C’est une identité culturelle à construire pour ses habitants, une métropole en devenir, et c’est justement cette évolution et cette fragilité qui m’intéressent. Je poursuis d’ailleurs ces explorations du territoire grâce au projet du Sentier métropolitain du Grand Paris. »
Alfortville (94) : « Cette photo est prise sur le site du complexe hôtelier Chinagora, à Alfortville, qui se trouve au confluent de la Seine et de la Marne. C’est une scène qui me paraît typique d’une métropole, à la fois riche de ses qualités naturelles, de son histoire architecturale (la passerelle en béton d’Ivry-Charenton datant des années 20, ces immeubles récurrents en banlieue, le style d’imitation asiatique de l’escalier,…) et de ses modes de vie, mêlant communautés immigrées et habitants de la métropole, qui pratiquent, pourquoi pas, la pêche en pleine ville. »
Jean-Fabien Leclanche, photographe et enseignant à la Sorbonne
Jens Denissen, photographe et urbaniste
Créteil (94) : « Après être passé à travers le trou d’un grillage et avoir grimpé la butte très raide de cette colline artificielle, je me suis retrouvé dans une végétation assez dense. J’étais alors étonné de découvrir ce paysage à la fois généreux et ouvert. C’est seulement en se promenant dans l’image que l’on peut s’y repérer. En ce qu’elle amène une vision inconnue du Grand Paris, elle déstabilise le regard tout en l’enrichissant. Là où la carte postale du monument parisien reproduit encore et encore des images déjà connues, celle-ci amène plutôt à se poser des questions : d’où est-elle prise ? que représente-t-elle ? Cette photo est emblématique du Grand-Paris car elle n’est pas centrée sur un seul lieu, mais sur une multitude d’éléments du paysage urbain. Le centre de Paris tient une place mineure (on discerne le Panthéon à l’horizon), ce qui, en terme de surface, mais aussi de population, traduit une image plus réelle de ce qu’est une ville. Cette image permet aussi de retourner la vision bucolique et muséifiée de Paris pour se resituer à l’intérieur d’un grand paysage en mutation permanente. C’est aussi l’objectif de mon travail pour le projet du Sentier Métropolitain du Grand Paris qui a pour objectif de donner à voir la diversité et la complexité des espaces de vie du Grand Paris en reliant l’expérience sensible de la marche au grand paysage métropolitain. »
Sylvain Maestraggi, photographe, auteur et éditeur
Deuil-la-Barre (95) : « J’ai grandi en Provence, dans un lotissement au milieu des champs. Paris me fait parfois l’effet d’un labyrinthe de murs gris, privé d’horizon. Aller marcher en banlieue, c’est pour moi retrouver un espace plus ouvert, plus vallonné, plus divers, moins figé. Ce portillon m’évoque les chemins de campagne de mon adolescence, et c’est le témoignage d’une activité populaire très présente tout autour de Paris : le jardinage. »
Sandrine Marc, artiste-photographe
Villejuif (94) : « Cette photographie a été prise à Villejuif, dans le parc des Hautes Bruyères, depuis la butte anti-bruit aménagée pour amortir le son de l’autoroute A6 accolée au parc. La marche à pied fait partie de ma pratique artistique, elle me permet de créer les conditions indispensables à la disponibilité du regard que requiert la prise de vue photographique. Cette marche réalisée dans le cadre de Tour d’horzizon(s) m’a amené à intégrer un autre groupe de marcheurs puisque je participe en tant qu’auteur aux repérages du Sentier Métropolitain du Grand Paris. L’exploration du territoire du Grand Paris est passionnante et offre un cadre de travail riche pour réaliser des images. »
Jules Lefebvre, photographe autodidacte
Ivry (94) : « Cette photo représente la vision du Grand Paris car à travers l’architecture des Etoiles de Renaudie et Gailhoustet, c’est toute l’utopie moderniste des années 1960 et 1970 des villes nouvelles que l’on revisite. A l’heure de l’image carte postale et très « musée » de Paris sanctifiant un classicisme historique et architectural, les Etoiles d’Ivry-sur-Seine rappellent l’ambition de changer la ville et la vie des habitants à travers la lumière, l’espace, l’appropriation du logement et des terrasses, l’utilisation de l’espace public et partagé, le mélange entre végétal et architecture. C’est pour moi une ode au rêve, au champ des possibles et le rappel qu’une alternative est en cours. »
Infos pratiques : Exposition « Walk In Progress », à l’Institut d’Aménagement et d’urbanisme, 15 rue Falguière, Paris 15e. Vernissage le mardi 23 mai de 17h à 20h. Exposition jusqu’au 31 août, du lundi au vendredi de 8h à 18h. Entrée libre. Plus d’infos sur www.iau-idf.fr
22 mai 2017