Dans quel contexte s’inscrit cette étude sur les drives, dark kitchens et dark stores?
François Mohrt et Bruno Bouvier : Tous les trois ans, nous effectuons un recensement des locaux en pieds d’immeubles. Il en existe 83 000 à Paris dont 61 000 qui sont des commerces. Une partie reste stable mais une autre subit des transformations. Les vidéo-clubs par exemple ont complètement disparu aujourd’hui, contrairement aux « vapostores » qui n’existaient pas il y a encore quelques années. En 2020, avant la pandémie, nous avions mené une enquête sur le e-commerce. Évidemment, avec la crise sanitaire, il a explosé. Les drives se sont multipliés, d’autant que Leclerc et Auchan y ont vu une bonne façon de s’implanter dans la capitale alors que, jusqu’ici, en intramuros, c’était Carrefour et Casino les deux grands concurrents.
Vous parlez aussi des dark stores et des dark kitchens dans votre étude. Pouvez-vous en donner une définition ?
Une dark kitchen, c’est un local où l’on va préparer des plats destinés à être livrés. Il peut même parfois s’agir d’entrepôts qui comptent, en leur sein, une dizaine de cuisines différentes pour fournir aussi bien des sushis que du couscous. Quant aux dark stores, il s’agit d’entrepôts de stockage de plates-formes qui vous proposent une livraison très rapide de produits de supérettes. Ils ont environ 2 000 produits référencés, ce qui correspond à une petite alimentation générale.
En quoi l’implantation de ces lieux est-elle problématique ?
D’abord, ils appauvrissent la rue puisque le chaland n’y a pas accès. Ensuite, puisqu’ils reposent sur un système de livraison, ils génèrent de nombreuses allées et venues de scooters, des attroupements, des bavardages qui gênent les riverains. La Mairie de Paris nous a dit recevoir depuis quelques mois environ 5 plaintes par jour concernant le sujet. Et puis il y a des questions de sécurité : selon le PLU (Plan local d’urbanisme), un entrepôt ne peut se trouver au rez-de-chaussée d’une zone d’habitation. Par ailleurs, en zone linéaire protégée, les commerces ne peuvent être remplacés par autre chose que des commerces. Or, dans un commerce, la réserve ne doit pas représenter plus d’un tiers de l’espace total. Ce qui n’est évidemment pas le cas des dark stores qui ne comptent pas d’espace de vente. Dans la capitale, il y aurait ainsi 45 dark stores illégaux.
Ces dark stores et dark kitchens montent en puissance, et, en même temps, on voit un renouveau des commerces de bouche dans la capitale. Est-ce parce que les cibles ne sont pas les mêmes ?
Au contraire, ce peut être les mêmes personnes qui vont chez le petit fromager et commandent en même temps sur une plate-forme. Il y a effectivement une montée en gamme et une diversification des petits commerces ; c’est d’ailleurs pour cela qu’ils résistent à la grande distribution. Mais les Parisiens sont des gens pressés, qui travaillent beaucoup. Sans oublier que notre société s’est numérisée.
Si Paris estime que ces dark stores et dark kitchens appauvrissent son paysage, nuisent aux riverains, n’est-ce pas en banlieue que ces lieux risquent, à terme, de s’implanter ?
C’est déjà le cas pour certains. Une vingtaine de dark stores et de dark kitchens existent de l’autre côté du périphérique. Mais ils sont implantés dans des villes de la première couronne. Là où la densité et le pouvoir d’achat des habitants est à peu près semblable à celui des Parisiens intramuros. N’oubliez pas que ces plates-formes reposent sur un temps bref de livraison. Elles ne peuvent donc pas trop s’éloigner de leur zone de chalandise.
Infos pratiques : l’étude « Drive piétons, dark kitchens, dark stores : les nouvelles formes de la distribution alimentaire à Paris » est à télécharger sur apur.org
Lire aussi : Des légumes aux fripes, on livre tout en vélo cargo
Lire aussi : Le commerce de proximité est un choix de société
Lire aussi : L’avenir du commerce de proximité passe par le vélo cargo
Lire aussi : Le Riders social club défend une autre éthique de livraison
Lire aussi : La gare de demain est une crèche comme les autres
24 mars 2022