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En 2050, vivrons-nous dans une Île-de-France au climat méditerranéen ?

La Promenade des Gorges de Franchard en forêt de Fontainebleau / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
La Promenade des Gorges de Franchard en forêt de Fontainebleau / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Après 2050, l'Île-de-France et Paris pourraient avoir soif alerte une nouvelle étude de l'OCDE. Une perspective qui pourrait cependant être atténuée grâce à certaines mesures que présente à Enlarge your Paris Sophie Lavaud, économiste spécialisée dans les sujets d'adaptation au changement climatique pour l'OCDE et qui a codirigé l'étude.

Vous venez de publier « Adapter l’Île-de-France aux risques de raréfaction de l’eau », une étude qui pointe le risque de sécheresse en Île-de-France dans les décennies à venir. Comment estimez-vous ce risque à court et moyen terme ? Est-il vraiment possible de faire des projections à l’horizon 2100 ?

Sophie Lavaud : Pour estimer les risques de sécheresse, nous avons utilisé des projections climatiques développées à l’échelle du bassin-versant Seine-Normandie. Ces projections permettent de calculer à l’horizon 2050 qu’une sécheresse similaire à celle de 1921 serait probable [la sécheresse de 1921 reste le record absolu en Europe, NDLR]. Pour se projeter en 2100, nous avons « dégradé », c’est dire amplifié, le scénario 2050. En parallèle, nous avons projeté les besoins en eau pour les activités agricoles et industrielles, pour la consommation des habitants et pour produire de l’énergie. En cas de fortes chaleurs, toutes ces activités seront impactées par les arrêtés sécheresse qui limiteront les prélèvements en eau ; mais aussi en raison de la perte de production agricole et des dommages sur le bâti dus à un assèchement des sols. Tous ces effets seront aggravés en cas de canicule, par exemple lorsque la production énergétique sera interdite pour éviter de perturber les écosystèmes. C’est le cas des réseaux de froid et de chaleur qui sont aujourd’hui utilisés pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et qui alimentent les hôpitaux de Paris, les musées, une partie des bureaux ou hôtels… Les effets seront encore plus importants en 2100, lorsque les sécheresses seront plus sévères.

Avec de telles perspectives, quel est l’avenir de l’agriculture francilienne, très axée sur les céréales et l’export, et grande consommatrice d’eau ?

En réalité, l’agriculture francilienne est peu consommatrice d’eau en comparaison d’autres activités économiques ou d’autres régions agricoles. En revanche, le secteur agricole est parmi les premiers exposés à la sécheresse du fait des risques liés à des sols secs (notamment provoqués par des fortes chaleurs et l’évapotranspiration) et par le risque d’interdiction de l’irrigation pour préserver les nappes. Les besoins d’irrigation devraient d’ailleurs augmenter pour faire face aux sécheresses des sols à venir. Pour anticiper ces risques, on pourrait mettre en place de nouvelles cultures ou nouvelles pratiques agricoles moins consommatrices d’eau, comme l’agroécologie.

Verra-t-on un jour la Seine, la Marne ou l’Oise à sec pendant les épisodes de canicule ?

Grâce au système d’écluses gérées par Voies navigables de France et au soutien des grands lacs réservoirs, on ne devrait pas voir de fleuves à sec comme cela a pu être le cas sur le Rhin en 2022. Dans le pire des scénarios de sécheresse envisagés, le débit de la Seine permettrait encore la circulation fluviale, à l’exception du transport fluvial sur les canaux alimentés par les rivières.

Les villes franciliennes ont longtemps été des villes fluviales. Ce décor auquel nous sommes habitués va-t-il changer si la sécheresse s’installe ?

Les projections climatiques pour la région Île-de-France montrent une tendance à la diminution des précipitations estivales et à une augmentation de l’évaporation et de l’évapotranspiration liées à la montée des températures. Cela pourrait s’accompagner de pluies plus intenses mais aussi plus courtes au cours de l’année, et donc moins efficaces pour la recharge des nappes et l’humidification des sols en amont des périodes estivales. Ces projections pourraient conduire à un allongement moyen de la période de sol sec de 2 à 4 mois par rapport à la période 1961-1990. À l’horizon 2050, le changement climatique pourrait créer des conditions de sécheresse similaires à celles observées sur le pourtour méditerranéen à la fin du XXe siècle. C’est donc un changement de décor important pour le territoire, mais si les sols deviennent clairement de plus en plus secs, le paysage fluvial francilien devrait peu en pâtir.

Quid de l’économie de la région ?

L’économie a commencé à s’adapter aux risques induits par les sécheresses et doit continuer à le faire de façon à limiter leur impact sur sa production en cas de restriction d’accès à l’eau. Pour l’agriculture, notamment, c’est stratégique. Il y a aussi un vrai enjeu de cohérence entre les politiques de développement urbain et économique, et la protection des ressources en eau. L’exemple de la production de froid et de chaleur en est un exemple, avec des solutions qui existent déjà pour ne pas relâcher l’eau « chaude » dans la Seine. Face au projet de réindustrialisation du pays, il est aussi nécessaire d’intégrer les enjeux d’eau dans un contexte de réchauffement climatique.

Il y a quelques très grandes réserves aquifères franciliennes qui approvisionnent les habitants en eau potable. Est-ce que l’on risque de les voir se dégrader, voire s’assécher ? L’eau potable va-t-elle devenir un bien de luxe ?

La nappe des calcaires de Champigny est une ressource d’eau souterraine essentielle en Île-de-France et elle est majoritairement alimentée par les pluies hivernales et des cours d’eau. Pour notre étude, nous l’avons prise comme référence pour projeter le niveau des nappes franciliennes et notre modélisation conduit à des niveaux qui la placeraient en situation de crise de la mi-avril à la fin décembre dans les scénarios 2050, et durant toute l’année d’ici à 2100. Il faut toutefois noter qu’une partie de la nappe est gérée de façon concertée et sur le long terme par l’association Aqui’brie afin d’anticiper les effets du changement climatique. Cette gestion pourrait s’adapter aux enjeux futurs. L’Île-de-France dispose aussi d’une nappe aquifère de plus de 100 000 km2, la nappe de l’Albien, une ressource stratégique très encadrée car non renouvelable qui permet potentiellement de porter secours aux Franciliens en cas de raréfaction de l’eau. Nos scénarios n’envisagent toutefois pas d’aller prélever dans l’Albien, les besoins d’eau potable basiques pour s’hydrater ne devant pas être affectés par les grandes sécheresses du XXIe siècle.

Quelles mesures peut-on prendre pour atténuer tous les risques que vous pointez ? À qui pensez-vous en priorité en produisant une telle étude et qui a les moyens d’agir ?

La première mesure à mettre en œuvre est d’améliorer la connaissance des risques en commençant par évaluer les déficits d’eau potentiels dans le cadre du changement climatique et de calculer la vulnérabilité des Franciliens, des activités économiques et des écosystèmes. Cette connaissance n’est en réalité que partielle aujourd’hui et on a clairement besoin de la développer pour anticiper les défis à long terme. Toutes nos actions et décisions publiques et privées devraient viser une baisse de la consommation d’eau. Les fuites d’eau sur les réseaux privés et publics doivent être surveillées et réparées. Il faut intégrer la protection de l’eau dans l’aménagement urbain, faire évoluer les pratiques agricoles, sensibiliser le secteur industriel, stimuler l’innovation et encourager des usages plus efficients. L’adaptation est l’affaire de tous, citoyens comme entreprises et décideurs politiques. Et l’anticipation est une nécessité. C’est pour cela que nous avons publié notre étude, qui, si elle s’adresse en priorité aux décideurs politiques, peut marquer l’opinion publique et la sensibiliser.

Infos pratiques : l’étude « Adapter l’Île-de-France aux risques de raréfaction de l’eau » est à télécharger ici

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