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« Ce que le confinement a souligné profondément, c’est une envie de nature »

Le bois de Clamart dans les Hauts-de-Seine le 16 à la veille du confinement / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
Le bois de Clamart dans les Hauts-de-Seine le 16 mars 2020 à la veille du confinement / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Professeur en écologie au Muséum national d'Histoire naturelle à Paris, Philippe Clergeau travaille sur les relations entre écologie et urbanisme, et notamment sur la manière dont la nature peut améliorer la vie des urbains. Il nous fait part de ses réflexions suite au confinement qui a vu de nombreux Grand-Parisiens se mettre au vert.

Lors du confinement on a vu s’exprimer un énorme besoin de nature chez les Grand-Parisiens avec des pétitions demandant la réouverture des forêts franciliennes et des parcs publics, le partage de photos d’espaces verts dans les réseaux sociaux… Un besoin que vous avez récemment souligné dans une tribune, « Confinement en ville : pourquoi l’accès à la nature est tout simplement vital »

Philippe Clergeau : J’ai été très marqué, à l’annonce du confinement, par le nombre de Parisiens partis en 24h se mettre « au vert ». Environ 20% ont fui Paris ! Ce n’est pas seulement l’expression d’une inégalité sociale mais aussi la preuve que la ville n’apporte pas à ses habitants tout ce dont ils ont besoin. Je repense aussi aux images des parcs comme les Buttes-Chaumont à la veille du confinement, avec des pelouses recouvertes de gens prenant le soleil. Pour moi, ce que le confinement a souligné profondément, c’est une envie de nature qui renvoie à l’intime de nos êtres, à un besoin viscéral. C’est cette tendance innée de l’Homme à se chercher des liens avec la nature que Edward Wilson a appelé en 1984 la biophilie. D’où le mal-être de tant d’urbains confinés.

Ce déficit de nature ne date pas de mars 2020…

En effet, et cela fait d’ailleurs des années que l’on parle de « remettre de la nature en ville », en vantant les « services » de dépollution et de lutte contre les îlots de chaleur que la « nature » rend aux urbains. Lorsque la ville de Paris a lancé le budget participatif, en 2014, tout le monde a été surpris par le succès des propositions de végétalisation de l’espace public, et l’irruption des projets d’agriculture urbaine. Le vote des habitants a été très clair ! On le sait depuis longtemps, les Grand-Parisiens ont une carence en espaces verts. On doit être à 6m² d’espaces verts par Parisien, loin des 12m² recommandés par l’Organisation mondiale de la santé.

A quand remonte cette coupure entre le monde urbain et la nature ?

Au XIXe siècle on avait encore les promenades du dimanche vers les petits villages de banlieue. La campagne n’était jamais loin. Ce lien a été rompu avec la révolution industrielle. Les usines ont colonisé la périphérie des villes, on a complètement minéralisé l’espace urbain, un phénomène amplifié au XXe siècle par l’étalement pavillonnaire et l’explosion de l’automobile. Le Paris haussmannien est beau mais très dense ! Depuis quelques années, la majorité de la population mondiale est urbaine. On peut dire que le lien est coupé dès la naissance. Il y a des enfants qui ne voient la « nature » qu’une fois par an, lors des vacances. La détresse liée au manque de vert est toujours là, mais on ne sait même plus la nommer tant on est déconnectés du monde naturel.

Voir aussi : Comprendre les espaces verts du Grand Paris en une infographie

Transhumance dans le parc Georges-Valbon à La Courneuve avec le troupeau des Bergers Urbains /  © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris
Transhumance dans le parc Georges-Valbon à La Courneuve avec le troupeau des Bergers Urbains / © Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris

Que peut-on faire pour remédier à cette situation ?

Il faut absolument penser un urbanisme qui renforce la biodiversité et ne réduise pas la nature en ville à un argument marketing. Prenons les parcs urbains : ils ont été inventés au XIXe siècle avec des éléments paysagers issus des codes culturels et statutaires de la bourgeoisie. Aujourd’hui on pourrait ouvrir les parcs jour et nuit, repenser leur aménagement pour permettre au maximum d’habitants d’en profiter. Il faut réfléchir à la voirie, à l’espace public, aujourd’hui littéralement trustés par les voitures. Heureusement, dans les grandes villes, cette domination recule, mais que va-t-on faire avec l’espace reconquis : des couloirs cyclables comme en cette période de déconfinement ou des espaces de sociabilité et de végétalisation ? Je pense au « permis de végétaliser » à Paris ou encore à Nantes où l’on a transformé le parking de la Place de la petite Hollande en pépinière urbaine. C’est un test que fait la municipalité pour habituer les habitants à la végétalisation, en attendant peut-être de casser le bitume et de planter en pleine terre. Il faut aussi planter des forêts urbaines avec des essences locales, pour renforcer les trames vertes. L’urbanisme de demain devrait favoriser encore plus le verdissement des villes, et pourquoi pas l’installation d’une biodiversité.

A l’échelle du Grand Paris, quels sont les défis à relever ?

D’un point de vue scientifique, écologique, on ne peut pas séparer Paris de la banlieue et de la région. Paris est le centre-ville de la métropole, et cet hyper centre doit être reconnecté par des trames vertes aux parcs et jardins de petite couronne ainsi qu’aux forêts et aux parcs naturels régionaux. Faisons attention à la surdensification en cœur urbain, qui fait hélas disparaître tant de jardins de pavillons et protégeons les sols agricoles et les zones humides d’un urbanisme commercial et logistique proliférant. Enfin, il faut que les propriétaires privés – et notamment les bailleurs sociaux qui sont de loin les premiers d’entre eux – adoptent des politiques de préservation de la biodiversité. Les jardins privés sont un maillon essentiel pour créer des couloirs verts en ville. 

Infos pratiques : Philippe Clergeau vient de publier Urbanisme et biodiversité aux éditions Apogée

Lire aussi : « Nous sommes en train de rompre avec une tradition urbanistique française qui négligeait la nature »

Voir aussi : La carte des forêts d’Île-de-France accessible en transports en commun