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Au-delà du périph, la culture passe sous les radars des médias

L'exposition « L’Océan de Léa » est à voir jusqu'au 28 février dans l’ancienne patinoire de Saint-Ouen / © Yann Vernerie
L’exposition « L’Océan de Léa » est à voir jusqu’au 30 mars dans l’ancienne patinoire de Saint-Ouen / © Yann Vernerie

On a beau être l'exposition la plus poétique du moment dans une ancienne patinoire ou bien la nécropole des rois et reines de France qui entame un vaste chantier, et pourtant ne susciter que très peu l'attention des médias. Une réalité vécue par de nombreux lieux culturels en banlieue qu'observe depuis une quinzaine d'années Renaud Charles, cofondateur et rédacteur en chef d'Enlarge your Paris.

C’est l’histoire d’un territoire de 10 millions d’habitants (12 millions si l’on ajoute Paris), soit autant que la Grèce ou le Portugal, mais qui pourtant reste en quête d’identité et de reconnaissance. Un territoire qui se fait appeler banlieue ou Île-de-France et que l’on réduit souvent à ses quartiers. Un territoire qui suscite de nombreux fantasmes mais à qui il manque encore un imaginaire partagé. Pourtant, si la culture du Grand Paris est encore naissante, le Grand Paris de la culture existe, lui, depuis longtemps, même s’il reste encore largement sous le radar des médias malgré ses quelque 800 lieux de spectacle et une centaine de festivals.

Dernier exemple en date : l’exposition « L’Océan de Léa » dans l’ancienne patinoire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). J’y suis allé un samedi et j’ai tout de suite été saisi autant par l’installation elle-même (un gigantesque océan tout en origami) que par le peu de visiteurs. Au bout de 10 minutes, nous n’étions d’ailleurs plus que deux à profiter de cette œuvre imaginée par le sculpteur et plasticien Junior Fritz Jacquet qui aura nécessité plus de trois mois de travail afin d’installer les 25 kilomètres de câbles, les 1 500 dalles de LED, les 4 kilomètres de ficelle et surtout pour donner forme aux 10 tonnes de papier transformées en vagues, en récifs, en végétaux et en animaux marins. De la pure poésie servie par une bande-son originale qui nous plonge 20 000 lieues sous les mers. Pendant plus d’une demi-heure, nous sommes restés à contempler cet univers, heureux de n’être que deux pour profiter de l’endroit, mais avec le sentiment une fois de plus que la banlieue n’était pas considérée.

« Ce manque d’intérêt, la patinoire de Saint-Ouen le partage avec une aînée elle aussi installée en Seine-Saint-Denis depuis des siècles : la basilique Saint-Denis »

C’est simple. Depuis l’inauguration de l’exposition en décembre, Google Actualités ne référence que quatre articles de presse : Sortir à Paris, Enlarge your Paris et depuis cette semaine Le Bonbon et Time Out. On peut facilement imaginer qu’une telle installation dans Paris intra-muros aurait déjà attiré la presse entière, peut-être même la presse internationale. La patinoire de Saint-Ouen n’est pourtant qu’à 1,5 km de la porte de Saint-Ouen (18e), elle est desservie directement par les lignes 13 et 14 du métro et elle permet ensuite facilement d’aller se promener dans les Puces (plus grand site d’antiquités au monde) ou d’aller s’attabler au Bouillon ouvert par le chef étoilé Thierry Marx juste à côté.

Ce manque d’intérêt, la patinoire de Saint-Ouen le partage avec une aînée elle aussi installée en Seine-Saint-Denis depuis des siècles : la basilique Saint-Denis. Alors que Notre-Dame accueillait plus de 10 millions de visiteurs par an avant son incendie, celle qui sert de nécropole aux rois et reines de France (et qui entame un vaste chantier pour faire renaître sa flèche) n’attire pas plus de 150 000 visiteurs chaque année. Comble de l’ironie, en seulement deux matchs de foot ou de rugby, le Stade de France fait se déplacer 160 000 spectateurs à Saint-Denis. Et à 10 km de là, toujours sur l’île de la Cité (1er), la Sainte Chapelle a reçu 1,2 million de visiteurs en 2024.

Pourquoi donc la culture outre-périphérique suscite toujours aussi peu l’attention médiatique ? On pourrait d’ailleurs établir un parallèle avec la gastronomie. Sur les 137 restaurants étoilés Michelin en Île-de-France, seuls 16 sont en banlieue. 16 pour 10 millions d’habitants (le nombre d’habitants de l’autre côté du périph), c’est presque 10 fois moins que la région Auvergne-Rhône-Alpes qui compte 8 millions d’habitants et 100 tables étoilées.

« Sans information, il est impossible de s’approprier son territoire »

Nombreux sont les urbanistes qui prédisent un futur polycentrique au Grand Paris. Il est clair que le Grand Paris Express va faire bouger les frontières de Paris. Mais l’information jouera un rôle clef. Car, sans information, il est impossible de s’approprier son territoire. Or il suffit d’interroger Google Trends pour se rendre compte qu’une certaine résignation a gagné les banlieusards. Ils sont très peu à chercher des informations pour sortir dans leur ville, y compris celles qui font partie du top 50 des communes les plus peuplées en France. Les graphiques sont éloquents lorsqu’on les compare à Paris.

© Google Trends
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© Google Trends
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Si les médias ne viennent pas à la banlieue, c’est donc la banlieue qui doit aller aux médias. C’est ce que nous avons entrepris il y a maintenant un peu plus d’un an avec le hashtag #enlargeyourparis, pour partager des informations et des images sur l’outre-périphérique via une sélection hebdomadaire sur Instagram. Certes, le fossé à combler avec Paris reste immense. 146 millions d’images ont été produites sous le hashtag #paris contre 107 000 sous le hashtag #grandparis et 137 000 sous le hashtag #banlieue. Il s’agit donc encore et toujours de tisser un autre imaginaire de la banlieue, qui ne soit ni misérabiliste ni soporifique, pour qu’enfin on s’intéresse à ce qui s’y passe de bien.

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