Elle a ouvert Bonne aventure, l'une des bonnes adresses food des Puces de Saint-Ouen. Après une parenthèse à Nantes, Alcidia Vulpeau a choisi de revenir en Seine-Saint-Denis, un département qu'elle a vu changer et qui continue sa mue avec l'arrivée de la ligne 14 du métro et à terme des lignes 15, 16 et 17 du Grand Paris Express.
Ce reportage s’inscrit dans le cadre d’une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes le long de la ligne 14 du Grand Paris Express, réalisés en partenariat avec la Société des Grand Projets
On s’est donné rendez-vous à la sortie de la station de métro Mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), un mercredi à midi. Alcidia voulait nous faire tester un de ses restos préférés, une sandwicherie kurde « où se mêle public populaire, salariés et bobos ». Problème, midi, c’est l’heure de pointe ! Une demi heure d’attente pour commander, autant pour être servis. Et c’est pareil dans les autres bonnes adresses du coin. D’ailleurs on s’étonne qu’Alcidia puisse se rendre disponible un jour de semaine à l’heure du coup de feu. « Le mercredi est mon jour de repos hebdomadaire. Sinon, je serais aux fourneaux. »
Son restaurant, Bonne aventure, est une institution des Puces de Saint-Ouen. Elle y propose une « bistronomie joyeuse et décomplexée, facile d’accès ». Un petit café où chiller toute la journée vient aussi d’ouvrir ses portes juste en face (Café Jaune, au 96 rue des Rosiers). On se promet d’ailleurs d’y aller à la publication de l’article. En attendant, pour échapper à la foule, on file vers les Docks, à 200 m du métro, juste derrière le siège de la Région Île-de-France. En longeant les immeubles R+8 flambants neufs, difficile d’imaginer qu’il y a 50 ans on fabriquait ici des pièces de train dans les usines d’Alstom. Alcidia replonge dans sa mémoire. « Les Docks de Saint-Ouen, avant c’était un gigantesque camp rom, ma mère qui était médecin venait aider les femmes à accoucher. Je vois bien que tu as du mal à y croire. »
« À l’époque, on avait une image très négative de la Seine-Saint-Denis »
On se pose devant le grand parc des Docks, un espace vert créé il y a 15 ans en front de Seine, à la terrasse d’une épicerie bio et élégante qui fait aussi de la restauration légère. Évidemment, les patronnes reconnaissent Alcidia. Ça parle boulot, bonnes adresses, trajectoire d’anciens salariés. On attaque le repas, et l’entretien. Pour Alcidia, la création d’un resto à Saint-Ouen il y a 8 ans, c’est un retour aux sources : elle a grandi ici. « A l’Île-Saint-Denis, que l’on voit de l’autre côté de la Seine. » Ses années lycée, c’est à Paul Éluard, à Saint-Denis, à côté de l’université, Paris XIII. « À l’époque, on avait une image très négative de la Seine-Saint-Denis, de Saint-Ouen et de tout ce territoire. On disait que c’était dangereux, et surtout que ce n’était pas intéressant. C’était le bout de la ligne 13, là où il ne se passe jamais rien. »
En 2005, une fois le bac en poche, Alcidia a envie d’aller voir ailleurs. « Le côté village ou tout le monde se connaît, c’était un peu étouffant. » Direction Nantes pour y faire les Beaux-Arts et des premiers boulots l’édition avant de comprendre que finalement c’est la cuisine qui l’attire. « Au début des années 2010, la cuisine française était encore une gastronomie de classe, aux prix inabordables, avec des codes pour initiés, quand quelques chefs qui sortaient de brigades de maisons étoilées ont fait exploser tout ça. J’en ai rejoint un. »
Alcidia passe un CAP cuisine et fait ses classes dans un temple de la néo-bistronomie, Le Frenchie, rue du Nil (2e), avant de décider de se lancer. Mais où ? « Je bossais à Paris mais j’habitais Saint-Ouen. Pour moi, c’était ici l’avenir. Je voyais l’émulation, le début d’une transformation. Mes associés n’étaient pas très convaincus, au début, même si l’un d’entre-eux connaissait bien Mains d’Oeuvres juste à coté. Mais moi j’observais une banlieue qui s’ouvrait notamment grâce aux transports en commun, entraînant une plus grande mixité des publics. Tout d’un coup mon territoire d’enfance devenait un point de rencontre alors qu’avant c’était un lieu d’arrêt, un lieu de sommeil. »
« Si tu ratais le dernier RER, tu étais mal, tu rentrais à pied ou tu attendais cinq heures du mat’ »
Une fois le café avalé, on se dirige vers le métro. On traverse Communale, ancienne halle industrielle transformée en food court géant. Alcidia s’arrête, pensive. « Entre 2000 et 2010, on n’avait pas vraiment d’endroit où se poser pour boire un café à Saint-Denis. Le soir, le seul endroit accueillant, c’était le Café culturel à Saint-Denis. Il y avait du slam. Grand Corps Malade y a fait ses débuts. Quand on voit tout ce qui nous entoure aujourd’hui, est-ce qu’on peut y croire ? » On sent une pointe de nostalgie et de sidération à la contemplation du quartier tout neuf, dont quand même l’architecture, trop lisse, ne lui plaît pas.
Sur les quais de la ligne 14, en attendant la rame, Alcidia évoque la gare de Saint-Denis où elle prenait le RER D, adolescente. « Si on avait envie de faire un truc, on allait à Paris. Avec la ligne 13, et surtout avec le RER D. On était en 5/10 minutes à Gare du Nord et en 15 minutes à Châtelet. Châtelet-les-Halles, c’était le lieu le plus intéressant du monde. Le plus important dans nos vies. Par contre, si tu ratais le dernier RER, tu étais mal, tu rentrais à pied ou tu attendais cinq heures du mat’. »
Et la ligne 14, ça a changé quoi ? « Je rentre de vacances. Je suis allée directement d’Orly à Saint-Ouen en 47 minutes. C’est incroyable. C’est une révolution en termes de confort, de simplicité, de déplacement surtout avec un enfant en bas âge. Tu veux prendre l’ascenseur ? Il fonctionne ! Tu loupes le train, il y en a un 2 minutes plus tard ! Ça me rappelle le jour où j’ai pris pour la première fois la 14 depuis la mairie de Saint-Ouen, pour aller à Paris, à Pyramides dans le quartier japonais que j’aime énormément. Pouvoir faire ce trajet en 17 minutes, c’était fou. A ce moment-là, j’ai réalisé que Paris commençait ici. »
« Maintenant on m’appelle au moins une fois par semaine pour me dire : est-ce que tu peux me donner des infos ou des adresses à Saint-Ouen ? »
Nous sortons au terminus de la 14. Enfilade d’escalators, direction le parvis. La gare de Saint-Denis – Pleyel, comme beaucoup d’habitants du coin, elle n’y était pas encore allée. Son ouverture s’est faite juste avant les JO et pendant l’été olympique le quartier était bouclé. Alcidia découvre, stupéfaite, les dimensions de la gare, avec devant nous la tour Pleyel refaite à neuf. Elle regarde attentivement la carte du réseau Île-de-France mobilité, où la future ligne 15 Sud du Grand Paris Express apparait en pointillés. « On m’a dit que d’ici quatre ou cinq ans, ici ça allait devenir la nouvelle Gare du Nord ». Je la corrige un peu. On parle plutôt de Châtelet-les-Halles du Grand Paris.
On finit la balade en prenant le FUP, pour Franchissement Urbain de Pleyel, une passerelle ouverte depuis juin 2024 qui relie la gare de Saint-Denis – Pleyel et la gare RER D Stade de France – La Plaine. « FUP ? Il faudra vite lui donner un nom plus sympa, moins techno. » En regardant vers Paris, avec les trains qui filent à nos pieds, on profite du spectacle, une vue superbe sur la butte Montmartre(18e) et l’immanquable Sacré-Cœur. « Maintenant on m’appelle au moins une fois par semaine pour me dire : est-ce que tu peux me donner des infos ou des adresses à Saint-Ouen ? Est-ce que c’est aussi bien qu’on le dit ? Et je pense à chaque fois : c’est encore mieux que se que pourriez imaginer, les amis. »
Infos pratiques : Bonne aventure, 59, rue des Rosiers, Saint-Ouen (93). Ouvert les jeudis, vendredis et samedis de midi à 15h et de 18h à minuit, le dimanche de midi à 15h et de 18h à 21h, le lundi de midi à 15h. Formule du midi à partir de 22 €. Tél. : 01 49 48 09 69. Accès : métro Garibaldi (ligne 13). Infos et réservation sur bonneaventure.fr
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5 novembre 2018 - Saint-Ouen