Pendant six ans, le photographe Jean-Fabien Leclanche a capté l'ambiance de sa ville à l'aide de son iPhone. Il nous raconte sa démarche alors qu'est organisée une expo de ses clichés jusqu'au 2 janvier à Montreuil.
Un jour, quelqu’un m’a posé pour la énième fois la sempiternelle question : « Quoi de neuf ? ». Plutôt que de répondre par les banalités d’usage, je me suis interrogé. J’ai abouti à la conclusion qu’il n’y avait rien de palpitant dans ma vie à cette période. Et ça, je ne l’ai pas accepté. J’ai donc décidé de me rendre disponible au monde qui m’entoure, en l’occurrence Montreuil, où j’habite depuis près de 20 ans.
Les villes ne sont pas toujours amicales. Elles ont tendance à être pesantes, à rendre la vie répétitive. Mais elles offrent un environnement beaucoup plus fertile qu’on ne le croit, à condition de prendre le temps de regarder au lieu de voir. Ce que j’ai fait six ans durant avec trois générations d’iPhones. J’ai débuté ce travail en 2009 alors que la culture mobile first n’existait pas. Instagram ne jouait pas encore le rôle central qu’il occupe actuellement et le selfie n’avait pas encore engendré d’accidents mortels.
Je n’ai pas tout de suite compris le sens de ma démarche puisque c’est mon quotidien que j’ai commencé par photographier. Pour lutter contre l’ennui et la routine mais surtout par intérêt pour le potentiel créatif que les premières générations de smartphones démontraient déjà. Nous ne le savions pas encore mais le smartphone, iPhone en tête, allait durablement bousculer l’industrie des fabricants d’appareils photos et influencer l’écriture photographique en apportant une nouvelle forme de liberté dans son expression. La photographie entrait à la fois en crise et dans une nouvelle ère. Pendant ce temps je me baladais le nez au vent, iPhone 3Gs en main dans les rues de Montreuil. Les premiers capteurs iPhone étaient d’assez mauvaise facture, le rendu sans commune mesure avec ce que pouvait proposer le mythique N95 de chez Nokia et son optique Zeiss F2.8.
J’ai donc cherché à la fois un moyen de contourner cet obstacle et une signature qui me permettrait d’apporter de l’unité à l’ensemble de mes prises de vues. Pas du tout fan des premières versions de l’application Instagram dont je trouvais les rendus médiocres – avant même de réfléchir à l’aspect social de l’outil – je me suis alors rabattu sur Hipstamatic, une toute jeune application qui me semblait à tort ou à raison tirer le meilleur parti possible des capteurs photos Sony embarqués par les produits Apple. Hipstamatic offrait un avantage : celui d’apporter une signature graphique, un carré de couleur légèrement verdâtre ou un noir et blanc fortement contrasté, identiques pour tous mes clichés d’alors. Ainsi je pouvais encapsuler une histoire toujours différente dans un écrin identifiable.
La pratique de la photographie mobile a agi comme un véritable révélateur. Elle m’a permis de prendre conscience du monde. Dans une société dominée par l’attention et le temps réel j’ai réappris à vivre le temps présent. En consacrant une petite seconde supplémentaire aux choses et aux gens, je me suis rendu compte de l’extraordinaire richesse, des trésors incroyables qui sont à notre portée. L’écran du smartphone est un formidable outil pour capturer ces instants. Pendant des mois j’ai donc photographié avec gourmandise : de l’urbain, de l’humain. De l’essentiel, du futile. Sans ordre de priorité, je suis resté disponible à toutes formes de stimuli susceptibles de fixer mon attention.
Montreuil est une ville pleine de paradoxes, une terre de contraste. Elle se conjugue au pluriel et sur une large bande passante. 88 nationalités et toutes les religions forment le tissu social et culturel de la quatrième plus grande ville d’Île-de-France. Montreuil est un bastion de la gauche, de vieille tradition anarchiste. Qui s’y frotte s’y pique parfois. Alors pratiquer librement l’exercice de la photographie de rue peut s’avérer complexe. Dans ce cadre le smartphone devient un atout. Surtout si l’on veut apporter un témoignage honnête et spontanné, découvrir et partager les visages de l’identité montreuilloise. Les bobos, les musulmans, les Maliens, les gitans, les rockers, les graffeurs : tous composent la mosaïque du Montreuil d’hier et d’aujourd’hui. Et c’est cette richesse, ce pluralisme, ce récit montreuillois que Good Morning Montreuil donne à voir de façon bienveillante, généreuse et candide.
Publié une première fois en septembre 2015 aux Éditions de Juillet, Good Morning Montreuil n’était pas un projet prémédité, conceptualisé, écrit par avance, produit pour l’édition. Pas plus que ces photos candides n’avaient pour vocation à devenir un livre ainsi qu’une exposition. Elles ne dressent pas un panorama exhaustif de la vie montreuilloise car il ne s’agit ni d’un inventaire exact ni de photojournalisme. Good Morning Montreuil est le reflet de la vie quotidienne d’un passant anonyme qui, au fil des mois, a fini par fixer la mémoire éphémère de sa ville.
Exposition « Good Morning Montreuil », du 18 novembre au 2 janvier, 1 rue Kléber, Montreuil (93) – Métro : Croix-de-Chavaux (ligne 9), sortie Jacques-Duclos. Entrée libre. Vernissage vendredi 18 novembre à partir de 18h. Plus d’infos sur www.montreuil.fr
18 novembre 2016 - Montreuil