Scotché devant un portrait de Che Guevara dont les yeux sont cachés par des lunettes de soleil frappées du sigle du dollar, un sexagénaire s’extasie : « C’est pas tous les jours qu’on voit ça près de chez nous! ». « Ça », en l’occurrence, ce sont plus de 200 pièces issues de la collection de François Berardino – dit « Beru » – consacrée au street artiste Banksy et exposées à la Grande Borne à Grigny (Essonne). La cité conçue par l’architecte Emile Aillaud – on lui doit également les « tours Nuages » à Nanterre (Hauts-de-Seine) ou la Courtilière à Pantin (Seine-Saint-Denis) – fête cette année ses cinquante ans. Pour l’occasion, « il fallait faire un coup d’éclat », résume Alexandre Ribeyrolles, directeur de l’association La Constellation, coorganisatrice de l’événement avec le bailleur de la Grande Borne, Les Résidences et la ville de Grigny.
Et voilà comment Banksy se retrouve au beau milieu de l’Essonne… Dans ce qui était l’ancien centre technique municipal, on retrouve un riche échantillon de son univers : plusieurs pochoirs produits pour des collections privées ; un masque de singe utilisé par le street artiste pour rester incognito ; et de nombreuses pièces de merchandising produites en série très limitée, comme ce ballon « I am an imbecile » donné gratuitement aux enfants de moins de quatorze ans venus visiter « Dismaland », le parc d’attractions foncièrement déprimant que Banksy avait ouvert à la fin de l’été 2015 dans la banlieue de Bristol (Angleterre). Ou encore cette serviette à thé sérigraphiée à 400 exemplaires pour le Jubilé de la Reine en 2012 : les lettres ER se détachent sur fond de drapeau de l’Union Jack dont les couleurs bavent. On trouve même les accroche-portes dessinés pour l’hôtel Walled Off ouvert par l’artiste en 2017 à Bethléem (Cisjordanie), juste devant le mur de séparation édifié par le gouvernement israélien.
Histoire d’une rencontre
C’est en 2007 que Beru tombe dans la collectionnite du travail de Banksy. Le comédien donne alors un spectacle de rue à Londres. Perdu dans Camden, il croise une bande de trentenaires qu’il convie à la représentation. Après le spectacle, l’un d’eux lui explique qu’il est artiste et lui propose de visiter son atelier. « On y va, et tout ce que je vois me fait marrer. Il y a des rats, des singes, beaucoup de travail au pochoir… Dans mon pauvre anglais, je lui dis « it’s cool », « it’s great ». Et il me propose de choisir deux dessins. J’en prends un qui représente un rat avec un appareil photo et un autre avec deux policiers où est inscrit « Fuck the police ». Je les roule dans mon sac à dos. » Quelques mois plus tard, chez un ami, Beru feuillette Wall and Piece, un livre de Banksy. Et ne tarde pas à faire le rapprochement avec le mystérieux artiste croisé à Londres.
« Comme un détective », il se met alors à chercher les affiches, T-Shirts, pochettes d’album réalisés par Banksy. Pas évident tant la cote de l’artiste monte en flèche au fil des ans. Mais, à force d’acharnement, la collection grossit. « Banksy, c’est un vrai personnage de fiction. Robin des Bois, Zorro, comme on veut. Ce que j’aime, c’est qu’il y a toujours deux pôles dans son travail : une dimension brutale et une dimension poétique. Il y a plusieurs niveaux de lecture dans son oeuvre. A chacun de choisir le sien. Lui a choisi le camp des opprimés, mais il laisse au spectateur la possibilité de se ranger où il veut », éclaire Beru.
D’ailleurs, le collectionneur prend soin de rester dans l’esprit de l’artiste : l’exposition est gratuite et les bénéfices réalisés sur les quelques produits dérivés – affiche, catalogue – sont reversés à l’association S.O.S Méditerranée qui vient en aide aux réfugiés. Une fois l’exposition visitée, on aurait tort de ne pas poursuivre la balade dans le quartier de la Grande Borne qui dispose d’un beau parcours stree -art avec des oeuvres de Shaka, Mademoiselle Maurice ou Teurk. En tout, pas moins de onze étapes dont le parcours, sous forme de plaquette, est disponible à l’expo Banksy.
Papy et Mamie, l’armée des ombres de Banksy
Mais d’ailleurs, que dit Banksy de cette exposition qui lui rend hommage ? Une chose est sûre : à l’heure où nous écrivons ces lignes, la manifestation n’est pas « dénoncée » sur le site officiel de l’artiste qui recense les expositions se réclamant abusivement de lui, le tout pour des tarifs d’entrée rondelets. « S’il n’est pas encore au courant de l’exposition, il ne va pas tarder à l’être », estime Beru. Pour Alexandre Ribeyrolles, le street artist est d’ores et déjà informé. Il en veut pour preuve cet étrange couple de seniors venus au tout début de la manifestation. Les deux personnes à l’accent étranger ont pris en photo chacune des pièces exposées avant de prétendre ne pas du tout connaître Banksy. Alexandre Ribeyrolles fait une moue dubitative : « Quand même, venir ici « par hasard », sans être au courant de l’exposition et tout prendre en photo… C’est un peu bizarre, non ? » Banksy envoyant des seniors en sous-marin à Grigny pour checker une exposition ? Après tout, pourquoi pas… Le street artist n’est plus à une fantaisie près.
Infos pratiques : Exposition « Banksy Humanité Collection » aux Ateliers du Théâtre et des Arts, face à la place du Damier (à l’entrée de La Grande Borne), Grigny (91). Du 28 juin au 10 juillet de 14h30 à 20h. Entrée libre. Accès : Gare de Grigny-Centre RER D puis 15 mn de marche ou bus bus 402 arrêt Place du Damier. Plus d’infos sur la-constellation.com
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1 juillet 2021 - Grigny