Jusqu’aux Jeux olympiques, le journaliste John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.
« Eh bien, voilà notre première ! » Le ciel est bas en ce matin de mars dans la forêt de Rougeau mais, au bord de notre chemin de boue, un petit soleil vient de se lever. Une jonquille sauvage. Perchée sur une tige gris-vert, courte mais costaude, elle a, comme Paris, sa petite et sa grande couronne, jaune citron et sorbet citron pour ce qui la concerne. Une jonquille, une seule, mais nous nous mettons à espérer, Valentine Diguet et moi. Elle, une ethnobotaniste que j’ai pu persuader de venir m’accompagner dans cette virée pré-printanière en Seine-et-Marne.
Jusqu’ici, ça n’a pas été brillant. Même si, avec une guide comme Valentine, on découvre des petites merveilles dans une verdure d’apparence peu prometteuse. Comme les bourgeons des ronces qui poussent ici comme dans La Belle au bois dormant. Tu les prends, tac ! Si ses bourgeons sont suffisamment petits et si les feuilles n’ont pas encore commencé à sortir, ils sont bons à manger. Comme beaucoup de plantes sauvages comestibles, le goût est fort, étrange et plein de puissance végétale, sans commune mesure avec ce que l’on peut acheter chez le maraîcher.
Mais bon, on n’a pas fait une heure de RER D pour les ronces. On marche encore, dans une absence totale de jonquilles. Les Parisiens de la première moitié du siècle dernier aimaient quitter la suie de la capitale pour marcher, au printemps, dans des tapis de jonquilles, jacinthes, violettes, primevères, pervenches et muguet. Les jonquilles sauvages, il y en avait beaucoup jadis. On les trouvait dans les prairies aujourd’hui disparues sous la charrue ou sous le bitume. Maintenant, on ne les trouve que dans un petit nombre de bois comme celui-ci. Enfin, en principe…
Nous marchons encore un peu, regardons à gauche, regardons à droite, commençons à penser que les Narcissus pseudonarcissus sont déjà passés, que nous arrivons trop tard. Et puis, là, sous les chênes, encore deux trompettes jaunes ! Deux trompettes qui s’élèvent pour sonner le début de la chasse ! La chasse aux jonquilles sauvages ! La chasse à la fleur qui chasse l’hiver ! Et, soudain, elles sont partout. Un tapis de fleurs d’or qui nous éloigne du chemin, qui nous mène dans la forêt, un tapis qui se déroule encore et encore sous les arbres, à perte de vue.
« La jonquille est l’une des premières fleurs de l’année avec la primevère et le coucou »
Depuis longtemps, j’ai dans un coin de ma tête d’Anglais un bout de poème très connu de ce peuple particulièrement naturophile : « J’errais solitaire comme un nuage […], écrivait Wordsworth, Quand tout à coup je vis une nuée, une foule de jonquilles dorées. » Maintenant, enfin, je les vois comme il les a vues. « Daffodils ! Daffodils ! »
« La jonquille est l’une des premières fleurs de l’année avec la primevère et le coucou. Elle symbolise la venue du printemps, le retour à la vie après l’hiver », m’indique Valentine. Avant de s’offrir le muguet, me dit-elle, on s’offrait des bottes de jonquilles. Même si elles n’ont pas vraiment de parfum, elles sentent la fraîcheur du printemps.
Nous sommes revenus à notre sentier devenu maintenant chemin enchanté traversant une forêt dont le sol est couvert de jonquilles. Valentine me parle de l’amour des fleurs. « Fleuri », « fioriture » sont des mots qui désignent le décoratif, le superficiel, le superflu. Mais le lien entre les hommes et les fleurs est tout autre. « Les fleurs, c’est la vie », me déclare-t-elle. Le monde végétal se reproduit presque entièrement grâce aux fleurs (seules les fougères, mousses et algues se débrouillent autrement). « Presque tout ce qu’on mange provient directement ou indirectement des plantes à fleurs », me rappelle Valentine. Même les graminées – comme le blé, par exemple – ont des fleurs. C’est juste qu’elles sont discrètes. Leurs graines étant disséminées par le vent, elles n’ont que faire de l’arsenal de séduction que déploient les fleurs ayant besoin des insectes pour leur pollinisation.
Notre rapport aux fleurs, cependant, ne se résume pas à l’utilitaire. Surtout les belles fleurs de printemps qui sont, souligne Valentine, quasiment toutes toxiques, parfois mortellement (ingérer un brin de muguet peut arrêter le cœur). Les fleurs sont parfois comestibles – comme le lamier pourpre, qui donne un petit goût de champignon aux salades ou les petites blanches de l’alliaire qui sentent l’ail frais –, mais les fleurs sont surtout une nourriture pour l’âme et ceci depuis les débuts de la civilisation.
On trouve du jasmin et des chrysanthèmes dans les tombes des momies égyptiennes, et les Romains offraient des fleurs aux dieux et en tressaient des couronnes. Dans la tradition chrétienne, les fleurs – surtout blanches – participent à la sacralisation de toutes les étapes de la vie alors que, depuis au moins les chevaliers du Moyen Âge, on sublime l’amour en offrant des fleurs. Sublimation relative, toutefois, quand on se rappelle la fonction de la fleur qui sert d’organe reproductif. Les fleurs, c’est l’innocence dans le désir, le désir dans l’innocence, le jardin d’Adam et Ève.
« Ce qui séduit les pollinisateurs de fleurs (la couleur, le parfum) nous séduit aussi », révèle Valentine Diguet. Et nous, les humains, nous en servons pour séduire. Nous mettons leurs parfums dans nos parfums, nous nous parons de motifs floraux ou même de fleurs. Les fleurs, c’est l’épanouissement de la vie. Plus tard, les feuilles des arbres leur feront trop d’ombre, mais au printemps…
Cueillir or not cueillir, that is the question
Les jonquilles sauvages, c’est bel et bien dans cette petite forêt de Rougeau qu’il faut venir les admirer, de même que les pervenches, ces belles fleurs violettes à feuilles sombres et brillantes. Dans d’autres forêts franciliennes, celles par exemple des Buttes rondes à Poigny-la-Forêt (Yvelines), de Meudon (Hauts-de-Seine), de Versailles (Yvelines), de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), de Ferrières (Seine-et-Marne) et de L’Isle-Adam (Val-d’Oise), on trouve aussi des violettes et des primevères. Et dans quelques jours fleuriront les premières anémones sylvies, les jacinthes des bois, les coucous. Suivra vers le mois de mai le muguet qui parfume la forêt de Rambouillet (Yvelines).
Dans la forêt de Rougeau, nous sommes sur le chemin du retour, toujours entourés de jonquilles, et Valentine se fait un bouquet pour le rapporter à Paris. Faut-il cueillir ou pas ? Il y a des inconditionnels du non comme Alain Baraton, le jardinier du parc du château de Versailles et chroniqueur sur France Inter, pour qui ramasser un brin de muguet est un sacrilège. Pour certaines fleurs d’ailleurs, la cueillette est formellement interdite, comme pour la plupart des orchidées sauvages dont on trouve tout de même 130 espèces en France. Pour les autres, en région parisienne, une cueillette « familiale », c’est-à-dire une botte qui tient dans la main pour un usage personnel, est tolérée. Dix à quinze tiges de jonquilles sauvages pour égayer son T2, on peut. Si c’est beaucoup plus, les gardes forestiers peuvent sévir.
« Surtout, dit Valentine, il faut être conscient de ce que l’on fait. Les jonquilles, ce sont des plantes à oignons. Il ne faut surtout pas arracher les bulbes. » Si on prend la tige (avec la fleur dessus, on est bien d’accord), on laisse donc l’oignon pour que la fleur repousse l’année suivante. En tout cas, cueilleurs ou pas cueilleurs, tout le monde peut être d’accord : le meilleur endroit pour voir les fleurs sauvages, c’est dans la nature. Venez donc dans la forêt, Grand-Parisiens, la saison des fleurs a commencé !
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18 mars 2024