En avril était désignée la société qui gérera Vélib’ pour les 10 ans à venir. Ç’aurait pu être une formalité pour JC Decaux, candidat à sa propre succession. Le géant de l’affichage publicitaire en ville a en effet lancé le Vélib’ à Paris en 2007, et en a fait un énorme succès populaire et industriel. 300.000 abonnés, 100.000 locations chaque jour, soit jusqu’à un tiers des déplacements à vélo dans Paris. Bref, un carton. JC Decaux abordait donc la compétition avec le légitime sentiment du devoir accompli. Et badaboum, Smoovengo, le challenger, une “start up” de Montpellier, épaulée par un transporteur espagnol et un fabricant de vélos, raflèrent la mise à l’issue d’une sérieuse empoignade médiatico-juridique. Il faut dire que le Vélib ‘est un contrat qui pèse lourd, tant sur le plan financier que symbolique.
Un nouveau Vélib suréquipé
Sitôt remporté la timbale, Smoovengo, qui opérera à partir de janvier 2018, annonçait tout un tas de nouveautés. Le prochain Vélib’ sera plus léger. Il sera plus difficile de le voler (un vrai problème qui pèse lourd sur les comptes du service, et donc au final, sur la bourse de l’utilisateur). On pourra le déverrouiller avec son smartphone. Un écran permettra de calculer son itinéraire. Avec une prise USB placée dans le guidon, on pourra recharger son portable. Surtout, une version électrique permettra d’attaquer avec plus de sérénité ses rencarts du côté de Belleville et du Trocadéro. Quant aux 20.000 “vieux” Vélib’ de JC Decaux, on a appris qu’ils seront pour partie recyclé en boîtes de conserve. Ce qui a un petit côté surréel et un rien bravache.
Côté stations, les actuelles gares à Vélib’ sont la propriété de JC Decaux, qui doit toutes les démonter d’ici à Noël. Elles seront remplacées par des stations qui feront quelques heureux : on pourra en effet déposer son vélo même quand il n’y a plus de places grâce à un système qui permet d’attacher les vélos entre eux. Fini les longues pérégrinations à la recherche d’une borne libre.
Vélib’ ou la lente conquête de la banlieue
Parmi toutes les nouveautés, il y a en une qui va profondément changer la donne, et pas seulement rendre les parcours plus agréables. Vélib’ va passer pour de bon le périph’, faisant fi d’une décision de justice qui bloquait jusqu’à maintenant la construction de stations à plus de 1,5 km de Paris. “A l’époque du lancement de Vélib’, certains maires de banlieue, parfois d’un bord politique différent de celui de Bertrand Delanoë, n’ont pas saisi son appel à lancer avec lui le service », se souvient Pierre Serne, ancien vice-président aux transports de la Région Île-de-France (sous l’étiquette EELV) et désormais président du Club des Villes et Territoires Cyclables, un lobby pro-cycles. Comme Vélib’ est très vite devenu un énorme succès populaire, des maires de petite couronne ont rapidement demandé à installer le service chez eux. Paris semblait d’accord mais un rival malheureux de JC Decaux a bloqué l’affaire par tout un tas de recours juridiques. Il faut dire qu’à l’époque, le contrat Vélib’ était fusionné avec celui de l’affichage publicitaire à Paris.
L’affaire est allée jusqu’au Conseil d’Etat, lequel a interdit de poser des stations Vélib’ à plus de 1,5 km du périph’. Ce qui correspondait à une extension de service de 10%, le maximum possible. “Et c’est ainsi que dans ma ville, Montreuil, Vélib’ s’est arrêté à la moitié ouest de la commune, souligne Pierre Serne. Vélib’, dans sa première version, a provoqué une grosse frustration chez les habitants de banlieue, qui dans leur majorité n’ont pas pu en profiter”.
Un service élaboré avec les villes de banlieue
Mais le Vélib’, “en dépit de la faiblesse de sa présence extra périph’, a jeté les bases d’un système métropolitain”, estime Nicolas Rolland, de la Métropole du Grand Paris (MGP), le regroupement des maires de Paris et de la petite couronne. Du coup, le renouvellement du contrat en 2017 a été l’occasion de tout remettre à plat. A commencer par la séparation des contrats de la pub à Paris et du vélo en libre-service. Et pour que Vélib’ ne soit plus identifié à la Mairie de Paris, sa gestion a été confiée au Syndicat Autolib’ métropole, devenu en décembre dernier le Syndicat Vélib’ Autolib’ métropole. « Lorsque s’est profilé le renouvellement du marché, il a été décidé de prendre en compte les besoins des habitants de banlieue. 40 villes ont rejoint Paris pour élaborer le cahier des charges du Vélib’ nouvelle mouture », précise-t-on au Syndicat Autolib’ Vélib’.
En sont sorties plusieurs innovations prenant en compte le contexte des villes de banlieue où la bicyclette n’est pas toujours une « petite reine ». Le vélo avec assistance électrique (30% du futur parc) “permettra de passer de distances moyennes de 2 ou 3 km à plus de 10 km. Son déploiement est d’autant plus important qu’il y a un vrai “effet plateau” dans la métropole », souligne-t-on à la MGP. Jusqu’à maintenant Vélib’ était à 80% sur le plat, ce qui n’est pas le cas du nouveau périmètre métropolitain. Il suffit de penser à Romainville, Suresnes, Meudon et à leurs charmantes petites côtes. « Si au départ des discussions avec les autorités de tutelle la part du vélo électrique n’était pas bien définie, elle n’a cessé de se renforcer, notamment en raison de l’extension du service en banlieue. L’augmentation des distances et le relief extra-muros ont pesé », souligne Yann Marteil, le directeur général de Mobivia, une des entreprises du consortium qui a remporté le contrat Vélib’.
Des stations mobiles vont également être créées, qui renforceront le service Vélib’ de manière provisoire pour des festivals ou des rencontres sportives, ou tout simplement pour la belle saison. « Ces stations mobiles vont nous permettre de doubler la capacité de certaines stations l’été. Il faut savoir que le nombre de trajets à vélo est deux fois plus important entre mai et octobre que sur le reste de l’année, indique Yann Marteil. On pourra aussi renforcer la desserte d’événements culturels. Les festivals estivaux, comme We Love Green, pourraient tout à fait recevoir des stations avec 200 vélos. Enfin, nous allons pouvoir effectuer des tests dans les villes et les quartiers où sera installé le service pour la première fois, pour voir où cela fonctionne le mieux ». Un sujet d’autant plus stratégique que dans les années qui viennent de très nombreux projets immobiliers et d’infrastructures vont profondément modifier le visage de la banlieue. De nouvelles lignes de métro et de nouvelles gares, de nouveaux quartiers, de nouvelles routes et pistes cyclables vont créer des besoins de mobilité. Pour les opérateurs de Vélib’, la banlieue est un vrai laboratoire.
Les tarifs, eux, seront décidés en septembre et annoncés le mois suivant. Chez Vélib’ Autolib’, on garantit que “les principes de la grille tarifaire qui ont fait le succès de Vélib’ seront conservés. Plusieurs formules d’abonnement pourront être proposées et notamment une offre « liberté » avec un abonnement à zéro euro pour favoriser l’accès au service des usagers ponctuels.” Là encore, il s’agit d’accompagner l’installation du vélo en libre-service dans le paysage. « Des essais des vélos mécaniques et électriques seront organisés dans toutes les villes de la métropole et une « offre spéciale de bienvenue » sera proposée aux Franciliens », signale-t-on au Syndicat Vélib’ Autolib’. Mais une augmentation des tarifs sera certainement appliquée, car « le prix de Vélib’ est resté inchangé depuis onze ans« , rappelle Yann Marteil, qui ajoute que des tarifs sociaux seront également proposés.
Vers une mutualisation des coûts
La vitesse de déploiement du service en banlieue, elle, est encore une inconnue. Il existe aujourd’hui 200 stations extra-muros, qui doivent être remplacées pour moitié d’ici à décembre prochain, date de bascule entre JC Decaux et Smoovengo. Après cette date, le démontage des anciennes stations Vélib’ se poursuivra et elles seront progressivement remplacées par les nouvelles stations. Pas de panique, un site web et une application « chantiers Vélib’ » permettront à tous les Grand-Parisiens d’observer le déploiement des stations en temps réel.
“Nous avons déjà programmé la création de 1000 nouvelles stations, dont 50 en banlieue dans un premier temps”, annonce-t-on au Syndicat Vélib’ Autolib’. Il faudra donc être patient. Quant au rythme et à la logique du déploiement, “on va commencer par des taches concentriques à partir de Paris, pour éviter de se retrouver avec des zones sans gares.”
Ce déploiement prendra quand même un peu de temps car, avec le renouvellement du contrat Vélib’, les communes de banlieue ont découvert que Paris ne financerait plus les stations de banlieue. Parce que Vélib’ a un prix, et pas seulement pour les cyclistes. “L’exploitation des Vélib’ en banlieue a coûté environ 8 millions d’euros par an à la ville de Paris”, soit 25.000 € par station et par an, indique-t-on au Syndicat Autolib’ Vélib’.
Du coup, pour aider les maires hésitants ou tout simplement fauchés, la Métropole du Grand Paris (MGP) a décidé de prendre à sa charge la moitié du coût des 400 premières stations extra-périphérique, ce qui représente un budget annuel de 4 millions d’euros. « L’idée est d’aider à conserver ou de permettre d’adopter Vélib’, et d’éviter une rupture de service. Il s’agit aussi de passer d’un système payé par Paris à un système vraiment métropolitain. Avec un objectif : obtenir le doublement du nombre de stations en dehors de Paris,” assure-t-on à la MGP. “Un courrier a été adressé aux collectivités qui doivent se prononcer d’ici à fin juin 2017.” Pour Yann Marteil, la décision de la MGP est stratégique car en co-finançant l’infrastructure, « cela va accélérer le déploiement du Vélib’ et montrer que son adoption relève de l’intérêt général parce que le vélo est écologique et économique. »
A ce jour, 56 communes ont indiqué réfléchir à une adhésion au Syndicat Autolib’ Vélib’, et près d’une vingtaine ont franchi le pas. Un chiffre en constante augmentation. Il faudra en tous cas avoir formellement répondu avant le 30 juin pour faire partie de la première vague de déploiement en janvier 2018. « Si vous êtes une commune qui va installer pour la première fois Vélib’, cela pourra prendre un peu de temps car il faudra étudier quels sont les meilleurs endroits pour déployer le service, analyse Yann Marteil. Dans ce contexte, le rôle des maires est essentiel, car ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins de leurs administrés, et qui savent tout des projets d’infrastructures qui changeront la donne d’un quartier. »
Définir le bon périmètre de Vélib’
Dans un entretien donné en janvier dernier à 20 Minutes, le président de la MGP, Patrick Ollier, a annoncé souhaiter que Vélib’ soit un jour “mis en place dans les 131 villes de la Métropole.” L’APUR, l’agence parisienne d’urbanisme, consultée par les autorités de tutelle de Vélib’, préconise pour sa part un déploiement à Paris et en très proche banlieue dans des zones assez denses pour que le service soit rentable. L’agence a calculé un « périmètre de pertinence » qui est assez éloigné des frontières de la MGP. Elle a même recommandé des relocalisations de stations en banlieue, estimées sous-utilisées et donc non soutenables financièrement. Voire, parfois, une baisse du nombre de stations dans une commune.
La Société du Grand Paris (SGP), qui est chargée du chantier du Grand Paris Express, mettra peut-être tout le monde d’accord. Selon Odile Chamussy, directrice de la communication de la SGP, « des études d’intermodalité autour des gares » sont menées portant notamment sur l’usage du vélo. Comme chaque habitant du Grand Paris se trouvera, d’ici à 2030, à moins de 10 km d’une gare de métro, le potentiel est vaste. Et si depuis 1976 la part du vélo à Paris a été multipliée par 25, serait-ce maintenant au tour de la banlieue ? Une chose est certaine : la voiture n’est plus le symbole de la modernité.
15 juin 2017