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Tourisme de proximité : réalité ou utopie ?

Pour les fêtes, le château de Vaux-le-Vicomte en Seine-et-Marne présente sa nouvelle projection monumentale de 1000 m2 / © Vaux-le-Vicomte
Le château de Vaux-le-Vicomte en Seine-et-Marne pendant les fêtes de fin d’année / © Vaux-le-Vicomte

Si sa pratique s'est développée pendant la crise du covid, le tourisme de proximité peine encore à devenir une habitude. Pourtant, le dépaysement n'est pas qu'une question de distance parcourue, comme le rappelle l'historien Philippe Montillet.

Historien, Philippe Montillet a travaillé sur l’identité francilienne au sein du cabinet du président au conseil régional.

« Le tourisme de proximité ne s’est pas ancré dans les habitudes des Grand-Parisiens. » Cette phrase, tirée d’une interview d’Agnès Grisoglio, directrice de la Mass Transit Academy au sein de la SNCF, fait réagir. Pourquoi ? Pourquoi bouder la proximité pour le tourisme alors qu’elle est la norme pour beaucoup de choses. En témoignent par exemple « Paris la ville du quart d’heure », ou encore le développement de l’agriculture de subsistance en très proche couronne voire dans des fermes urbaines… Mais il n’en est pas de même pour le tourisme. Pourtant la région Île-de-France est riche de territoires remarquables qu’Enlarge your Paris met régulièrement en valeur. Mais il leur manque sans doute un élément.

Le tourisme, en effet, sous-entend un certain dépaysement. Celui qu’offrent la ruralité, les montagnes ou encore le littoral maritime. Or est-ce que la proximité francilienne offre ce dépaysement ? Celui-ci ne peut se suffire d’un lieu ou d’un objet. Il demande un espace suffisamment large pour que l’on s’en imprègne, l’archipel plutôt qu’un simple îlot préservé ! Un espace, surtout, où s’écrit une histoire, large, tout autant que personnelle. Une histoire dans laquelle on peut entrer et que l’on peut s’approprier. Il faut retrouver ce lien quasi charnel avec la proximité qui peut aussi devenir terrain de vécu puis de souvenirs.

« Mes premiers souvenirs de week-end et de tourisme se situent en Seine-et-Oise »

Ainsi, je me souviens d’un temps pas si lointain, celui de ma jeunesse, où aller à trente ou quarante kilomètres de la capitale était un réel dépaysement et où l’on trouvait des territoires n’ayant plus rien à voir avec la métropole. Je suis né au milieu du XXe siècle. Mes premiers souvenirs de week-end et de tourisme se situent en Seine-et-Oise, que recouvre partiellement l’actuel département des Yvelines. J’y ai vu faire les foins avec l’élévation des meules qui demandait un vrai savoir-faire. Nous y avions nos habitudes dans les fermes pour le lait (après la traite de fin d’après-midi), les œufs (voire les poulets et les lapins) ou les légumes. En Seine-et-Marne, à huit ans, près de Fontainebleau (Seine-et-Marne), j’ai gardé des moutons pendant toute une journée avec un berger qui a su me faire découvrir les animaux sauvages qui s’approchaient de nous. Autant de souvenirs que si j’étais parti à plusieurs centaines de kilomètres. Bien évidemment, dans ces villages, le coq poussait ses cris de réveil le matin et les animaux faisaient partie du décor, allant et venant matin et soir.

Il s’agissait là d’un dépaysement par une autre histoire qui s’écrivait hors du quotidien. Nous trouvions alors à moins de 40 km de chez nous de quoi nous ressourcer, de quoi changer de vie et de cadre. Un autre monde. Nous n’en demandions pas plus pour être heureux. Et découvrir des univers nouveaux et des sensations inédites. Or c’est cela le tourisme. Est-ce possible de nos jours ?

Cette campagne de proximité gardait alors toute son identité. Les villages étaient de vrais villages avec leur église qui sonnait les heures pour rythmer la vie, leurs boutiques, leurs cafés, leurs artisans travaillant le bois ou le fer si utiles à la vie quotidienne. Surtout, il y avait une vraie différence entre vie urbaine et vie rurale au-delà de celle qui existait dans le passé entre deux villages ou deux « petits pays ». Chacun en soi était un continent. Chacun offrait son dépaysement, c’est-à-dire ce que recherche le touriste. Chacun avait une personnalité, façonné par les grandes cultures, l’élevage ou le maraîchage avec à chaque fois des rythmes et des modes de vie différents. Actuellement tout se mêle au profit du modèle urbain ! À force de lotissements toujours plus éloignés des centres-bourgs, les villages ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.

« Ce qui n’existe plus dans un rayon de 40 km subsiste encore au-delà »

Ainsi, dans un rayon de 40 km, il ne reste plus grand-chose à voir ni susceptible de favoriser le dépaysement si nécessaire pour le tourisme. Seuls les hauts lieux s’en sortent. Quelques châteaux publics pour la plupart (Versailles, Champs-sur-Marne, Fontainebleau, Écouen, Saint-Germain-en-Laye), ou privés parfois comme Dampierre ou Vaux-le-Vicomte. La majorité ne profite pas du tourisme « de masse ». Les cœurs de bourg ont été défigurés, les trames villageoises détruites à force d’alignements et d’élargissement des voies et de lotissements en raquette, les façades dénaturées par des ouvertures intempestives, les enduits au ciment et l’usage de matériaux standardisés et de mauvais goût encouragé par les grandes surfaces. Ne parlons pas des PLU (plans locaux d’urbanisme) décidés par les petites communes qui se prennent pour la métropole et qui, loin de défendre leur territoire, l’uniformise. Ces jours derniers j’ai ainsi vu le PLU d’une commune de 2 000 habitants dont le territoire est à 90 % naturel (bois et terres de culture) qui met dans ses objectifs le maintien de la « nature en ville » ! En pleine couronne rurale, de qui se moque-t-on ?

Alors tout est-il perdu ? Heureusement non, si la volonté est là. Ce qui n’existe plus dans un rayon de 40 km – on notera que c’est grosso modo le périmètre de la croissance urbaine défini il y a presque un siècle lors de l’élaboration du Plan d’aménagement de la région parisienne – subsiste encore au-delà. Si le Parisis, la Plaine de France, le plateau de Longboyau, une partie du Hurepoix et les méandres de la Seine ont été sacrifiés, il reste le Vexin, une bonne part de la Brie, le Gâtinais, le Hurepoix beauceron, une partie des anciennes forêts d’Yvelines et du Mantois, là où les villages de 1 000 habitants, voire moins, sont nombreux. Ce sont autant de communes qui ont encore de réelles particularités – je pense notamment à Flagy, Jouarre et Valmondois – et qui possèdent encore tout un hinterland qui peut en faire de réelles destinations touristiques, et pas seulement le temps d’une journée.

Mais cela demande une véritable approche transversale avec des politiques concertées sur le bâti et le patrimoine, sur la connaissance de l’histoire locale et son respect alors qu’elle demeure encore à écrire en bien des endroits et sur les espaces qu’il ne faut pas limiter à une ou deux communes mais autour de thèmes forts et d’identités affirmées dont l’ensemble forme un tout. En Île-de-France, les parcs naturels régionaux peuvent servir de base pour affirmer cette identité locale. Au-delà, des thèmes doivent être valorisés pour créer ou recréer des « pays » ayant du sens et donc une identité qui les distingue de la grande métropole : les terrains de conflits de 14/18 qui concernent un espace bien plus vaste que Meaux et ses alentours, le Vexin terre de la renaissance via ses églises joyaux architecturaux, les périphéries du Grand Versailles avec les rigoles de Saclay, les demeures seigneuriales, la plaine de Versailles, etc. ; ou encore les vignobles de la Marne. Autant d’entités à valoriser dans des politiques d’ensemble, dans des approches transversales. Voilà ce dont le tourisme à 40 km a besoin. Ce qui était une réalité naturelle hier est une possibilité pour demain dès lors que la volonté et le désir sont là. À demain donc, chers touristes franciliens !

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