Bruno Marzloff, sociologue et spécialiste des questions de mobilité
Les images d’embouteillages routiers sont d’une désespérante banalité. Celles des transports publics ne les sont pas moins. Les congestions sont insurmontables en l’état. En 2010, Pierre Mongin, président de la RATP, disait déjà : «Je ne peux produire que ce que je sais produire. Si les rames sont bondées, qui est responsable ? A qui la faute ?». La balle des saturations est renvoyée aux politiques. Les acteurs publics en prennent acte après des décennies de déni. D’où l’appel à projet annoncé par le Forum Métropolitain sur le destin à 2030 du périphérique et des axes rapides de l’Île-de-France, en appelant à une prospective imaginative des sociologues, urbanistes, auteurs de science-fiction, sans oublier les ingénieurs.
Revenons sur un diagnostic ressassé des lustres durant sans être entendu. Nous n’avons plus d’options techniques pour absorber la croissance des flux liée à une logique métropolitaine centrifuge, à une organisation fordiste du travail et à un urbanisme fonctionnel erratique. L’obstination à chercher dans l’offre de transports une solution est vouée à l’échec. Pourquoi faudrait-il répondre à la croissance des flux par celle systématique des tuyaux au risque d’enfler la spirale des déplacements ? Empiler des infrastructures ou les fluidifier par le numérique consolide l’urbanisation et la croissance délétère des trafics ; un canon antinomique avec la résolution des thromboses et les attentes des citadins.
Accompagner les nouveaux usages
Car le rejet de la ville tentaculaire est net. Plus de la moitié des habitants des métropoles souhaiterait résider ailleurs. Rêve impossible, ce souhait soulève trop d’obstacles. Reste le cauchemar du «trop», de ces itérations quotidiennes insupportables et ses excès de pollution, de bruit, de temps perdu, de stress, et renvoi vers une migration à chaque fois plus éloignée du travail et des ressources de la ville.
Que faire de ces autoroutes urbaines ? On le sait à Séoul, à Paris ou à Portland où des autoroutes urbaines ont été déclassées en coulées vertes et actives. Le choc est brutal mais un peu court dès lors qu’il ne supprime pas la demande. Il est pourtant salutaire quand il contraint les usagers à chercher une issue. La suppression des voies routières mise sur une volatilité du trafic automobile. Et cela se vérifie. Encore faut-il accompagner les nouveaux usages, que des alternatives existent, et les penser hors de la filière transport. Le transport public est certes plus «productif» et vertueux ; mais largement saturé lui-même, il ne saurait absorber ce transfert. Alors mettons nous à l’écoute des métropolitains et convoquons leur génie autour de leurs perspectives utopiques. La nature, la proximité et l’implication citoyenne, trois convictions martelées par les usagers, ouvrent d’autres règles du jeu. Comment satisfaire ces exigences de sorte à réduire de manière drastique les mobilités subies et à retrouver le plaisir de déambuler dans la ville ? Un enjeu d’urbanisme et d’urbanité, tout simplement.
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12 juin 2018