Ce reportage s’inscrit dans une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes réalisée en partenariat avec la Société du Grand Paris.
Depuis des années, Ranwa Stéphan parcourait comme documentariste les zones en conflit du Moyen-Orient et de l’Afghanistan. « Ce qui m’intéressait, raconte-t-elle, c’était la petite histoire dans la grande Histoire. De montrer ce qu’était la guerre. Que se passe-t-il après le fracas d’une bombe tombée et dont la marque s’imprime dans le paysage ? La guerre brise des parcours de vie, permet aussi à certains de se découvrir une destinée. La constante, c’est que rien n’est garanti, jamais. »
Au bout de douze ans à couvrir des situations extrêmes, elle ressent une usure. « On ne fait pas ce métier par hasard. Je suis d’origine palestinienne, née à Beyrouth. Je suis arrivée avec ma famille en France en 1977. La guerre a conditionné mes premières années. J’ai le souvenir d’heures passées face au téléphone à cadran, à tenter de joindre les proches au Liban pour Noël ou Pâques. Mais, à un moment, dans mon métier, j’ai eu le sentiment de m’exposer psychologiquement et physiquement pour rien. Que mon espoir de changer le monde était vain… »
« L’alimentation, c’est clairement un vecteur de changement »
Ranwa décide donc de se reconvertir. « Quand on choisit de changer de vie, la première chose qu’on se demande c’est « qu’est-ce que je sais faire ? » » En rentrant de reportage, la jeune femme avait l’habitude de se mettre en cuisine. Elle s’enferme plusieurs jours pour mitonner des confitures, mais aussi un ketchup de tomates vertes plébiscité par ses amis. « Or l’alimentation, c’est clairement un vecteur de changement. Cela permet de remplacer la culpabilité par le plaisir pour peu qu’on fasse les choses correctement : bien payer le producteur, prêter attention à la qualité des sols… Cela permet de toucher énormément de gros sujets finalement. En me lançant, mon pré carré d’action est devenu mesurable et tangible. »
En 2018, Ranwa se lance dans l’aventure de la conserve et s’implante en Seine-Saint-Denis, là où elle réside. « Je ne voulais pas être dans un restaurant. La conserverie me permettait de prolonger ce que j’avais initié avec mes confitures et mes sauces. » Avec une logique zéro gaspi : « Lors de mes prises de contact avec les agriculteurs bios, j’ai vu que je pouvais les aider à transformer leurs surplus dans une logique de circuit court. » Elle baptise son entreprise « Les Délices de l’ogresse ». « Un clin d’œil à ma mère car, petite, j’avais beaucoup de cheveux et c’était la guerre pour me coiffer, sourit-elle. Ma mère me disait : « Si je ne te peigne pas, tu vas ressembler à une ogresse ! » Et ce n’était pas franchement un compliment. On n’était pas encore dans l’ère post-Shrek ! »
Le 93, un choix
Dans les recettes élaborées par Ranwa, on retrouve… du goût ! Le fameux ketchup de tomates vertes marie légère acidité et fraîcheur herbeuse en bouche. Sa tartinade de petits pois à l’estragon vous transplante les pieds dans le potager. Quant à ses lentilles corail au citron, la saveur de l’agrume vient joyeusement bousculer la légumineuse. Et on ne vous a pas encore parlé de sa confiture bergamote/thé noir à la profondeur extra… Le tout conçu en bio, dans une logique équitable et de circuit court. Franchement, que demande le peuple des gastronomes ?
Des recettes qui font des envieux : « On a été dragués par plein de régions pour venir s’y installer ! », s’amuse Ranwa Stéphan. Mais pour cette résidente de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), pas question de quitter la Seine-Saint-Denis « et son énergie de dingue ». « Les urgences obligent les habitants à trouver des solutions. Il y existe un gros tissu associatif, plein de gens qui essaient des choses. On trouve des projets polymorphes et inclusifs tournés vers toutes les franges de population. » En août dernier, l’entrepreneuse a installé labo et bureaux à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), non loin des berges du canal de l’Ourcq, un territoire en pleine transformation.
Si l’arrivée du Grand Paris Express ne va pas influer sur son activité, elle y voit en revanche un progrès qui tient justement de l’inclusion. Une démarche essentielle pour celle dont les produits se trouve aussi bien à Roissy-en-Brie, Paris intra-muros, Rambouillet, Corbeil-Essonnes ou Enghien-les-Bains : « Le périphérique demeure une frontière difficile à traverser. Quant au RER, il me semble qu’il a surtout un côté très fonctionnel. Or les clichés se perpétuent parce que les gens ne se rencontrent pas. Le Grand Paris peut permettre d’abolir les barrières. Ce sont les transports qui permettent de matérialiser la métropole, de comprendre qu’on fait partie du même tout. » Ranwa Stéphan, ou une ogresse généreuse qui a faim de la rencontre avec l’autre.
Infos pratiques : plus d’infos et liste des points de vente sur lesdelicesdelogresse.com
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11 décembre 2023 - Noisy-le-Sec