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« Les parents des quartiers populaires ont plus besoin d’aide que de leçons »

Des élèves de lycée en Seine-Saint-Denis / © Inès Ferrio
Des élèves de lycée en Seine-Saint-Denis / © Inès Ferrio

À l'occasion de sa Journée du refus de l'échec scolaire, l'Association de la Fondation étudiante pour la Ville a publié une enquête « Parentalité et éducation des enfants au sein des familles des quartiers populaires ». Une étude passionnante qui met à mal nombre de clichés concernant les parents habitant les quartiers. Directrice des programmes de l'AFEV, Eunice Mangado-Lunetta nous en dévoile les conclusions.

Pourquoi avoir commandé cette étude sur la parentalité dans les quartiers populaires ?

Eunice Mangado-Lunetta : Pour deux raisons. La première tient aux réactions qui ont suivi la mort du jeune Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine) en juin 2023. On a entendu à cette occasion des propos insensés sur les parents des quartiers populaires. Je pense par exemple au préfet de l’Hérault qui mettait en cause leur irresponsabilité et prônait la méthode « deux claques et au lit ». Une telle remarque montre que le stigmate social perdure à l’endroit de ces parents mais prouve également une profonde méconnaissance du sujet. Nous avons choisi de ne pas réagir à chaud mais plutôt de partir de la réalité de ces parents. Ensuite, à l’Association de la Fondation étudiante pour la Ville (AFEV), nous sommes implantés dans 550 quartiers prioritaires. Le programme qui y est le plus fortement développé est le mentorat : des étudiants interviennent à domicile auprès d’un enfant. Cela peut être sur le plan scolaire, pour l’épauler dans son orientation. Or le fait que cela se déroule au domicile des parents change tout. Un lien se crée avec la famille. Nous nous positionnons donc comme une structure qui a établi un lien de confiance. Lors de notre Journée du refus de l’échec scolaire (JRES) qui existe depuis 17 ans, nous mettons en avant une thématique en lien avec l’activité de l’AFEV. Cela nous permet de médiatiser des sujets qui ne sont pas toujours sur le devant de la scène, au prisme des inégalités. Cette question de la parentalité dans les quartiers en est une et nous avons choisi de la pousser pour notre JRES 2024.

Que montrent les résultats ?

Menée auprès de 737 parents, cette enquête est une monographie à rebours des caricatures. Tout d’abord, elle montre une exposition accrue à la précarité. 38 % des parents interrogés ont un revenu mensuel net égal ou inférieur au SMIC. Et, même chez ceux qui travaillent, les situations sont compliquées car 69 % sont en horaires atypiques ou décalés. On note aussi une part importante de la monoparentalité puisque 36 % des répondants sont dans ce cas. Ce qui est fort, c’est la conscience de ces parents du fait que, pour que leurs enfants s’en sortent, l’école est la clef. Leur foi en l’école est très puissante : 88 % d’entre eux déclarent se sentir en confiance avec les enseignants. Par ailleurs, on note que ces parents essaient de s’investir dans le travail scolaire de leur enfant, mais n’y arrivent pas forcément. Il existe une très forte autocensure. À ce sujet, un chiffre est éloquent : 51 % craignent de se tromper dans le suivi des devoirs. Ils redoutent que leur aide soit plus nocive qu’efficace. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plus de la moitié plébiscite une aide dans la scolarité ou le travail à la maison de leurs enfants. En fait, ce qui est frappant, c’est que les parents des quartiers populaires sont des parents comme les autres mais qui n’ont pas la même disponibilité effective et mentale en raison de conditions de vie plus compliquées. On jette sur eux un regard plus sévère alors qu’ils demandent du soutien. Ils ont plus besoin d’aide que de leçons !

Selon vous, quelles solutions possibles cette enquête met-elle à jour ?

Il faut soutenir les mères sans pour autant renoncer à impliquer les pères. Car, ne nous mentons pas : le sujet est très genré. Ce sont elles qui sont à la manœuvre. Il est donc essentiel de les écouter. Or ce n’est pas forcément le cas. Je pense à cette mère solo qui est intervenue lors d’un débat que nous organisions. Elle expliquait que, quand elle allait à la réunion du collège, parce que sa maîtrise du français était plus fragile notamment, elle n’était pas considérée comme un parent comme les autres. « Avant d’être écoutés, on est jugés », disait-elle. Par ailleurs, depuis les événements de 2023, il ne s’est pas passé grand-chose. On a même reculé. Le fait que, dans le gouvernement Barnier, il n’y ait pas de ministère de la Ville est très inquiétant. Pour nous, il n’y a pour l’instant pas assez d’ambition dans le soutien à la parentalité. Notre enquête a le mérite de reposer ces questions. Aux experts de faire des propositions. Il y en a déjà un certain nombre, notamment sur la parentalité.

Infos pratiques : l’enquête « Parentalité et éducation des enfants au sein des familles des quartiers populaires » est à lire sur afev.org

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