Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec la Société du Grand Paris
Elle a pris son mari et ses enfants sous le bras et elle est partie. Entre les deux confinements, Cécile a quitté Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour une maison à Houdan (Yvelines), dernière gare d’Île-de-France sur la ligne N du Transilien. « Nous avons vécu plusieurs années aux Etats-Unis, raconte cette journaliste. A notre retour, nous nous sommes installés quelque temps dans les Landes. Mais ce n’était pas envisageable car le travail pour nous, c’était à Paris ». Originaire de province, elle a bien pensé à s’installer dans une ville comme Tours ou Vendôme. « Mais on ne voulait pas être coincés par l’effet TGV qui représente quand même un important budget mensuel. Et si j’étais d’accord pour faire les aller-retours vers Paris, je voulais être rentrée le soir pour voir mes enfants avant qu’ils s’endorment. » Ce sera donc Houdan, dans les Yvelines, à la limite de l’Eure-et-Loir.
Ayant grandi à la campagne, Cécile apprécie de renouer avec un environnement plus vert. « Paris, c’est sympa quand on a des ados mais avec des plus petits… » Sans compter les avantages financiers : « en tant que free-lance, partir m’a fait gagner en liberté économique. Comme je dépense moins, je n’ai plus besoin de gagner autant que quand je vivais en petite couronne. »
« Paris ne fait plus autant rêver »
Des Cécile, la Chambre des Notaires du Grand Paris en voit de plus en plus ces derniers temps. En décembre dernier, elle publie d’ailleurs une note sur la façon dont la crise sanitaire a accentué la mobilité des Franciliens. « Au deuxième semestre 2020, Paris ne représente plus que 17% des transactions de logements anciens en île-de-France, contre 20% en moyenne ces 20 dernières années », constate-t-elle. Quant aux Parisiens qui quittent Paris, ces 10 dernières années, « 30% achetaient en petite couronne. Ils ont été 34% à faire ce choix pendant les 6 derniers mois de 2020. 8% d’entre eux choisissaient jusqu’à présent la grande couronne, ils ont été 11% à le faire, ce dernier semestre », poursuit la note.
Car oui, la grande couronne ne semble plus faire peur. A titre d’exemple, plus de 26% des acquéreurs issus du département des Hauts-de-Seine ont acheté en grande couronne, quand ils sont restés en Île-de-France ces deux derniers trimestres, contre 19% en moyenne ces 10 dernières années. Pour Maître Thierry Delesalle, porte-parole de la Chambre des Notaires du Grand Paris et président de sa commission Statistiques, le mouvement tient plus de la lame de fond que du tsunami immobilier car « ce courant s’inscrit dans le temps ». Quant à « l’effet confinement », provoquant un exode significatif vers le périurbain, il demeure prudent : « C’est vrai que quand nous échangeons avec nos clients, on note une volonté de départ. Mais les décisions immobilières sont toujours des décisions longues à prendre. Pour moi, dans le cadre d’un projet, le confinement est plus un déclencheur, au même titre qu’un mariage ou qu’un divorce. » Et de conclure : « Mais c’est vrai que depuis un an, nous avons moins d’acquéreurs sur la capitale. Paris ne fait plus autant rêver.»
Une surmédiatisation de l’opposition ville/campagne
L’arrêt de mort pour les métropoles serait-il signé ? Les urbains reprendraient-ils tous en choeur la fameuse chanson de Kent : « Allons à la campagne/Et oublions Paris/ Cherchons à la campagne le vrai sens de la vie » ? Ce serait aller un peu vite en besogne, selon François Déalle-Facquez, urbaniste à l’agence Ville Ouverte et cofondateur de la revue Sur-Mesure. « Le confinement a poussé à zoomer sur l’opposition urbain versus campagne-refuge. Cette dynamique a été médiatisée mais demeure encore faible dans les flux. C’est un peu comme quand le journal télévisé fait son ouverture sur les départs aux sports d’hiver alors que, dans les faits, ces vacances concernent assez peu de Français.» La perspective du métro du Grand Paris Express et ses 68 gares met en outre un coup de projecteur sur des quartiers et des villes à proximité immédiate de Paris auxquels les acquéreurs n’auraient pas forcément pensé et qui permettent, tout en gagnant de l’espace, de rester connecté à la zone dense. Quand ce ne sont pas des communes de grande couronne qui se raccrochent à la dynamique métropolitaine, notamment avec les lignes 17 et 18.
Comme le souligne Delphine Humez, ingénieure urbaniste à Ville Ouverte, « la ville demeure attractive car elle condense une pluralités de services et surtout d’emplois. » Mais quid du télétravail ? Delphine Humez demande à voir : « On ne sait pas ce que cela va donner. On peut imaginer que les espaces de travail vont changer. Mais, globalement, on sent quand même une lassitude qui s’installe chez les gens quant au travail à la maison. »
Besoin de respirer davantage depuis le confinement
Il n’empêche : la métropole post-Covid devra faire des efforts pour demeurer désirable. Ce qui peut passer par une végétalisation accrue. Le confinement a créé chez les urbains le besoin de respirer davantage, d’avoir des échappatoires où le regard peut se porter vers l’horizon. « La question de la nature en ville se pose avec plus d’acuité », note François Déalle-Facquez. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans les communes mettant en place des budgets participatifs, les projets promouvant des espaces plus verts ont la cote. Delphine Humez souligne aussi le crédit dont bénéficient les projets de « cour oasis » où le tout-béton fait place à davantage de verdure.
Autre point à travailler : le logement. « Il y a eu un amalgame entre la diffusion de la pandémie et la densité urbaine, analyse François Déalle-Facquez. La ville véhicule cette image de promiscuité. » Revoir le logement urbain, le repenser à l’aune des besoins manifestés durant le confinement – plus d’espace, des balcons, des jardins- peut s’avérer intéressant. Pour repenser la ville, Delphine Humez estime aussi que la règle des « un kilomètre » de déplacement quotidien en vigueur lors du premier confinement peut être une bonne porte d’entrée : « qu’est-ce que je trouve dans un rayon d’un kilomètre autour de chez moi pour m’aérer ? Y’a-t-il un lieu sans voiture, des espaces où les enfants peuvent jouer ? » Tout en attirant l’attention sur le fait que, selon la tranche d’âge, les besoins peuvent varier : la ville idéale du vingtenaire n’est pas forcément celle du quadra. Mais justement, pour Delphine Humez, la désirabilité de la ville repose aussi sur cette dimension : « offrir une diversité de possibles, ce qui fonde l’attrait pour l’urbain ».
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9 mars 2021