Chaque jour, la région parisienne enregistre 12 millions de déplacements domicile-travail, entraînant une saturation des réseaux de transport. Parallèlement, de nouvelles organisations du travail, comme le coworking ou les horaires décalés, se font jour permettant d'entrevoir des solutions pour simplifier les trajets des actifs. Chargées d'études à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France, Mireille Bouleau et Pascale Leroi dressent un état des lieux.
Mireille Bouleau et Pascale Leroi, chargées d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France
En 2016, « travailler » signifie encore couramment être salarié à temps complet, à durée indéterminée, et se rendre tous les jours dans un bureau. Cependant, les emplois atypiques se développent et deviennent la norme pour nombre d’actifs. Ainsi se multiplient de nouveaux modes de travail, s’écartant du modèle traditionnel : travail indépendant, à distance, coworking, emplois nomades, horaires décalés….
Côté mobilité, les préoccupations environnementales, la congestion des réseaux et la transformation de l’offre bouleversent aussi la donne et laissent apparaître de nouveaux comportements. Pour la première fois en 2010, la mobilité automobile décroit dans tout le cœur de l’agglomération parisienne. Les modes actifs explosent, notamment la marche à pied, mais également le vélo à Paris et en proche couronne. Les pratiques se recomposent. En quête de proximité, les Franciliens exploitent au maximum les ressources proches de leur domicile.
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Dans une société de plus en plus divisée entre individus hyperactifs, devant gérer de front toutes les facettes de leur vie, privée et professionnelle, et individus au chômage ou en sous-emploi, souhaitant travailler davantage, les besoins de mobilité se diversifient.Tout ceci intervient au moment où la révolution numérique génère un éclatement de l’unité de temps et de lieu, ainsi qu’une imbrication de plus en plus forte des sphères personnelles et professionnelles.
La transformation de l’activité professionnelle a deux grands types d’impact sur l’organisation métropolitaine : spatial d’une part (télétravail, travail à domicile, emploi nomade, multi-activité, etc.), et temporel d’autre part (temps partiel, horaires atypiques, décalés, etc.), pouvant faire évoluer le nombre, les horaires et les modes de de déplacements domicile-travail.
Ces évolutions rapides mènent à s’interroger sur l’organisation future des mobilités et des flux de transports franciliens. Inversement, si les modes de travail impactent fortement la mobilité quotidienne, les comportements et l’offre en matière de mobilité ont également des conséquences sur l’accès à l’emploi et sur l’attractivité économique régionale.
Un emploi plus souple et reformaté par le numérique
En Île-de-France, la flexiblité (13% des salariés en emploi temporaire en 2013) et le chômage (9% des actifs) impactent la mobilité. 40% des chômeurs sont non-motorisés contre 20% des Franciliens ayant un emploi. A l’inverse, la multiplicité des contrats temporaires et des temps partiels conduit à cumuler les emplois, faisant augmenter mécaniquement le nombre de déplacements et les horaires atypiques.
En parallèle, l’usage professionnel des outils numériques s’est largement diffusé. 92% des salariés des grandes entreprises sont équipés et peuvent travailler à distance. Facilitant le travail n’importe où et n’importe quand, ces outils ont rendu les frontières entre vie privée et professionnelle plus poreuses. Le numérique impacte également les méthodes de conception, de production et de collaboration. Il repousse les frontières entre services et industrie, déplace des marchés vers de nouveaux entrants, développe les organisations en réseau, et explique une partie de la croissance du travail indépendant. Les non-salariés (indépendants, chefs d’entreprise, aides familiaux), représentent 80% des gains nets d’emplois en Île-de-France entre 2008 et 2014. Travaillant encore souvent à domicile, les indépendants ont la plupart du temps la possibilité de « choisir » leur localisation professionnelle et maîtrisent, dans une certaine mesure, leurs horaires de travail.
Le fossé se creuse entre des individus de plus en plus qualifiés et connectés et des individus sans qualification, souvent démunis face à la rapidité des changements.
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L’émergence de nouveaux espaces de travail
En Île-de-France, si la moitié des salariés travaillent dans un bureau, le développement du travail indépendant et collaboratif a initié la création de nouveaux espaces de travail, utilisables à la carte. Espaces de coworking, télécentres, FabLab, HackerSpace (laboratoire ouvert) sont autant de tiers-lieux qui se développent avec le numérique. L’Île-de-France compte environ 500 de ces tiers-lieux, essentiellement dans la capitale et ils devraient continuer de se développer. Les usagers des espaces de coworking sont avant tout des indépendants, des créateurs d’entreprise, des TPE. Les télécentres concernent un public plus large, des indépendants mais également des salariés. Le travail à distance, près du domicile, envisagé depuis longtemps pour réduire les déplacements, est certes peu développé officiellement, et réalisé dans 56% des cas seulement 1 ou 2 jours par mois. Sa pratique informelle est de plus en plus répandue. Pour le moment, et pour des questions de coûts, les entreprises préfèrent équiper le domicile de leurs salariés : 79% du télétravail se fait ainsi à domicile et près de la moitié des télétravailleurs sont des salariés du privé.
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Plusieurs conditions sont nécessaires pour que la création de tiers-lieux conduise à un désengorgement partiel des réseaux de transport et permette une mobilité durable : être bien répartis géographiquement sur le territoire régional et c’est une priorité de la région Île-de-France avec le projet « 1000 tiers-lieux pour 2021 » visant notamment à doubler leur nombre en milieu rural ; être accessibles en transports collectifs (la SNCF développe la création de de télécentres au sein des gares) ; être situés en centre-bourg afin de permettre des déplacements de proximité à pied ou à vélo.
A consulter : La carte du coworking en Île-de-France
Plusieurs lieux de travail pour une même personne
La proportion de personnes qui ont un lieu d’emploi fixe et situé en dehors de leur domicile a diminué (de 84% à 80 % entre 1994 et 2008), sans doute en lien avec la hausse de la pluriactivité. Avec l’essor de l’économie collaborative, des plates-formes numériques, des auto-entrepreneurs, ce phénomène devrait même exploser dans les prochaines années.
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Pour les jeunes actifs de 20-30 ans, les « slashers », marqués par les crises successives, c’est chose courante que de cumuler différents emplois. Ils y trouvent une façon de compléter et diversifier leurs revenus, mais aussi l’occasion de concilier activités professionnelles et loisirs. Sur l’ensemble de la France, 15% des salariés cumulaient une activité salariée et non salariée, soit 362 000 salariés pluriactifs en 2011. La part des Franciliens qui ont un lieu de travail variable ou plusieurs lieux fixes où ils se rendent dans la même semaine a doublé en 10 ans. Par exemple, un médecin peut exercer à l’hôpital et à son cabinet, ou un employé du nettoyage être affecté au ménage de trois ou quatre entreprises dans la semaine, toujours les mêmes. Parmi les Franciliens qui ont au moins deux lieux d’emplois fixes, ceux occupant un métier dans les domaines des soins à la personne et du gardiennage sont largement surreprésentés.
Mécaniquement, la pluriactivité et, de façon plus générale, la multiplicité des lieux d’emplois amènent à augmenter le nombre de navettes quotidiennes, à complexifier les emplois du temps, les horaires et donc les besoins de transports.
Diversification des horaires, la fin des heures de pointe ?
Les entreprises recherchent une plus grande souplesse des horaires pour être plus réactives sur le marché et certains salariés modulent leur emploi du temps. Par ailleurs, les horaires d’ouverture au public d’activités de services ou de commerces tendent à augmenter et les journées de travail ont tendance à s’allonger ou à se fractionner.
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Les situations de travail sont donc de plus en plus diversifiées et contrastées. Pour beaucoup de Franciliens, les heures supplémentaires, l’injonction à la disponibilité permanente, deviennent de plus en plus fréquentes. Pour 3 salariés franciliens sur 4, la durée du travail s’est allongée, 16 % des cadres et des professions intellectuelles supérieures travaillent plus de 45 heures par semaine, avec souvent des amplitudes journalières supérieures à 10 heures.
Tandis que d’autres, souvent peu qualifiés, sont exposés au temps partiel de courte durée, au chômage et souhaiteraient travailler davantage. 40% des actifs franciliens à temps partiel font moins d’un mi-temps. Loin de la souplesse offerte aux cadres supérieurs, les outils numériques sont également utilisés par les employeurs pour mieux contrôler les horaires de travail de certains emplois peu qualifiés, leur permettant de déduire par exemple les temps de transport du temps de travail effectif pour les services chez les particuliers.
Vidéo : Peut-on éviter les heures de pointe ?
Ces évolutions restent encore peu visibles sur les heures de pointe des déplacements domicile-travail en Île-de-France restent très marquées. On observe néanmoins un décalage progressif des pointes vers les heures plus tardives, le matin comme le soir, ainsi que le début d’un remplissage des heures creuses. Cette diversification des mobilités constitue une opportunité pour penser d’autres usages, optimisés, des transports en commun franciliens.
L’intégralité de l’étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France sur les nouveaux modes de travail et les enjeux de mobilité est à lire sur www.iau-idf.fr
28 décembre 2016