Si la crise sanitaire provoquée par le coronavirus est sans précédent à l'échelle mondiale, il faut interroger notre modèle de développement économique pour en comprendre les causes plaide Sylvain Rotillon, chef de mission Gouvernance de l'environnement au ministère de la Transition écologique et solidaire.
Sylvain Rotillon, chef de mission Gouvernance de l’environnement au ministère de la Transition écologique et solidaire
La crise planétaire du Covid-19 est de plus en plus pointée comme une crise environnementale avant d’être une crise sanitaire, dans la mesure où ce virus provient d’un transfert de l’animal vers l’Homme, de la chauve-souris originellement, vraisemblablement par le relai du pangolin qui est consommé en Chine. Ce transfert est une conséquence de pratiques néfastes pour l’environnement, dont la déforestation qui détruit les habitats naturels et rapproche la faune sauvage des lieux de vie humains. On est dans la logique « One health » qui lie santé humaine, animale et environnementale. Si l’une de ces dernières est touchée, les conséquences rejaillissent sur les êtres humains.
On en reste généralement à l’état de constat. Les raisons de ces dégradations de l’environnement sont très rarement mises en avant, laissant place à un sous-texte nauséabond pointant les « pratiques locales » comme la consommation d’espèces protégées (le fameux pangolin dont les images dans des préparations culinaires sont devenues omniprésentes pour illustrer la crise), la promiscuité avec les animaux et la pratique d’activité de boucherie dans des conditions d’hygiène déplorables. Des images d’Epinal qui fleurent bon les reportages du temps de la colonisation documentant les pratiques des sauvages du bout du monde.
Une crise avant tout sociale
Mais une fois de plus, les raisons de ces pratiques ne sont pas questionnées. La promiscuité et les conditions d’hygiène sont les conséquences d’une crise crise avant tout sociale. La consommation d’espèces protégées est malheureusement particulièrement répandue. Il suffit de rappeler les contentieux « bien de chez nous » sur la chasse aux oiseaux migrateurs, ou la consommation d’ortolans au plus haut niveau de l’État encore à la fin du siècle dernier. S’il y a crise, il faut revenir à ses racines et un regard historique permet une mise en perspective.
Le phénomène d’industrialisation s’est historiquement accompagné, avec un décalage temporel, d’un développement de l’hygiène suite aux grandes épidémies comme la peste et le choléra. Avant cette conquête de l’hygiène, nos pays ont connu de grandes crises sanitaires ayant touché principalement les métropoles industrielles et découlant de problèmes culturels : migrations vers la ville de populations rurales souvent accompagnées d’animaux, absence de politique sanitaire et forte ségrégation spatiale et sociale. La faiblesse des connexions, à la fois en nombre et en rapidité, conférait un caractère relativement limité à ces crises.
Une croissance urbaine exponentielle
La croissance urbaine extrêmement rapide que l’on connaît aujourd’hui reproduit ce même phénomène avec l’arrivée massive de populations rurales dans des aires urbaines favorisant une grande promiscuité d’individus ayant conservé des modes de vie ruraux. Le développement des infrastructures sanitaires connaît toujours quant à lui un fort décalage. Mais la situation actuelle diffère cependant sur plusieurs points. Le premier est le rythme de cette croissance urbaine, bien plus rapide, qui couplé avec une croissance démographique soutenue, fait que le développement urbain informel (concentrant les principales difficultés) croît plus rapidement que la capacité à développer des infrastructures (on pense notamment à la situation en Guyane).
Une autre différence vient du découplage entre lieux de production et lieux de décision. Si lors de l’industrialisation occidentale les deux étaient très liés, créant de fait des solidarités relatives (même si à l’échelle d’une ville comme Londres ou Paris les ségrégations spatiales existaient en particulier entre est et ouest). Actuellement, la déconnexion est presque totale entre les villes ateliers vers lesquelles se font les migrations et les centres de décision, majoritairement dans le monde occidental (Japon inclus), qui cherchent à se fermer à toute migration extérieure. On peut d’ailleurs noter que cette différence est avant tout un simple changement d’échelle. Tant que les crises sanitaires étaient confinées à ces secteurs lointains, on s’en préoccupait peu. C’est quand les centres de décision sont menacés que la mobilisation a lieu. Et on touche à un autre facteur de différenciation : l’interconnexion entre les différents territoires à l’échelle mondiale du fait de la mondialisation.
Une mise en compétition globalisée
La densité des interconnexions ainsi que l’accélération des vitesses de déplacement qui permettent un approvisionnement à partir d’à peu près n’importe quel point du globe favorisent en parallèle la dissémination des maladies. Le mode de production enfin diffère, là aussi plus dans son intensité que dans sa nature. Le phénomène de mondialisation des échanges avec mise en compétition générale des territoires pour maximiser les profits pousse à un ajustement sur les salaires (trop bas pour bénéficier des services essentiels même lorsqu’ils existent), les conditions de vie (promiscuité renforcée, absence d’accès à l’éducation en particulier pour les femmes) et l’environnement (exploitation minière de toutes les ressources même les renouvelables, absence de traitement des pollutions).
Pour les donneurs d’ordre finaux, souvent localisés dans les pays occidentaux qui constituent les principaux marchés pour écouler les productions (même s’il faut nuancer fortement cette approche schématique avec l’émergence au sein de ces secteurs de production de villes-territoires, qui se rapprochent des logiques du monde occidental), la mise en concurrence internationale permet de maintenir des coûts de production bas, sans réduire les marges via des volumes vendus importants. Sur des marchés saturés de biens, il faut proposer des biens les moins durables possible à des prix toujours plus bas pour maintenir la croissance. Celle-ci est cependant obtenue à crédit sur l’environnement et sur l’état sanitaire global, ce qu’on réalise pleinement aujourd’hui.
Si la crise sanitaire actuelle a une base environnementale liée à la promiscuité entre êtres humains et animaux vecteurs de maladies, il faut remonter un peu plus loin la chaîne de causalité et interroger notre modèle de développement économique pour en comprendre les causes. Et sans cette compréhension des causes, on ne trouvera pas de solutions pérennes.
23 mars 2020