Quel état des lieux du petit commerce faisiez-vous dans votre livre Comment la France a tué ses villes ?
Olivier Razemon : Je n’aime pas l’expression « petits commerces », je lui préfère celle de « commerces de proximité ». Ils ne sont pas forcément petits, ni indépendants. Ensuite, je faisais le constat, un peu ancien maintenant, qu’en France, nous avons déshabillé nos villes. Ses attributs que sont l’habitat, les commerces, les piscines ou encore les cinémas sont de plus en plus placés en périphérie. Avant, nous avions des villes compactes, avec un centre-ville où vivre et et se retrouver. Aujourd’hui, la ville est devenue un lieu qu’on parcourt rapidement en voiture pour rejoindre les zones commerciales. C’est particulièrement vrai pour des villes de 10.000 à 50.000 habitants.
Quels ont été les gagnants et les perdants du premier confinement ?
D’après les chiffres de la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé (Procos), on observe aujourd’hui des phénomènes qui s’additionnent. Les moyennes surfaces situées en périphérie ont été les grandes gagnantes du confinement, au détriment des grandes surfaces. La preuve, les 4 Temps à La Défense (Hauts-de-Seine) ont perdu 50% de leur fréquentation de janvier à septembre 2020 par rapport à l’année dernière. Et les petits et moyens centres-villes sont d’ailleurs ceux qui se sont finalement le mieux maintenus durant le premier confinement.
Durant le premier confinement, la consommation de produits locaux a connu un véritable boum. Mais depuis le déconfinement, certains commerçants témoignent d’un retour à la normale avec des clients qui privilégient la grande distribution et les grandes plateformes d’e-commerce. Comment expliquez-vous cette schizophrénie des consommateurs ?
C’était une solution facile d’effectuer ses achats dans des commerces de proximité pendant le premier confinement car il existait une confusion entre le kilomètre autorisé pour les balades et la possibilité de faire ses courses en dehors de ce périmètre. Mais c’est vrai qu’on assiste à une certaine schizophrénie. On peut se demander pourquoi à Paris et dans les communes limitrophes on se fait livrer ce que l’on peut aller chercher en bas de chez soi.
Quelles sont les vertus du commerce de proximité ? Vous dites « qu’un commerçant n’est pas simplement un négociant qui achète et revend »…
Oui, ça va beaucoup plus loin que le commerce ! La ville est un lieu d’échanges, ce que favorisent les commerces de proximité et les marchés. Sans oublier qu’un commerçant de proximité alimente l’économie locale. Quand on achète dans la grande distribution, l’argent quitte le territoire. Il faut entretenir le commerce et l’économie de la ville car c’est ce qui contribue à la rendre agréable et vivante.
Un slogan de Reporters sans frontières affirme : la liberté d’expression, il ne faut pas attendre d’en être privé pour la défendre. C’est la même chose avec le commerce de proximité ?
Je ne sais pas mais en tous cas, cela me rassure de croiser partout des gens décidés à défendre leurs commerces, qui ont vraiment conscience de ce problème. C’est le plus important. Je crois beaucoup à l’implication des citoyens, au-delà des décisions politiques. Ils ont un vrai rôle à jouer en se posant cette question : « De quelle manière vais-je voter aujourd’hui dans la façon dont je fais mes courses ? »
Comment analysez-vous la situation actuelle ?
Beaucoup de choses se sont passées dans la société depuis mars. Il y a une envie de proximité, au moins d’une partie de la population, qui va de pair avec davantage de déplacements à vélo, de contacts avec ses voisins… Les gens veulent redécouvrir leur ville, leur quartier. Et ça n’a pas été pris en compte dans les décisions de reconfinement. Il faut consentir à des aménagements. D’autant que les écoles sont ouvertes, que le télétravail est moins utilisé, que les commerces pratiquent le click & collect. Pourquoi n’ouvre-t-on pas ces commerces ? On privilégie une fois encore la grosse économie au détriment de l’économie de proximité. Et donc, une fois de plus, le consommateur a des choix à faire. Le jouet, le livre que je veux acheter, ne puis-je pas le commander à côté et le récupérer pendant ma balade quotidienne ?
Infos pratiques : « Comment la France a tué ses villes » d’Olivier Razemon (Ed. Rue de l’échiquier), 18€ ou 8€ en téléchargement. Plus d’infos sur ruedelechiquier.net
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5 novembre 2020