Comment est né le collectif Itinéraire bis ?
Amélie Deloffre : À l’origine, je souhaitais écrire une charte ainsi qu’une tribune dans Le Monde afin de convaincre les prescripteurs de voyages de prendre conscience de leur responsabilité écologique. Mais ce n’était peut-être pas la meilleure approche. Je me suis dit qu’il fallait, pour être efficace, sortir d’un certain entre-soi « écolo-bobo-parisien ». Car prêcher des convaincus ne sert pas à grand-chose ! J’ai eu envie de parler à mes pairs qui ne sont pas du tout sensibilisés aux alternatives de voyages plus écolos. Puis j’ai réussi à réunir une quarantaine de producteurs de contenus concernés par cette question afin de faire naître le site et la base de ressources à destination des pros.
95 % des touristes mondiaux visitent moins de 5 % des terres émergées selon l’Organisation mondiale du tourisme. Comment en est-on arrivé à ces extrêmes ?
La mondialisation, la baisse des prix de l’aérien, les réseaux sociaux et l’uniformisation de nos rêves sont les premiers coupables. Internet joue un rôle considérable également en rendant tout possible. Enfin, les prescripteurs valorisent tous à peu près la même chose. Chacun devrait avoir des règles déontologiques. Mais c’est compliqué d’imposer des règles aux influenceurs, qui envoient des masses de personnes aux mêmes endroits. Derrière tout cela, on doit aussi se poser la question du bien-fondé de la croissance touristique.
Concrètement, que proposez-vous avec les membres d’Itinéraire bis ?
On entend beaucoup parler de tourisme durable et d’écotourisme. Mais personne ne sait ce qui se cache véritablement derrière ces termes. Le collectif Itinéraire bis, lui, propose des ressources concrètes à destination des journalistes, des influenceurs et plus largement de tous ceux qui produisent des représentations du voyage. Ce site indique les tendances, notamment dans les manières de se déplacer, de voyager ; il propose également des données chiffrées et des photos. Le but est de susciter la réalisation de nouveaux reportages sur des sujets auxquels on ne pense pas forcément. Cela peut aider à faire basculer les lignes éditoriales.
Avez-vous prévu des actions sur le terrain ?
En octobre, nous prévoyons de développer une action de « free-fluence » – une mise en valeur gratuite – d’une région peu visitée. Pour commencer, nous avons choisi la Haute-Loire. L’idéal serait de partir tous en week-end là-bas et d’y créer du contenu, chacun selon sa sphère d’intérêt et de compétences. Nous aimerions convaincre des médias et surtout des influenceurs que cette destination vaut le coup d’œil, et ce, pourquoi pas, en les incluant à notre week-end. Car, plus que des images ou des textes, les influenceurs ont besoin du levier de l’expérience. Parallèlement, nous avons prévu de créer un guide, conjointement avec Greenpeace, à destination des influenceurs. Mais il existe aussi des cibles secondaires : les étudiants en journalisme, les enseignants… Il faut que nous, producteurs de contenus, dézoomions un peu.
Qu’entendez-vous par « dézoomer » ?
Il faut sortir de notre bulle, aller vers l’autre. Si la microaventure et la tente sur le dos semblent naturelles à certains d’entre nous, c’est en fait une niche ! Nous avons tous nos propres communautés mais prêcher des convaincus ne sert pas à grand-chose. Il faut changer la norme sociale, dictée notamment par les grands médias. On ne peut pas continuer à matraquer les gens avec les mêmes idées de sorties et de vacances et en même temps leur demander d’en faire fi pour le bien de la planète.
Récemment, le gouvernement a annoncé créer un observatoire pour lutter contre le surtourisme. Pensez-vous que les pouvoirs publics ont les moyens de faire changer les habitudes ?
On doit tous avancer en même temps. Je pense qu’un jour l’avion sera taxé sur le kérosène. C’est d’ailleurs déjà dans les cartons ! Mais parallèlement il faut se préparer à des alternatives. Il faudrait déjà que, dans les médias et les mentalités, l’idée d’aventure sans partir à l’autre bout du monde soit installée. Il faudrait offrir du rêve aux plus jeunes, leur montrer que l’Europe en train ou à vélo, c’est génial ! La jeune génération veut voir le monde et c’est normal. Ils sont déjà sensibilisés à l’écologie mais il faut pouvoir leur proposer des offres touristiques, construire des imaginaires afin de leur donner envie de voyager sans passer par la case aéroport.
Comment imaginez-vous le tourisme du futur ?
Une chose est certaine : il se situera beaucoup moins loin, et devra se confronter à notre changement de société et de mode de vie. J’imagine un tourisme moins tourné vers les loisirs, davantage « apprenant ». Aujourd’hui, on propose du récréatif pur, mais j’imagine que l’on va en sortir car nous allons être confrontés à plus de catastrophes naturelles ; nous aurons peut-être besoin de replanter ou d’apprendre à vivre autrement. Nous pouvons devenir acteurs de notre temps libre. J’aime à penser que nous l’aurons bientôt compris. Et que ce temps libre sera mis à contribution de la société, plutôt que destiné à nous changer les idées. Que souhaitons-nous en faire ? Au fond, c’est la question clé.
Infos pratiques : plus d’infos sur itinerairebis.eco
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27 juin 2023