Vous organisez des promenades pour enseigner les usages des plantes sauvages qui poussent partout, y compris en ville. Pour quelles raisons ?
Nathalie Mondot : Ayant fait des études d’ethnobotaniste, je regarde ce que les êtres humains font avec les plantes un peu partout dans le monde pour se nourrir, se soigner ou construire leur espace de vie. Et j’essaie de transmettre cette connaissance au grand public en organisant des conférences et des balades, aussi bien en pleine nature qu’en ville. J’ai habité quatre ans à la Goutte d’or (18e), un quartier parisien très marqué par la pierre et le béton. Pourtant, on peut y trouver de nombreuses plantes au pied des bâtiments ou au bord des trottoirs. Il faut juste apprendre à les voir et à les reconnaître.
Quels types de plantes trouve-t-on dans le Nord-Est grand-parisien ?
Valentine Diguet : La plupart des plantes sauvages que l’on peut couramment observer en ville sont souvent considérées, à tort, comme des « mauvaises herbes ». Il faut souligner que ce sont des plantes résilientes qui poussent le long des bâtiments, des trottoirs et dans les broussailles de la ville. Elles résistent à l’environnement urbain et s’adaptent extrêmement bien à ses perturbations en repoussant rapidement. Ce sont essentiellement de petites plantes qui ont un cycle de vie très court. On trouve aussi quelques arbres qui poussent spontanément, là où il y a un peu plus de sol et moins de passage des voitures, derrière une grille, sur des délaissés, le long des voies ferrées.
Comment ces plantes arrivent-elles à pousser sur les trottoirs ?
Nathalie Mondot : Certaines plantes peuvent pousser dans de petits trous, sur de la poussière ou quelques millimètres de terre. Les plantes sauvages en ville sont à regarder comme des signes de la vitalité de la nature. En mourant, elles se décomposent et créent un sol accueillant pour des graines qui pousseront l’année suivante. C’est ainsi que la nature se réinstalle, petit à petit, et colonise le béton.
Valentine Diguet : La France a interdit l’utilisation des pesticides dans les parcs, les rues et les espaces publics en 2017 et dans les jardins à partir de 2019, ce qui a entraîné une augmentation de la sensibilisation aux fleurs sauvages urbaines dans le pays. Avant la crise du covid, la botanique urbaine était déjà de plus en plus populaire. Ce phénomène a augmenté avec le confinement et les restrictions de circulation qui ont favorisé la colonisation de nos rues désertées par les plantes sauvages. De nombreuses plantes sauvages ont un usage alimentaire ou médicinal.
Peut-on les ramasser pour les consommer ?
Nathalie Mondot : Certainement pas ! Les animaux domestiques, et parfois les humains, urinent dessus. Et puis le sol est très pollué, sans parler de l’air. En ville, on trouve beaucoup de plantes nitrophiles, c’est-à-dire qui se nourrissent de nitrates comme l’urine. Les orties poussent d’ailleurs souvent près des toilettes publiques. Néanmoins, apprendre à reconnaître les plantes sauvages en ville permet de voir autrement son environnement. Écrire le nom des plantes à la craie, pour sensibiliser chacun à la nature sauvage en ville, est un phénomène qui se répand depuis plusieurs années en France.
Valentine Diguet : Avec le spectacle Belles de bitume créé en 2014, Frédérique Soulard propose au public d’écrire le nom des plantes sur les trottoirs de Nantes avec de la peinture naturelle. Pour elle, nous montrer que les rues sont en réalité des espaces végétalisés est une façon de se les réapproprier. Ce ne sont pas que des lieux de passage mais aussi des lieux où il y a de la vie, celle des humains ainsi que celle des plantes ! En novembre 2019, le botaniste Boris Presseq du Muséum de Toulouse a indiqué le nom des plantes sauvages dans les rues de la ville. Une vidéo de ses actions a atteint 7,3 millions de vues. À Londres, la botaniste française Sophie Leguil a lancé la campagne « More than weeds » (« Plus que des graines ») pour changer la perception des plantes urbaines au Royaume-Uni après avoir contribué à la diffusion du programme « Sauvages de ma rue » dirigé par Tela Botanica en France. L’Herbier bitume des canaux parisiens, que nous avons publié [à télécharger ici] et que nous nous proposons de recréer de manière éphémère les 23 et 24 juin, s’inscrit dans cette tradition.
Infos pratiques : Vendredi 23 juin, participez avec l’ethnobotaniste Valentine Diguet à la création du plus grand herbier bitume du monde lors d’une balade avec quatre autres botanistes le long des canaux parisiens dans le cadre du festival écoludique « Ménage ton canal » le samedi 24 juin. Inscription gratuite et obligatoire sur eventbrite.fr. Samedi 24 juin, promenades botaniques à la découverte des plantes urbaines dans le 10e pour découvrir le travail sur l’herbier. Inscription gratuite et obligatoire sur eventbrite.fr
Lire aussi : Participez à « Ménage ton canal » à Paris et dans le 93
Lire aussi : Une ethnobotaniste constitue un herbier de Paris
Lire aussi : La baignade urbaine : le grand défi
14 juin 2023 - Paris