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« Il y a un harcèlement social pour porter le casque à vélo »

© Michael Coghlan (Flickr - Creative commons)
Cyclistes casqués /© Michael Coghlan (Flickr – Creative commons)

Début octobre, nous publiions un article sur la question de rendre ou non le port du casque obligatoire à vélo en ville. Une publication qui a suscité de nombreux débats sur les réseaux sociaux, en particulier de la part de ceux qui considèrent que l'obligation du port du casque est contre-productive. C'est le cas d'Isabelle Lesens
, Grand-Parisienne et auteure du blog "Isabelle et le vélo" qui nous a fait parvenir cette tribune.

Isabelle Lesens
, Grand-Parisienne et auteure du blog Isabelle et le vélo

Ce n’est pas après le casque que j’en ai, ni après les avis du corps médical. L’article de Manon Gayet dans Enlarge your Paris est d’ailleurs tout à fait nuancé. Moi, ce qui m’énerve, c’est le harcèlement social pour le porter. Le casque de vélo n’est devenu obligatoire sur le Tour de France que lorsque les vitesses pratiquées et les risques encourus furent devenus mortels. En pays paisible presque personne ne porte de casque.

Ce qui m’énerve, c’est que ce sont les porteurs de casques qui pressent les autres d’en porter. « Et ton casque ? » en vient à remplacer les salutations amicales dans les groupes. Je soupçonne les porteurs de casques de chercher à se rassurer sur le bien-fondé de leur choix en stigmatisant les récalcitrants. Mais ce qui m’énerve encore plus, c’est l’affirmation par les autorités qu’il faut, ou qu’il est fortement recommandé, de porter un casque. Là c’est grave.

« Il y aurait à ce jour 549.078 études sur le port du casque pour les cyclistes. Aucune ne permet de conclure s’il sauve plus de vies qu’il n’en coûte »

En 2017 je publiais à la demande de Elles font du vélo une synthèse allégée de la littérature scientifique sur le sujet. Je commençais par ces mots : Il y aurait à ce jour 549.078 études sur le port du casque pour les cyclistes. Aucune ne permet de conclure s’il sauve plus de vies qu’il n’en coûte, nous disait le magazine Sport & Vie au printemps 2015.

A l’inverse circule sur les réseaux un tableau qui montre quelles sont les victimes d’accidents qui sont touchées à la tête. Naturellement les automobilistes sont les premiers touchés. Les cyclistes sont comme les piétons, les bon derniers. Que le Délégué à la sécurité routière ait éprouvé en 2017 le besoin de laisser une trace, cela peut se concevoir, mais il a quand même fait trinquer les gamins en leur imposant le port du casque jusqu’à 11 ans. Cette mesure d’obligation du casque n’était justifiée par rien et, pire, son efficacité sur la gravité des accidents n’a jamais été évaluée. C’est la politique du coin de table et du doigt mouillé. C’est aussi tout sauf une politique de sécurité routière, qui devrait vérifier si le problème existe et s’attaquer aux causes ensuite.

On assiste à une politique de victimisation non seulement des cyclistes accidentés (« il ne portait pas de casque »), mais aussi des parents qui n’osent plus laisser leurs enfants sans casque : si jamais… C’est aussi une politique de la peur, comme le faisait remarquer le GRACQ, association belge de cyclistes, citant l’université de Dublin : Casque et chasuble, la peur programmée ?

N’empêche que tous les coureurs morts sur la route ou en course portaient un casque et que 88% des morts à vélo sont des hommes, les deux tiers ayant plus de 55 ans, comme le rapporte le journal Le Parisien, citant l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, pour l’année 2019. Ces messieurs, ce sont les sportifs plus tout jeunes et roulant en groupe. Quant aux enfants, la première cause d’accident mortel c’est à la maison. « Les chutes constituent de loin le mécanisme le plus fréquent (60 %), suivi des coups et collisions (19 %)« , nous dit le ministère de l’Economie.

« Le casque est un objet marketing »

« Oui mais moi il m’a sauvé la vie » ; « Moi je connais quelqu’un qui » ; « Oui, mais en cas d’accident tu comprends… ». Puisque tous les citoyens sont de grands scientifiques, doublés de stratèges en politique cyclable, il n’y a rien à dire. Après tout, chacun cherche à s’identifier à son groupe social. Le maillot du club, le cuissard, la marque de la selle ou des sacoches et le casque vous permettent de vous croire intronisé cycliste. Le phénomène d’identification moutonnière est bien connu, et est lui-même plutôt facteur d’accidents.

Quant à moi, cycliste francilienne depuis les années 1970, et cycliste parisienne depuis les années 1980, j’ai vécu l’envahissement automobile et la peur associée. J’ai eu quelques accidents de vélo, le plus grave sur une voie verte avec un piéton, un autre avec une auto à l’arrêt qui a reculé sur moi. J’ai échappé à deux graves accidents, l’un grâce à ma juvénile extrême vivacité, l’autre grâce à l’ultra-réactivité de l’automobiliste sous les roues duquel je me précipitais. Mais au final, mon plus grave accident a été de glisser de mon escabeau en rangeant des draps.

Le casque est un objet marketing. Car ce sont casques, antivols, matériels électroniques et vêtements qui assurent la rentabilité des magasins de vélos nous disait le rapport « L’économie du vélo en 2020 » publié par le gouvernement en mai dernier. Ceci ne suffirait-il pas à expliquer cela ?

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