Serge Muller, professeur au Muséum national d’histoire naturelle à Paris
Après l’engagement pris par la candidate à la mairie de Paris, Anne Hidalgo, de planter 170 000 arbres en six ans sur les 105 km2 que couvrent la capitale, ne faudrait-il pas se donner une ambition comparable pour les 814 km2 de la Métropole du Grand Paris ? Ce qui signifierait, à l’échelle de ce territoire, la plantation d’un million d’arbres pendant la prochaine mandature. Les sombres perspectives de changement climatique pour les décennies à venir doivent inciter les ensembles urbains à prendre toutes les mesures possibles pour limiter les impacts de ces dérèglements et, en particulier, ces terribles canicules estivales annoncées à l’horizon 2050.
La Métropole du Grand Paris a été créée en janvier 2016 : elle regroupe la ville de Paris et les communes des départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne ainsi qu’Argenteuil et les communes des Portes de l’Essonne, soit 131 communes. Elle concerne une population de 7,027 millions d’habitants sur une superficie de 814 km2, soit près de 8 fois la superficie de la ville de Paris.
La densité de population de la Métropole y est de 8 632 hab./km2, soit à peu près 2,5 fois plus faible que celle de la ville de Paris (qui est de 20 830 hab./km2), alors que celle de l’ensemble de la région Île-de-France n’est « que » de 1 016 hab./km2, donc huit fois moindre que celle de l’agglomération du Grand Paris (et la densité de population de l’Île-de-France exceptée la Métropole du Grand Paris est de 439 hab./km2, soit 20 fois moindre que celle de la Métropole). C’est donc bien le territoire de la Métropole du Grand Paris qui correspond à l’entité principale de concentration de la population d’Ile-de-France.
« Le rôle des arbres et des espaces végétalisés comme atténuateurs est bien connu, pouvant conduire à des différences de température jusqu’à 10 °C la nuit »
Une étude pluridisciplinaire sur les impacts du changement climatique à l’échelle de l’agglomération parisienne a été menée de 2008 à 2012 par Météo-France, le Centre scientifique et technique du bâtiment, l’Agence parisienne du climat et l’Atelier parisien d’urbanisme à la demande de la Ville de Paris. Cette étude a clairement établi l’importance des « îlots de chaleur urbains » (ICU) en Île-de-France, concentrés sur le territoire de la Métropole du Grand Paris.
Cette vaste agglomération de 800 km2 apparaît en effet comme un dôme de chaleur, avec des températures minimales supérieures de 2 à 3 °C en moyenne par rapport aux territoires environnants de l’Île-de-France. En situation anticyclonique, les différences peuvent même atteindre localement près de 10 °C, constituant des ICU très marqués. Le rôle des arbres et des espaces végétalisés comme atténuateurs est bien connu, pouvant conduire à des différences de température jusqu’à 10 °C la nuit. Ces différences avaient en particulier été bien identifiées lors de la période de canicule de l’été 2003, avec des écarts de l’ordre de 4 °C entre les arrondissements denses du centre-ville et les bois de Vincennes et Boulogne en périphérie.
Dans une interview accordée au Parisien en mars 2020, le vice-président actuel chargé de l’environnement à la Métropole, Daniel Breuiller, a bien conscience de ces problèmes : « La Métropole de demain sera verte ou invivable. Sur cette population de 7 millions d’habitants répartis dans 131 communes, 4,5 millions vivent aujourd’hui dans des îlots de chaleur urbains, c’est-à-dire des lieux où, l’été, la température ne baisse pas assez la nuit. »
Parmi les domaines d’intervention de la Métropole figure l’environnement et le cadre de vie. En novembre 2018 a ainsi été adopté un ambitieux plan « Climat-Air-Énergie ». Ses principaux objectifs visent à atteindre la neutralité carbone en 2050 ; atteindre le facteur 4 en 2050 ; accroître la résilience de la Métropole face aux effets du changement climatique ; ramener les concentrations en polluants atmosphériques à des niveaux en conformité avec les seuils fixés par l’OMS ; réduire massivement les consommations énergétiques finales ; obtenir un mix énergétique diversifié et décarboné. On ne trouve toutefois rien concernant l’atténuation des îlots de chaleur grâce aux plantations ligneuses.
« L’agglomération de Montréal s’est engagée dès 2012 dans un programme de plantation en 10 ans de 300 000 arbres »
Est-ce mieux du côté du récent « plan de relance de la Métropole du Grand Paris pour un territoire durable, équilibré et résilient », adopté le 15 mai 2020 ? On y souligne, parmi 50 actions structurantes, la nécessité d’« accélérer la transition écologique et le développement des mobilités douces » et de soutenir « la filière du végétal et du paysage » ; on y trouve également une action intitulée « Promouvoir dans les projets d’aménagement urbain, les infrastructures vertes et la création d’îlots de fraicheur », affichant de timides objectifs en matière de limitation des impacts du changement climatique, mais qui devraient être largement amplifiés.
Des politiques bien plus ambitieuses en faveur des arbres et des forêts urbaines sont pourtant développées dans d’autres grandes métropoles. En voici quelques exemples. L’agglomération de Montréal (1,9 million d’habitants sur 497 km2, soit une densité de population de 3 900 hab./km2, donc une superficie et une densité environ deux fois plus faibles que celles de la Métropole du Grand Paris) s’est engagée dès 2012 dans un programme de plantation en 10 ans de 300 000 arbres ; soit une superficie de 2 233 ha arborés supplémentaires, dans l’objectif d’accroître l’indice de canopée de 20 à 25 % pour cette agglomération. L’effort est partagé entre la ville de Montréal pour 120 000 arbres sur le domaine public et la Soverdi (Société de verdissement du Montréal métropolitain) pour 180 000 arbres sur les domaines privés et institutionnels.
La Métropole du Grand Lyon (1,37 million d’habitants sur 534 km2, soit une densité de population de 2 600 hab./km2) – 2e plus grande métropole française, après Paris, par le nombre d’habitants et surtout la densité de population – a adopté en 2017 un « plan canopée » inspiré de celui de Montréal. Son objectif est de passer d’ici à 2030 d’un indice de canopée de 27 % à 30 % en plantant 300 000 arbres.
« La ville de New York a lancé dès 2007 un ambitieux programme de plantation d’un million d’arbres en 10 ans, qui a été atteint dès 2015 »
Mais la palme en Europe revient sans doute à Milan (1,4 million d’habitants sur 182 km2, soit une densité de 7 400 hab./km2, à peu près comparable à celle de la Métropole du Grand Paris pour une superficie et une population 4 fois plus faibles), dont le maire a annoncé en juillet 2019 le projet de plantation, d’ici à 2030, de pas moins de 3 millions d’arbres pour refroidir son centre-ville, avec l’objectif de disposer de 2,5 arbres par habitant. La faisabilité réelle de ce projet très ambitieux reste toutefois à démontrer. Évoquons enfin New York, dont la superficie est assez comparable à celle du Grand Paris. Sur ses 785 km2, elle héberge une population de 8,6 millions d’habitants, soit une densité de 7 100 hab./km2. La ville a lancé dès 2007 un ambitieux programme de plantation d’un million d’arbres en 10 ans, qui a été atteint dès 2015, soit deux ans plus tôt que l’échéance fixée.
Sur la base du projet de plantation de la ville de Paris de 170 000 arbres sur 105 km² pendant la prochaine mandature (2020-2026), il devrait être possible, sur une métropole 7,7 fois plus grande (avec en outre une densité de population 2,4 fois plus faible, donc sans aucun doute davantage d’espaces disponibles), de planter 170 000 x 7,7 arbres, soit 1 309 millions d’arbres. On peut arrondir à un objectif minimal de plantation d’1 million d’arbres en milieu urbain pendant la prochaine mandature pour la Métropole du Grand Paris. Cela correspond au projet new-yorkais de 2007.
Car c’est bien au niveau de la Métropole du Grand Paris qu’il est pertinent d’envisager ce vaste projet de plantations ligneuses, sur la base de l’identification des actuels îlots de chaleur urbains et des secteurs les moins végétalisés. La cartographie de l’état des couverts forestiers de l’agglomération parisienne permettrait de visualiser les zones déjà bien arborées, correspondant à des îlots de fraîcheur, et les réseaux écologiques à conforter ou mettre en place.
Le rôle de la Métropole pourrait alors être d’inciter et d’aider les communes à lancer des projets, de coordonner et mutualiser des moyens pour cela et, surtout, d’assurer une cohérence et une complémentarité d’ensemble. Ces « forêts urbaines » assurent également de nombreux autres services écosystémiques bénéfiques aux populations et constituent le support d’une politique en faveur de davantage de nature et de biodiversité dans les villes.
Espérons que le nouveau Conseil de la Métropole, qui sera mis en place dans la foulée des élections municipales, retiendra pour la prochaine mandature un tel « plan Canopée », ambitieux et tout à fait complémentaire de son plan « Climat-Air-Énergie ». Pour que les actuels îlots de chaleur urbains de la Métropole, dans lesquels vivent 4,5 millions d’habitants, ne deviennent pas des « zones invivables à l’horizon 2050 ».
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original
Lire aussi : Vincennes et Boulogne, deux bois qui méritent d’être connus
Lire aussi : Vers un modèle francilien de « métropole-nature »
Lire aussi : Balade au parc Montsouris, ce point chaud de la biodiversité parisienne
Lire aussi : Pour un grenelle de la nature en ville
27 juin 2020