Grâce à des lieux devenus emblématiques comme le 6b à Saint-Denis ou les Grands Voisins dans le 14e, les friches urbaines n’ont jamais fait autant parler d’elles à Paris et en banlieue. Quelles en sont les raisons ?
Cécile Diguet : Les friches ont toujours existé mais on ne cherchait pas à les optimiser. Or en 20 ans, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 3 à Paris. En conséquence, l’immobilisation des terrains est devenue de plus en plus chère pour les propriétaires. Rien que pour le gardiennage, il faut compter entre 10 et 15.000 euros par mois. Comme les projets urbains mettent en moyenne 10 à 15 ans avant de voir le jour, cela pèse lourd budgétairement pour les aménageurs et les promoteurs. En plus de cela, ces dents creuses ont tendance à dégrader l’image du quartier. D’où l’intérêt de les confier à des acteurs culturels à la recherche d’espaces pour mener à bien leurs projets. Ceux-ci se sont beaucoup professionnalisés à l’image du collectif Yes We Camp à la tête des Grands Voisins ou de Soukmachines, qui gère la Halle Papin à Pantin (93). En face, les propriétaires sont plus enclins à accorder leur confiance. On est dans une démarche gagnant-gagnant alors qu’auparavant, ce genre d’initiatives était assimilé à du squat, générant le plus souvent des conflits.
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Y’a-t-il une philosophie commune à ces friches ?
Comme leur temps est limité, l’énergie est très concentrée. Il y a une sorte d’urgence à agir, ce qui se révèle très prolifique. Par ailleurs, elles reposent beaucoup sur la notion d’engagement et s’appuient sur des équipes relativement jeunes pour qui le sens de la démarche prime sur la rémunération. C’est à la fois une force et une faiblesse. Etant donné qu’elles sont financées par des subventions d’investissement, elles ne peuvent prendre en charge des dépenses liées au fonctionnement et donc, au personnel. Il faudra y remédier à l’avenir car dans ces projets, les ressources humaines occupent une place centrale. Il est nécessaire de pouvoir dégager du temps afin d’établir une programmation, de trouver des artistes et de nouer des contacts avec le quartier. Il arrive aussi parfois que l’animation soit assurée par des sociétés d’événementiel qui s’inscrivent dans une logique commerciale. C’est le cas par exemple de Grand Train à Paris (18e), un entrepôt appartenant à la SNCF où des bars et des restaurants avaient été aménagés l’an dernier d’avril à octobre.
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Que signifie le fait de confier l’animation de ces friches à des groupes plus ou moins professionnels ?
Les friches sont en train aujourd’hui de questionner la façon dont on aménage la ville. En demandant aux gens de partager leurs idées et en leur donnant les moyens de les mettre en oeuvre, on tire profit de l’intelligence collective. Plus encore que l’innovation technologique, c’est à ça que doit ressembler la smart city. Les friches sont devenues en quelque sorte le laboratoire R&D de la ville. Elles permettent de tester différents usages car on se situe dans un cadre moins rigide. Ces lieux partagés sont essentiels à la vitalité d’une démocratie. Ils favorisent la rencontre et le décloisonnement. Aux Grands Voisins, qui prennent place dans l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul, il n’est pas rare de trouver des retraités jouer au scrabble pendant que les plus jeunes trinquent au bar. C’est un facteur de lien social là où à Paris on a tendance à vivre de manière segmentée.
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Quels sont les exemples à l’étranger ?
Quand on parle de friches on pense bien sûr à Berlin qui pendant longtemps a servi de référence. Depuis le début des années 2000, Bruxelles est une ville très dynamique et qui monte sur ces sujets. Elle attire de nombreux artistes français qui cherchent des espaces moins chers. A Londres, la démarche est beaucoup plus commerciale. On est dans l’optimisation financière des terrains en attente, ce qui se manifeste entre autres par l’ouverture de commerces temporaires. Finalement, ce qui se passe à Paris et en banlieue où des propriétaires et des collectifs s’entendent de manière contractuelle est quelque chose que l’on retrouve assez peu ailleurs. D’ici à l’automne, nous allons mener une nouvelle étude pour approfondir ces sujets. En attendant, nous sommes preneurs des informations qui pourront nous remonter du terrain afin de compléter notre carte des friches dans le Grand Paris. Voici le mail auquel nous écrire : cecile.diguet@iau-idf.fr.
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A télécharger, l’étude co-signée par Cécile Diguet pour l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France : L’urbanisme transitoire : aménager autrement
14 mars 2017