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Avec les organoïdes, Fanny Jaulin cherche à faire reculer le cancer

Fanny Jaulin, chercheuse à l’Inserm. Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Depuis l'Institut Gustave-Roussy à Villejuif, dans le top 5 mondial des hôpitaux en cancérologie, Fanny Jaulin planche notamment sur la création d'organoïdes, sortes d'avatars en 3D de la tumeur d’un patient afin de tester les traitements pertinents. Et avec l’arrivée de la ligne 14 du métro à Villejuif, c’est tout un écosystème scientifique qui s’ouvre, accélérant encore la recherche et l’innovation en oncologie.

Ce reportage s’inscrit dans le cadre d’une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes le long de la ligne 14 du Grand Paris Express réalisés en partenariat avec la Société des Grands Projets

Au fronton d’un amphithéâtre de la Rockefeller University à New York, où Fanny Jaulin a réalisé son post-doc pendant huit ans, était inscrit : « Science for benefit of humanity », « la science au profit de l’humanité ». Depuis, cette chercheuse de l’Inserm en biologie cellulaire a fait sienne cette devise : un fil rouge qu’elle suit au quotidien depuis treize ans dans son laboratoire de l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), spécialisé dans les cancers digestifs.

Ici, entre les paillasses d’un blanc immaculé, parmi microscopes et pipettes, la sémillante scientifique de 47 ans, à la tête d’une équipe d’une grosse dizaine de personnes (étudiants, chercheurs, ingénieurs, techniciens, etc.), travaille sur deux activités complémentaires : un « workflow bidirectionnel », précise-t-elle. « L’avantage de Gustave-Roussy : cumuler un centre de recherches et un hôpital (dans le top 5 mondial des hôpitaux en cancérologie, ndlr). Notre travail conjoint avec les médecins nous permet ainsi de sourcer du matériel tumoral en provenance directe des patients, de travailler à partir de cellules fraîches… Et donc de ne plus nous contenter de recherches sur les souris, trop éloignées du corps humain, ou sur des lignées cellulaires désuètes issues de cancers des années 1950. »

Seuls 4% des candidats médicaments arrivent auprès des patients

En parallèle, cette audacieuse, qui a mis au jour le déplacement collectif des cellules tumorales, a contribué à créer des « organoïdes », dans le cadre de l’ambitieux programme « ORGANOMIC » financé par plusieurs acteurs. En d’autres termes, « il s’agit de mini-tumeurs cultivées ex-vivo, des avatars en 3D de la tumeur d’un patient, afin de tester les traitements pertinents », dit-elle. Pour ceux qui jugeraient encore ces travaux trop abstraits, Fanny Jaulin, en bonne pédagogue, métaphorise : « C’est comme si les chercheurs du monde entier construisaient un vaste mur. Et comme si chaque laboratoire, chaque scientifique apportait sa brique à l’édifice. Une publication d’envergure pourrait être considérée comme une grosse pierre. Une question pertinente, et la mise en œuvre de réponses adéquates, comme un ajout de ciment supplémentaire », sourit-elle.

En parallèle, cette mère de deux enfants, de 7 et 13 ans, fan de course à pied et de Bikram yoga, ne saurait s’en tenir à ses activités de chercheuse. Elle a également fondé sa start-up, Orakl, en partenariat avec Gustave-Roussy. L’objectif : améliorer l’arsenal thérapeutique en oncologie. « Seuls 4 % des candidats médicaments, après de multiples tests de validation, arrivent auprès des patients, après des coûts faramineux – 1 ou 2 milliards d’euros. Nos organoïdes pourraient permettre d’accélérer et de simplifier les processus », plaide-t-elle.

Malgré l’ampleur de ses missions, Fanny Jaulin, qui avoue fonctionner à l’adrénaline, conserve son enthousiasme, sa bonne humeur et son esprit clair. Son secret : « travailler intensément, mais ne jamais sacrifier ni mes week-ends, ni les vacances scolaires ». Et puis, il y a cette passion-vocation chevillée au corps, qui puise ses racines dans sa petite enfance au grand air, en Charente-Maritime : « J’ai toujours été fascinée par le vivant, explique-t-elle. Je faisais tout un tas de collections, bestioles, plantes… Et j’ai récemment aménagé un vaste jardin de 150 m2. Plus tard, adolescente, j’adorais la biologie. J’étais passionnée par la beauté des motifs de la vie : ceux d’un corail, la vascularisation d’un corps humain, la régularité des nervures d’une feuille d’arbre… Et je resterai toujours, je crois, fascinée par la cellule, unité de fond d’un être vivant, bien plus impressionnante à mon sens que l’intelligence artificielle. »

La gare de Villejuif–Gustave Roussy /  Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

« J’ai calculé que, sur l’ensemble de ma carrière, j’aurai perdu un an de vie dans le métro »

À l’issue de sa thèse à Marseille et de son post-doc à New York, elle rêve de « concret ». Et si beaucoup de chercheurs s’intéressent au cancer du sein, il reste encore de nombreuses lacunes en ce qui concerne les cancers digestifs. Direction donc Gustave-Roussy et Paris. Au début, elle élit domicile à Gambetta, Paris 20e. « Mais je passais 2 h 30 par jour dans les transports : insupportable ! J’ai emménagé à Villejuif, à 20 minutes de vélo. J’ai calculé que, sur l’ensemble de ma carrière, j’aurai perdu un an de vie dans le métro ! », analyse-t-elle. À Villejuif, au milieu des bâtiments universitaires et hospitaliers, cette urbaine assumée souffre pourtant d’un relatif isolement. « Je revenais juste de Manhattan où, au seuil de mon travail, il y avait des super endroits pour manger, des restaurants, des cafés… Ici, les abords immédiats se révèlent un peu austères, sans le moindre végétal, sans commerce, sans échappatoire au resto de l’hôpital… », déplore-t-elle.

Et pourtant, tout devrait désormais évoluer, et elle s’en réjouit. Depuis janvier 2025, l’ouverture sur la ligne 14 de la magnifique station Villejuif–Gustave Roussy imaginée par l’architecte star Dominique Perrault, change la face de son monde : « Si je pédale toujours pour venir de chez moi, je prends désormais la 14 (un arrêt !) pour me rendre à ma start-up au Kremlin-Bicêtre : ultra pratique ! Surtout, cette ligne nous rapproche de Paris, et nous désenclave. Je n’hésite plus à bouger… Tout est plus simple, plus fluide ! Et ce sera aussi beaucoup plus facile désormais pour recruter de nouveaux talents qui, peut-être, privilégiaient jusqu’alors des hôpitaux plus accessibles au centre de Paris. Et quel changement pour les malades et leurs familles qui viennent leur rendre visite ! Enfin, j’ose espérer que l’arrivée de la 14 dynamisera le quartier et y apportera de la vie. »

Surtout, la proximité avec l’aéroport d’Orly (à 20 min par la 14) et l’arrivée de la ligne 15 courant 2026 ouvrent encore de nouvelles perspectives. « Il y aura un véritable changement de paradigme, avec ce deuxième plus gros bio-cluster en oncologie au monde, installé sur une gare majeure du Grand Paris. Nous assistons à l’intersection d’un très grand projet d’urbanisme avec un très grand projet médico-scientifique. L’un vient nourrir l’autre… Quelle heureuse promesse ! »

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