Le 8 novembre, Donald Trump était élu président des Etats-Unis en récoltant une majorité de voix en banlieue et dans le monde rural. Face à la déconnexion entre grandes métropoles et périphérie, Julien de Labaca, consultant et spécialiste des questions de mobilité, s'interroge sur le rôle que peuvent jouer les politiques de transport pour combler le fossé qui se creuse entre ces deux mondes.
Les Etats-Unis se sont réveillés avec la gueule de bois. Donald Trump a gagné les élections du pays le plus puissant du monde, et deviendra le 45e président des Etats-Unis d’Amérique. Certains s’y attendaient, mais la plupart des sondages étaient visiblement faux. La grande question qui se pose désormais est “qui a voté pour Trump ?”
Avant les résultats, je lisais dans le TGV un excellent numéro de Society sur les élections. L’approche des journalistes m’a beaucoup intéressé car ces derniers proposaient un sommaire en forme de carte du pays, avec tous les lieux dans lesquels ils avaient envoyé des journalistes. Une immersion au coeur des territoires, qui me semblait tout à fait justifiée au vu de la superficie du pays, et par conséquent des différences culturelles entre les différents Etats.
Après les résultats, je tentais moi aussi d’appliquer une analyse territoriale à cette élection. Le graphique proposé par l’Obs est tombé à point. Que montre-t-il ? Que le vote pour Donald Trump est bien plus important dans les territoires de banlieue et d’autant plus dans les zones rurales. Autre média, autre analyse… Le journaliste Dominique Albertini analyse les points communs entre les électorats pro-Brexit, Trump et FN. Selon lui, “la répartition géographique est faible dans les grands centres urbains, plus forte, voire majoritaire, dans les villes moyennes et les campagnes. De quoi donner corps à l’idée d’une révolte des «périphéries» (malgré la diversité des territoires désignés par ce terme) contre les métropoles intégrées à la mondialisation.”
Alors à quelques mois des élections présidentielles en France, ce constat me questionne… beaucoup… Et évidemment cela questionne ma manière de voir mon job, car je me sens concerné en quelque sorte par tout ce qui arrive. Alors la question que je me pose est la suivante : les politiques de transport peuvent-elles nous aider à limiter cette dégringolade entre les territoires urbains et ceux qui ne le sont pas ?
Périphériques, petites, moyennes, rurales… Peu importe comment on les nomme…
En tant que citoyen, on peut continuer à pester contre la politique de la ville ou d’aménagement du territoire. En tant que spécialiste, on est encouragé à entonner la chanson : “l’avenir est dans les villes, dans la verticalité, dans le renouvellement urbain”. Mais le présent, en réalité, il dit quoi ? Quelque chose d’un peu différent. Certes, selon les chiffres de la Banque Mondiale, seul 20% de la population vit dans un secteur dit rural. C’est une approche quantitative indiscutable. Seulement 20% diront certains… Mais 20% dans une élection, c’est beaucoup non ? Et si l’on ajoute les zones périurbaines (ou périphériques), les petites villes, les villes moyennes ?
On pourrait débattre du renouvellement urbain, de la politique des loyers, voire de l’urbanisme en général, mais là n’est pas le débat. La question est ici de constater, seulement constater : ce sont les grandes villes (ou métropoles) qui concentrent les emplois, les universités et l’accès à la culture. Force est de constater également qu’habiter dans ces villes est cher et inaccessible pour une partie de la population.
Coté transports, l’histoire n’est pas plus glorieuse. Les offres de transport urbain, dans les métropoles, sont bien souvent très complètes et performantes, notamment en ce qui concerne les réseaux de transports collectifs (bus, tram, métro…). Viennent s’ajouter depuis quelques années des vélos en libre-service ou encore des véhicules en autopartage. Mais ces métropoles bénéficient d’un sacré coup de pouce : le versement transport. Cette fiscalité propre permet (en partie) de financer ces importants réseaux et/ou projets de transports.
A l’inverse, les secteurs non urbains, doivent eux faire des choix : s’ils investissent un million d’euros sur un projet de transport, alors ce million n’ira pas ailleurs, car eux ne possèdent pas de fiscalité propre comme le versement transport ! D’où le fait que l’évolution des offres d’autocars interurbains et de trains régionaux n’est pas forcément aussi enivrante.
Difficile parfois d’assumer certains choix en matière de transport
Alors parfois, je me demande si nous, les spécialistes (un bien grand mot) des transports, nous n’avons pas aussi un rôle néfaste dans tout cela. Je suis le premier à défendre un retour en force du mass transit et d’offres très structurantes. J’ai participé à plusieurs projets de restructuration de réseaux interurbains dans lesquels je prônais une rationalisation des offres au profit des lignes aux demandes les plus fortes. Suis-je un cost killer ? Est-ce que je contribue à “casser la desserte sociale du territoire” ? Suis-je uniquement adepte du transport performant et rapide ?
Le transport public ne peut pas tout… En réalité tout cela est beaucoup plus complexe. Lorsque je défends le mass transit, c’est plutôt l’efficacité que je souhaite prôner. Si à ressources financières constantes, on arrête de diluer l’offre et on se recentre sur des lignes de transports structurantes, alors les économies réalisées peuvent permettre de financer des projets de dessertes à vocation plus sociale. Il s’agit là d’une redistribution territoriale associée à une redistribution financière. Mais lorsque l’on amorce ces rationalisations, il s’agit aussi d’assumer une posture parfois compliquée politiquement : le transport public et/ou le transport collectif ne peut pas tout.
La voiture a aussi sa place… Il ne peut pas tout, mais hors des zones denses, la voiture peut sûrement l’aider. Elle y a encore une place importante et peut assurer des déplacements du dernier kilomètre. Bien évidemment, il est nécessaire de diminuer son impact sur le territoire, mais il faut aussi être réaliste : soit on donne la possibilité à tout un chacun de vivre dans les grandes métropoles, notamment par une politique de loyers attractifs — il faudrait d’ailleurs que tout le monde aime et souhaite vivre en zone dense, ce qui est loin d’être gagné — soit on accepte qu’encore aujourd’hui, la voiture joue un rôle dans les mobilités du quotidien. Et à ce jeu, la bannir de manière non réfléchie est aussi une forme de discrimination.
Il n’y a plus d’argent… Mais au-delà du défi technique et sociétal que représente la mise en place de politiques de transports couvrant l’ensemble du territoire, c’est aussi souvent la question des capacités financières qui est en jeu pour les collectivités, notamment lorsqu’elles sont de petite taille. L’Etat ne finance presque plus les projets, l’accès aux financements européens est complexe et globalement, les dispositifs de financement croisés deviennent de plus en plus contraints. Alors les territoires non urbains font comme ils peuvent. Un exemple récent m’a particulièrement interpelé : une petite agglomération souhaitait se doter, pous ses concitoyens, d’un calculateur d’itinéraires… mais comment se payer un outil à plusieurs dizaines de milliers d’euros avec des ressources très réduites ? Elle s’est tournée vers Google Maps, afin de créer cet outil pour un coût très faible. Alors certes, à Paris, les dirigeants de la RATP ou de la SNCF pourraient crier au scandale, mais de leur coté, ils ont les moyens de se payer des systèmes alternatifs.
Si l’urbanisme (a) échou(é), le transport peut-il tenter quelque chose ?
Alors en attendant que soit insuflée une véritable politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme, il est possible d’améliorer le quotidien, de faire en sorte qu’a minima, les habitants des territoires non urbains puissent eux aussi avoir accès aux métropoles, dans de bonnes conditions. Ce à quoi je crois ? L’intermodalité — fluidifier au maximum le passage d’un mode à l’autre, et les repères — générer des lieux qui puissent devenir de véritables hubs identifiés par les citoyens, et cela peu importe leur configuration (parking, gare, gare routière, échangeur autoroutier…).
De son coté, la voiture, hors des zones denses, jouera toujours un rôle important. En complément du train par exemple : il devient primordial de poursuivre et d’accélérer l’aménagement des gares “rurales” dans cette logique d’intermodalité. Sous une forme ou une autre de partage également : lorsque dans certains villages, le taux de possession automobile est faible car les revenus des ménages sont insuffisants, le partage de véhicules entre particuliers pourrait représenter une solution à creuser. Le partage des trajets (covoiturage) doit quand à lui être promu, par tous les moyens. Les populations hors zones denses n’ont pas attendu les pouvoirs publics pour s’organiser (elles n’ont pas attendu Blablacar non plus d’ailleurs). Il ne coûte rien à la collectivité. Ainsi, il est essentiel de continuer à mailler le territoire d’aires de covoiturage, dans les lieux les plus stratégiques (et si possible de manière qualitative). Autoriser les covoitureurs à utiliser certains couloirs de bus doit également être envisagé. Difficile à contrôler ? Cela est pourtant fait depuis des années dans d’autres pays.
L’autocar, parce qu’il est très économique à exploiter (environ 7 à 8 fois moins cher qu’un TER) doit également trouver une place dans le schéma régional de transports. Avec les économies réalisées sur la rationalisation de certaines lignes TER, il serait possible de développer d’autant plus des lignes de cars très performantes et bien souvent plus vertueuses en matière environnementale. Et dès que cela est possible, il faut faire en sorte que ces dessertes par autocar puissent emprunter des axes express, tels que les autoroutes.
Le micro-transit a du mal à se frayer un chemin entre les Uber et offres de transports urbains en ville. Le marché est-il trop étroit ? Startups… le monde rural n’attend que vous. Il existe vraisemblablement des solutions technologiques très intelligentes, qui pourraient permettre aux territoires ruraux d’améliorer leur mobilité quotidienne. Uber aux Etats Unis expérimente des partenariats avec des autorités organisatrices de transport pour venir compléter les dessertes de métro, “pour du dernier kilomètre”. Pourquoi pas ici ?
Et même le vélo a son rôle à jouer. Ca n’est pas parce que les distances sont élevées qu’il est impossible d’utiliser son vélo (surtout si il est électrique) pour se rendre dans les centre urbains, quand bien même on habite dans une zone périurbaine. Qu’il soit utilisé pour faire la totalité du trajet, ou pour se rabattre sur un mode de transport collectif, le vélo est aussi une solution. Créer des pistes cyclables adaptées à des trajets de moyenne ou longue distance (de type autoroute cyclable) est donc essentiel. Les vitesses moyenne observées dans bien des pays équipés de telles infrastructures vous surprendraient !
Des solutions, il en existe bien sûr beaucoup d’autres, mais là n’est pas le débat. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est le manque de financement alloué aux territoires non urbains, et pour le moment le manque de prises de décisions à ce sujet. Je ne suis pas pour l’augmentation massive du versement transport sur 100% du territoire mais une meilleure répartition entre zones urbaines et non urbaines me paraît totalement faisable. Ce qui m’inquiète également, c’est le temps que pourrait prendre le transfert de compétences des départements (qui géraient les autocars interurbains) vers les régions, car pour le moment le sujet stagne.
Pour autant, je reste optimiste et je crois en la puissance publique car elle seule pourra être garante d’une offre de transports harmonieuse pour l’ensemble des citoyens.
13 novembre 2016