C’est un lieu de mémoire incontournable. Ouvert il y cinq ans, le Mémorial de la Shoah de Drancy (93) n’a pas choisi son emplacement au hasard. Il fait face à la Cité de la Muette, habitat collectif jamais achevé et qui devint en 1941 lieu d’internement, puis en 1942 camp de regroupement pour près de 63 000 Juifs de France en vue de leur déportation vers les camps d’extermination. “A l’ouverture du camp, la presse était invitée et les journaux ont tous titré sur les quelques riches avocats juifs détenus”, rappelle Annaïg Lefeuvre, coordinatrice du service pédagogique du mémorial. Si les photos d’archives qui sont exposées au Mémorial sont toutes issues de la propagande, un déporté a usé de son talent de dessinateur pour dénoncer ce qui à l’époque n’était pas audible. Un témoignage bouleversant qui fait l’objet actuellement de l’exposition “Drancy, au seuil de l’enfer”.
Ce grand témoin, c’est Georges Koiransky (1894-1986). D’origine russe et naturalisé français en 1925, il est employé comme dessinateur industriel par l’aviateur Farman. Victime de délation de la part de son voisin de palier, il est interné à Drancy en juillet 1942. Arrivé quelques jours avant la Rafle du Vél’ d’Hiv, il ne nourrit aucune illusion sur la gravité de la situation. Griffonnant frénétiquement dans son carnet, il est repéré par René Blum, frère cadet de Léon, qui lui demande d’illustrer le texte qu’il veut écrire. A eux deux ils épient les moindres mouvements de cet enfer sur terre et relatent les récits de leurs camarades. Totalement absorbé par sa mission, Georges Koiransky se propose même d’accompagner les déportés jusqu’aux bus, croquant les détails de ces convois en témoin effaré.
« Une oeuvre frappante et juste »
“Lorsqu’il dessine son quotidien dans le camp, il sait que la destination finale n’est certainement pas un lieu de travail, bruit qui court au début du génocide. Ses dessins restent allusifs mais il prend de plus en plus conscience du sort qui leur est réservé. C’est ce qui rend son oeuvre, 70 ans plus tard, toujours aussi frappante et juste”, souligne Benoît Pouvreau, historien au Service du patrimoine culturel du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et commissaire de l’exposition. Déclaré “non-juif” au bout d’un an et demi d’internement, il est libéré et s’engage dans la résistance sous le pseudonyme de Georges Horan. Ayant préservé ses estampes, il auto-publie en 1947 Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif sous son faux nom. L’ouvrage tombe aux oubliettes et ce n’est que récemment que des historiens ont retrouvé sa trace.
“Lorsque l’on parle de la Shoah nous sommes nécessairement sur un discours “de masse” et cela rend les faits abstraits, analyse Benoit Pouvreau. Grâce aux dessins de Georges Horan-Koiransky, la visite du mémorial se complète par une immersion sensible au coeur d’une expérience individuelle.” Ces vestiges longtemps enfouis sont un outil particulièrement précieux auprès du public scolaire. “Par cette exposition nous touchons le public avec une approche différente des documents d’archives présentés dans le Mémorial. Ces récits dessinés sont primordiaux pour la mémoire car les rares images ayant survécu sont des photos de propagande. Ici, les estampes sont une dénonciation à travers les yeux d’un interné conscient de l’atrocité de la réalité.”
Infos pratiques : Mémorial de la Shoah de Drancy, 110-112 avenue Jean Jaurès, Drancy (93). Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf le vendredi et le samedi. Entrée libre. Exposition « Drancy, au seuil de l’enfer, dessins de Georges Horan-Koiransky » jusqu’au 15 avril 2018. Plus d’infos sur drancy.memorialdelashoah.org
28 septembre 2017 - Drancy