Comment avez-vous fait la découverte de l’architecture de Ricardo Bofill ?
Laurent Kronental : Je vis depuis très longtemps à Courbevoie (Hauts-de-Seine) et, pour prendre le métro, je passe inexorablement par les Damiers, le quartier conçu à la fin des années 1970 par les architectes Jacques Binoux, Michel Folliasson, Abro et Henri Kandjian. J’ai aussi le souvenir, enfant, de passer sur l’autoroute à côté de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) et d’y apercevoir les fameuses Arènes de Picasso en forme de « camemberts », signées de l’architecte Manuel Núñez Yanowsky au début des années 1980. Ce que je veux dire par là, c’est que je me suis construit avec ce type de représentations architecturales. Bofill, je le découvre en 2011 quand je débute mon projet photographique « Souvenir d’un futur » (voir portfolio ci-après).
Qu’est-ce qui vous touche dans son travail ?
Il y a une ambivalence temporelle qui mêle à la fois futurisme et dimension un peu surannée. Comme un élan vers la science-fiction. Dans ces quartiers, on a la vision d’un futur qui n’a, finalement, pas eu lieu. C’est un autre modèle de logements collectifs qui s’inscrit en rupture avec l’uniformité des grands ensembles qui se construisaient dans l’après-guerre. Il s’agit de magnifier le quotidien. Se promener dans les quartiers conçus par Bofill, c’est une expérience ! Il y a une dimension dystopique, l’impression de plonger dans un décor de film. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des scènes de Brazil ou de Hunger Games ont été tournées aux Espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Les matières vieillissent avec le temps. C’est magnifique et spectaculaire à la fois.
Mais ce sont aussi des bâtiments qui peuvent renvoyer un certain sentiment d’angoisse en raison de leur monumentalité…
Je dirais que c’est à la fois attirant et effrayant pour ceux qui ne les connaissent pas. Quand vous vous promenez à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) ou à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), il y a une ambiance magique, poétique, attirante. Les Espaces d’Abraxas renvoient un imaginaire très fort, avec cette idée de forteresse imprenable façon films de Miyazaki. D’ailleurs, le lieu et ses trois bâtiments – le Théâtre, l’Arche et le Palacio – ont été conçus de façon très symbolique : l’Arche représente un rideau de théâtre, le Théâtre, l’avant-scène, et le Palacio, l’arrière-scène. Quant aux loggias, elles peuvent évoquer des loges. Les constructions se nourrissent de plein de références, à chercher du côté du classicisme, de l’antiquité…
Que vous disent les habitants qui vivent dans du Bofill ?
Il faut déjà rappeler que Bofill souhaitait construire, selon son expression, des palais pour le peuple ! Chaque quartier a des problématiques sociales différentes mais, globalement, dans chaque grand ensemble que je visite, les gens sont plutôt fiers d’y habiter. Dans ces décors, j’ai photographié beaucoup de seniors. Et un certain nombre d’entre eux m’ont dit : « Je ne me suis pas vu vieillir »… Un peu comme ces bâtiments, en fait.
Infos pratiques : le projet photo « Souvenir d’un futur » de Laurent Kronental est à découvrir en intégralité sur son site laurentkronental.com
Les réalisations de Ricardo Bofill à voir dans le Grand Paris :
– Les Espaces d’Abraxas : 6, place des Fédérés, Noisy-le-Grand (93). Accès : gare de Noisy-le-Grand – Mont d’Est (RER A)
– Les Arcades du lac : 21, rue Jacques-Cartier, Montigny-le-Bretonneux (78). Accès : gare de Saint-Quentin (RER C) puis bus 461 arrêt L.A. de Bougainville
– Place des Colonnes, Cergy-Pontoise (95). Accès : gare de Cergy-Saint-Christophe (RER A et ligne L)
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21 janvier 2022