L’Île-de-France va voir pousser une nouvelle forêt dans la plaine de Pierrelaye-Bessancourt dans le Val-d’Oise. Pas moins d’un million d’arbres vont être plantés par l’ONF dans cette ancienne plaine agricole de plus de 1 000 hectares laissée à l’abandon en raison de la pollution des sols engendrée par les épandages des eaux usées de Paris jusqu’en 1992. Responsable du service forêt de l'agence ONF Île-de-France Ouest, Claire Nowak explique les enjeux du projet à Enlarge your Paris.
Les forêts franciliennes, et notamment les grandes forêts domaniales, héritage des anciennes chasses royales, sont connues pour leurs essences nobles, comme le chêne et le hêtre. Lesquelles avez-vous sélectionnées pour la future forêt de Maubuisson (anciennement appelée forêt de Pierrelaye, NDLR) ?
Claire Nowak : Pour Pierrelaye (Val-d’Oise), il a fallu se projeter dans un horizon de plus de cinquante ans, en tâchant d’intégrer la question du changement climatique, qui est devenu le premier élément déterminant de notre travail de plantation. Nous avons donc défini notre palette d’essences en nous appuyant sur les projections du GIEC d’ici à 2070, avec un scénario optimiste à +2,5 °C dans le monde – et sans doute +4 °C en France – et un scénario pessimiste qui, lui, indique +6 °C en France. Sur la base de ces hypothèses, nous avons sélectionné des pins, des espèces du pourtour méditerranéen comme le chêne pubescent, le chêne chevelu, le chêne tauzin. Mais aussi des essences locales frugales, peu utilisées en reboisement classique : l’érable champêtre, le tilleul. Ici, le but n’est pas de produire du bois mais de créer un écosystème qui se développe dans des conditions climatiques très compliquées.
Aux enjeux du changement climatique se sont ajoutés ceux de la pollution des sols…
Tout à fait, car la plaine de Pierrelaye est essentiellement constituée d’anciennes terres agricoles achetées par la Ville de Paris au XIXe siècle pour y déverser les boues urbaines, c’est-à-dire les résidus des toilettes des Parisiens, traités dans l’usine du SIAAP (Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne) sur les bords de Seine. Ces boues d’épuration étaient épandues grâce à un immense réseau de canalisations souterraines, ce qui permettait d’amender le sol, et de faire de ces terres très sableuses le « potager de Paris ». Le problème était que ces résidus étaient pollués, notamment en métaux lourds, ce qui a entraîné au début des années 1990 la décision d’interdire l’activité maraîchère sur la plaine, qui a par la suite connu une forme de déshérence avec le passage du maraîchage à la grande culture : moins de cultivateurs actifs sur la plaine, c’est plus d’espace pour des activités illégales comme le dépôt de déchets. Pour revaloriser le territoire, le cicatriser, il a donc été décidé de créer une forêt. Une mission confiée à l’ONF (Office national des forêts) par le SMAPP (Syndicat mixte pour l’aménagement de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt) et les élus afin de faire émerger, à partir de zéro, un écosystème forestier sur un terrain dégradé par l’homme. L’enjeu est double et consiste à la fois en une revalorisation paysagère et écologique du site et la création de nouveaux usages sociaux dans un territoire servant de la métropole parisienne depuis le milieu du XIXe siècle.
Existe-t-il ailleurs qu’à Pierrelaye des projets de forêt réparatrice d’une telle échelle ?
On peut citer les nombreux boisements de terrils, d’anciennes carrières et de mines qui sont menés un peu partout, en France et ailleurs ; mais ces projets de forêts créés sur des terrains pollués sont sans comparaison avec celui de Pierrelaye, qui dépasse les 1 000 hectares ! Il y a également de nombreux exemples de plantations forestières dans des délaissés périurbains. Me vient à l’esprit la forêt domaniale de Palaiseau, créée par l’ONF entre 1978 et 1980 pour revaloriser un espace en déshérence. Aujourd’hui, c’est un vrai massif de 55 hectares situé à proximité de l’École polytechnique. Enfin, si l’on cherche des exemples de forêts qui se développent dans des conditions climatiques très dures, il faut regarder du côté du sud de la France ou bien des nombreux projets d’afforestation en Afrique du Nord. Mais, à ma connaissance, Pierrelaye est le seul projet qui conjugue simultanément à une telle échelle des enjeux de réparation écologique, de revalorisation paysagère périurbaine et de résilience écosystémique.
Donc, Pierrelaye est un laboratoire pour l’ONF pour penser la forêt du XXIe siècle…
Absolument. Chaque époque connaît son style de forêt, son ingénierie forestière. Par exemple, les grandes plantations du XVIIe siècle étaient liées aux enjeux géopolitiques et maritimes du royaume ainsi qu’aux grandes forêts de chasses royales. La forêt du XIXe siècle est quant à elle issue de politiques de boisement volontaristes : le boisement des Alpes pour la maîtrise des risques torrentiels et des éboulements, la création de la forêt des Landes pour la fixation des dunes et l’augmentation de la productivité de marais pâturés ainsi que l’extension de Fontainebleau avec l’invention du tourisme et de la randonnée. Au XXe siècle, la forêt a connu, comme l’agriculture, un épisode de productivisme, avec le recours aux plantations d’essences à croissance rapide sur un modèle agricole. Résultat : la surface forestière en France a doublé, du fait également de la déprise agricole par l’abandon des terres moins fertiles comme les coteaux et parce qu’on utilise désormais de grosses machines qui ne passent plus dans les pentes ; on a assisté aussi à l’abandon des prairies parce que l’élevage ovin et caprin ne rétribue plus toujours assez. Dans ces friches et ces délaissés ont grandi discrètement les bois d’aujourd’hui. L’histoire de l’extension de la forêt française au XXe siècle raconte en creux le recul agricole, et cela nous oblige à nous interroger sur la manière de valoriser ces forêts non prévues et parfois non désirées, que ce soit sur le plan économique, social, paysager ou environnemental. Enfin, ce début de XXIe siècle est marqué par ces questions : comment le changement climatique va-t-il affecter les écosystèmes forestiers, et comment l’homme peut-il réparer les écosystèmes qu’il a endommagés ? La forêt de Pierrelaye est un symbole de ces deux enjeux essentiels. C’est un véritable laboratoire pour penser la forêt du futur.
La forêt de Pierrelaye sera également le maillon manquant entre les forêts de Saint-Germain, de Montmorency et de L’Isle-Adam…
Pierrelaye complétera la ceinture forestière qui entoure la métropole parisienne et permettra une continuité forestière dans l’Ouest métropolitain. D’un point de vue environnemental, cela permet de ne pas avoir d’écosystèmes isolés fonctionnant en vase clos mais une trame verte avec des échanges de populations, que ce soit au niveau de la faune ou de la flore. D’un point de vue social, la continuité forestière permet de panser le paysage, d’offrir aux habitants des espaces naturels ouverts. On a vu avec l’épisode du covid à quel point ces espaces étaient nécessaires aux Franciliens.
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16 avril 2024