En tant qu’architecte, qu’attendez-vous des « États-généraux de la transformation des tours de La Défense » ?
Vera Matovic : Je réhabilite des bâtiments depuis plus de 20 ans. J’ai donc suivi la rapide évolution de ce secteur. Aujourd’hui, nous sommes nombreux à ne plus vouloir détruire pour reconstruire du neuf car c’est une aberration environnementale. J’attends que les maîtres d’ouvrage, les donneurs d’ordre mais aussi les architectes réalisent que toutes les contraintes imposées par un bâtiment existant peuvent en faire aussi sa force. La démolition ne doit plus être une option.
Depuis combien de temps est-ce que réhabiliter a supplanté la démolition systématique ?
Il y a encore une dizaine d’années, la réhabilitation était considérée comme le parent pauvre de l’architecture ; il fallait construire du neuf. On ne réhabilitait que les bâtiments remarquables du point de vue du patrimoine. Les bâtiments à l’architecture dite « ordinaire » étaient détruits presque systématiquement quand ils n’étaient plus adaptés. Le patrimoine n’est pas le seul élément à prendre en compte pour conserver les bâtiments. On doit prendre en compte le poids carbone des interventions sur ces structures. Depuis quelques années, réhabiliter se retrouve au cœur des problématiques architecturales : 80 % de la ville de demain est déjà là.
Que vous ont appris vos expériences dans le secteur de la réhabilitation ?
Dernièrement, j’ai pu réhabiliter l’immeuble du 10 Grenelle, le siège des Échos et du Parisien, qui était une véritable passoire thermique ; ou bien l‘Altiplano à La Défense, un immeuble de bureaux construit dans les années 90 qui jouit d’une belle hauteur entre planchers et d’une possibilité d’extension. On a ajouté deux étages pour notamment y intégrer un jardin. Il n’était pas question de se séparer de 40 000 mètres carrés de béton. Dans la réhabilitation, chaque projet devient unique, l’existant nous guide dans la transformation du lieu. L’architecture n’est pas seulement une affaire d’esthétisme : elle se constitue à partir des nombreuses contraintes environnementales pragmatiques. À mon sens, la beauté architecturale se niche dans le lien entre ce que l’on conserve, ce qu’on va employer, et ce qu’on va ajouter.
Allier les termes « quartier d’affaires » et « post-carbone » semble encore difficile…
Je dirais au contraire que La Défense a la nécessité de devenir un quartier post-carbone. Pour cela, il faut réussir à décorréler ce que l’on attend d’un quartier d’affaires de notre imaginaire collectif. Cela nous oblige à bousculer les standards. Concrètement, il faut s’emparer de sujets un peu sensibles comme la climatisation des bureaux. Pendant les années 1990, on considérait qu’un bâtiment « intelligent » était un bâtiment bourré de technologies ; mais cela nous a rendu plus dépendants des machines. Encore aujourd’hui, 30 % des coûts de fabrication des bâtiments de bureaux vont dans ce que l’on appelle le « lot technique ». Si la prise de conscience se révèle importante dans l’acte de réhabiliter, il faut maintenant réduire ces éléments techniques coûteux et énergivores qui rendent l’homme tributaire de l’immeuble.
Sommes-nous prêts à bousculer nos standards ?
Il ne s’agit pas de créer de l’inconfort. À nous de trouver des solutions plus propres pour qu’on puisse travailler correctement dans ces espaces. Baisser un store à la main sans télécommande devrait être entendable, comme maîtriser la température des bâtiments grâce à l’ensoleillement et la ventilation naturelle d’un bâtiment. Simplement, faire circuler l’air dans les bâtiments avec des ouvertures de fenêtres la nuit, par exemple, peut être une solution. Les anciens l’avaient bien compris, nous n’inventons rien ! Parallèlement à la réflexion architecturale, de nombreux organismes militent pour faire évoluer les techniques de construction et de rénovation. Nous avons aujourd’hui accès à de nouveaux matériaux biosourcés, à l’instar du béton de chanvre qui peut remplacer le béton traditionnel.
Quel serait l’avenir idéal de La Défense selon vous ?
Les idéaux n’existent malheureusement pas ! La Défense a longtemps été un quartier difficile à comprendre pour ne pas dire « mal-aimé », en tout cas pour le grand public. La Défense reste pour beaucoup de Parisiens cette skyline que l’on aperçoit derrière l’Arc de triomphe. On n’y va que si l’on y est obligé. Cet espace fut un véritable terrain expérimental, remarquable quand il a été construit. Il faudrait qu’il le redevienne dans le sens où on pourrait se l’approprier comme un autre quartier de l’agglomération parisienne. Je suis persuadée que cela passera aussi par la réhabilitation, la transformation des énergies et la mutation de l’espace public.
Infos pratiques : Ouverture des « États-généraux de la transformation des tours de La Défense », mercredi 30 novembre de 9 h à 12 h. Diffusion en direct sur transformation-des-tours.parisladefense.com. Inscription gratuite ici. Deux autres sessions sont prévues en février et mai 2023. Plus d’infos sur transformation-des-tours.parisladefense.com
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29 novembre 2022