Société
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Pour un Grand Paris qui joue collectif

A l'occasion du premier anniversaire de la métropole du Grand Paris, nous avons demandé à des Grand-Parisiens de partager, tout au long du mois de janvier, leur vision de ce Paris élargi. Chercheur à Sciences Po, Frédéric Gilli plaide pour une culture du débat public accrue à l'échelle métropolitaine.

Inauguration du chantier du Grand Paris Express à Clamart le 4 juin 2016 / DR

Frédéric Gilli, directeur associé de l’agence Grand Public et chercheur associé à Sciences Po

On nage actuellement en plein paradoxe. La région et la métropole parisienne vont bien. La population grandit (l’Île-de-France a dépassé les 12 millions d’habitants l’année dernière), l’emploi est soutenu (s’il reste élevé, le chômage a nettement reculé en 2016 et se situe près de 2 points sous la moyenne nationale), la création d’entreprises et l’innovation sont plus dynamiques que jamais (tous les départements de proche et grande couronne sont dans le top 10 français pour le taux de création d’entreprises). Dans le même temps, beaucoup de projets se déploient : le chantier du Grand Paris Express avance, la construction de logements et les projets d’aménagement fleurissent partout, les candidatures aux JO et à l’Exposition universelle témoignent d’une volonté affirmée d’aller de l’avant.

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Au quotidien, malgré des différences qui demeurent très marquées, les barrières entre Paris et sa banlieue continuent de se dissoudre : le dernier recensement montre la croissance soutenue de toutes les villes de première couronne dont le marché immobilier est particulièrement tendu et, plus anecdotique mais tout à fait symbolique, le temps d’attente pour un taxi est devenu sensiblement le même entre Paris et sa proche périphérie grâce au développement des chauffeurs privés (Uber & Co)… A l’occasion des très nombreuses enquêtes et débats que je réalise quotidiennement auprès des habitants de ces villes et territoires, je constate que le «grand Paris» est installé dans les représentations : pour les Franciliens, le grand Paris n’est pas seulement un métro ! Cela évoque un grand territoire aux frontières floues mais qui dépasse largement Paris et ses communes limitrophes ; cela évoque aussi une dynamique très puissante. Bref un géographe constaterait que la métropole parisienne s’installe définitivement dans les faits et les consciences.

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A tous ces éléments, on pourrait évidemment ajouter la création de la métropole du grand Paris, le 1er janvier 2016. Ce serait justifié et, dans une approche historique, on retiendra sans doute cette date. Mais, concrètement, une institution ne vaut que par sa capacité à produire des actions et des mots qui soignent des inquiétudes ou apportent des solutions nouvelles. Dans la situation de grave crise démocratique où nous sommes, la « MGP » (acronyme partagé par les experts et les élus pour désigner cette « Métropole du Grand Paris » institutionnelle) est restée un cadre institutionnel dont la légitimité est discutée et pas un levier politique dont l’action est remarquée.

 

Les inquiétudes des Grand-Parisiens

Les sujets politiques d’envergure métropolitaine ne manquent pourtant pas ! Le métro Grand Paris Express excite autant qu’il inquiète les habitants. Contrairement à ce qui est régulièrement propagé, il n’inquiète pas simplement les riverains pour des questions de nuisances : ces questions (lorsqu’elles sont traitées) se règlent aisément. Non, le sujet d’inquiétude est plus profond et politique : les habitants se demandent si, avec l’arrivée du métro, leur territoire ne va pas devenir trop «stratégique », trop « parisien » pour qu’ils puissent y rester. Ils anticipent qu’ils vont être chassés et que le Grand Paris et ses promesses de développement vont peut-être bénéficier à leur territoire, mais pour d’autres, contre eux.

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C’est une inquiétude par bien des aspects légitimes quand on voit la hausse des prix de l’immobilier en première couronne. C’est aussi une inquiétude qu’un message politique pourrait apaiser pourvu qu’il soit porté avec clarté non pas par chacun des élus en face de « leurs » citoyens mais collectivement, par les pouvoirs politiques, avec les habitants. De manière plus générale, la crise sociale très dure qui frappe aussi les populations franciliennes renvoie vers les maires et les élus de proximité des questions toujours plus insistantes et une attente toujours plus grande de proximité… en même temps qu’un doute croissant sur leur utilité et leur capacité à régler ces problèmes. Qu’il s’agisse de déplacements, de logement, de foncier, de politiques sociales, mais aussi de pollution et de la capacité de nos villes à ne pas nous tuer à petit feu, toutes ces questions appellent des réponses coordonnées de nos élus.

 

Des tabous à lever à l’échelle métropolitaine

C’est comme cela, ensemble, qu’ils trouveront des solutions réellement efficaces aux problèmes de chacun. Que les réponses « techniques » aux sujets locaux se trouvent dans la convocation d’échelles plus grandes, c’est ce qui avait fondé le syndicat Paris Métropole et c’est ce qui a légitimé la création d’une intercommunalité métropolitaine. Pour que les élus apprennent à se connaître, à travailler ensemble y compris sur leurs compétences locales et pas seulement sur les questions d’envergure régionale. Mais on attend désormais la Métropole sur de réelles actions communes. La connaissance mutuelle continue à progresser (merci l’Apur…) mais, au delà du symbolique appel à « réinventer la métropole », les questions de stratégies foncières et urbaines, de convergence fiscale, de coordination des politiques économiques territoriales, ne sont pas abordées franchement. Elles restent taboues.

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C’est aussi comme cela, ensemble, que les élus pourront être crédibles devant leurs concitoyens. Car les habitants sont de plus en plus circonspects sur la capacité de leur maire à agir, voire à simplement résister aux dynamiques très puissantes qui traversent la métropole. Ils mesurent quotidiennement, dans leurs déplacements professionnels, quand ils font leurs courses, dans leurs loisirs, que les choses se jouent ailleurs, à une autre échelle que dans leur seule commune. Un élu local, dans une commune limitrophe de Paris peut proclamer qu’il va s’attaquer aux zones abandonnées du périphérique qui abîment sa commune, qu’il va lutter contre la relégation sociale, etc. Il ne sera vraiment crédible auprès des habitants de sa ville qu’à la condition de faire la preuve que ses paroles ne l’engagent pas seulement lui, qu’il n’est pas, lui-aussi, tout seul face aux grandes transformations de la métropole.

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Vue sur La Défense depuis la butte d’Orgemont (95) / © Pierre-Yves Brunaud

 

Favoriser le débat public

Il y a les questions techniques, juridiques, les incessantes querelles de boutiques et les omniprésentes histoires d’appareil ; elles se règlent dans les bureaux. Et puis il y a les questions vraiment politiques, celles qui envahissent aujourd’hui les débats populaires et nourrissent la crise démocratique faute d’être activement traitées. Celles-ci ne se règlent pas dans les bureaux. Elles se règlent ensemble, sur le terrain, dans des débats francs et largement ouverts avec le grand public.

Si un(e) maire veut traiter le périphérique, c’est avec la maire de Paris ou un de ses adjoints qu’il faut aller sur le terrain, pas avec un urbaniste mandaté par la commune. Si il ou elle invite à débattre d’une future gare du Grand Paris Express, c’est avec le DG de la Société du Grand Paris, pas avec un directeur de chantier et un powerpoint qu’il faut rencontrer les habitants, pour discuter mobilité mais aussi développement économique et ségrégation sociale. Et si une opération d’aménagement métropolitaine se profile, c’est avec le PDG de Grand Paris Aménagement plutôt qu’avec un chef de projet qu’il faut aller devant les habitants. Et dans tous les cas, il faut y aller avant que les projets soient négociés et ficelés, au moment où cela sert encore à quelque chose que les habitants donnent leur avis, au moment où leur parole peut encore peser. Ce qui est en jeu aujourd’hui, dans le Grand Paris comme en France, ce n’est pas une question de compétence technique. C’est une question de pouvoir. C’est en ce sens qu’elle est réellement un enjeu démocratique.

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Il faut que les questions pratiques soient réglées, mais l’intendance doit « suivre », pas « remplacer » le projet et l’action politique. Il y a des divergences entre droite et gauche, indéniablement. Et il y a des élections pour arbitrer ces équilibres. Mais les incessantes bisbilles entre voisins, partis ou collectivités lassent les électeurs. Le risque, si cette question démocratique n’est pas traitée, est que la métropole se fasse vraiment sans les élus, dans une sorte de relation directe entre investisseurs et riverains. Ce n’est pas comme cela que se construisent les territoires politiques, ce n’est pas cela l’histoire de Paris ! Mon vœux pour 2017 serait donc une adresse aux élus : le temps que vous consacrez à la métropole, passez le ensemble sur le terrain, sortez des bureaux et construisez l’espace démocratique dont nous avons tant besoin ! Vous seuls pouvez vraiment le faire…

 

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