Le 28 août dernier, après un été quelque peu gâché par des débats anxiogènes et nauséabonds autour du burkini, la baignade retrouvait ses lettres de noblesse le temps d’une journée. Étonnamment, la réponse n’est pas venue de la Côte d’Azur et de ses plages de sable fin mais bien du Nord-Est parisien et de son canal de l’Ourcq coloré. Ce dimanche-là, dernier jour d’une semaine caniculaire, ce sont des dizaines et des dizaines de curieux qui se sont prêtés au jeu de la baignade “pirate” dans le bassin de la Villette, malgré une interdiction administrative tardive. Familiale et branchée, l’ambiance était aussi baignée d’euphorie, d’insouciance et de convivialité. À voir les sourires sur les visages et le bon esprit qui se dégageait de cette transgression joyeuse, malgré un contexte sécuritaire tendu, il semble que le temps soit venu de considérer autrement la baignade libre en milieu urbain.
Cet évènement fédérateur fait écho à une actualité parisienne particulièrement riche s’agissant de la baignade urbaine : retour intra-muros de compétitions de natation en eau vive, projet d’un espace de baignade naturelle dans le lac Daumesnil, ou encore construction d’un bassin flottant sur le bassin de la Villette dès 2017. Le sujet, qui a longtemps souffert de promesses sans lendemain, ne prête aujourd’hui – plus seulement – à rire, et c’est tant mieux ! Surtout, il est prévu que l’épreuve de natation du triathlon des Jeux Olympiques 2024 se déroule dans la Seine si Paris obtient l’organisation de la compétition. Avec en ligne de mire l’objectif clairement exprimé de rendre le fleuve praticable à la baignade libre dans la foulée de l’événement.
Une tendance métropolitaine
La capitale française semble donc prête – dans le sillage d’autres métropoles comme Copenhague, Berlin ou Zurich – à devenir pro-active sur le sujet. Si la dynamique actuelle est forcément positive, il est cependant nécessaire que cet enjeu soit appréhendé collectivement avec les territoires franciliens limitrophes, pour que la baignade urbaine puisse aussi s’épanouir au-delà des limites du périphérique. Si l’on se réjouit d’imaginer se baigner au pied du Grand Palais ou de Notre-Dame dans une dizaine d’années, c’est bien le territoire francilien dans son ensemble qui a besoin de connaître ce type d’expériences urbaines ! Car l’histoire du siècle passé nous le rappelle, c’est à l’échelle du Grand-Paris que la relation baignade / fleuve se joue.
Si la baignade en Seine a fait les belles heures de la capitale durant toute la première partie du XXe siècle (concours de plongeons sous la Tour Eiffel, compétitions de traversées de Paris à la nage, ou encore simples détentes collectives au Pont d’Iéna, aux Tuileries et le long des quais), malgré tout, c’est déjà extra-muros que l’on trouve à cette époque les meilleurs endroits pour se baigner, ainsi que les premiers aménagements pérennes pour profiter des rivières et fleuves franciliens. D’Ivry-sur-Seine à Meaux, de Champigny-sur-Marne à Ris-Orangis en passant par l’Isle-Adam et Corbeil-Essonnes, bains flottants, baignades municipales ou véritables plages de sable fin permettent une baignade ludique et sécurisée plébiscitée par les banlieusards et les Parisiens.
À l’époque, ces différents espaces représentent de formidables lieux gratuits de socialisation et d’initiation à l’activité physique. De la base de loisirs à la guinguette populaire, les rives franciliennes accueillaient des lieux associées à la détente et au plaisir. La pollution de l’eau grandissante à partir du milieu des années 60, et l’arrêté préfectoral qui suivra interdisant la baignade dans la Marne, auront raison de ces lieux collectifs, en région parisienne comme ailleurs en France et en Europe. Beaucoup seront détruits, certains seront seulement laissés vacants, trop peu seront transformés en espaces de loisirs extérieurs, comme c’est le cas pour la plage de Champigny (94).
Réinventer le rapport aux cours d’eau
L’appel à projets “Réinventer la Seine”, lancé en février dernier par les municipalités de Paris, Caen et Le Havre, amorcent une première dynamique métropolitaine autour du fleuve. 41 sites – ponts, bâtiments vacants, plans d’eau, etc. – ont été identifiés pour être transformés et réhabilités de façon innovante et permettre ainsi, espérons le, un rapport bien plus direct à la Seine. Néanmoins, même si l’intention de vouloir relier Paris au Havre est louable, essayons d’abord de faire en sorte de (re)connecter durablement les Franciliens à leur fleuve et à leurs rivières. Développer des espaces sur les berges et les rives du Grand Paris serait en effet un merveilleux moyen de faire enfin éclore ce potentiel tout en liant les territoires entre eux.
À l’image de nos baignades dans le canal de l’Ourcq depuis 4 ans, impulsons sans attendre un changement de regard sur les rivières franciliennes par une réappropriation joyeuse et spontanée. Réinventons la Seine certes, mais de façon citoyenne, collective et concrète ! À l’image du collectif Mainstenant, qui tente, par une action humble et évolutive, de faire renaître l’ancienne cité nature Physiopolis, sur l’île de Platais à Villennes-sur-Seine (78). À l’image de l’ancienne baignade municipale de Ris-Orangis (91), qu’entrepreneurs et associations locales essayent de relancer depuis quelques années. A l’image encore du syndicat mixte Marne Vive qui se bat pour améliorer la qualité de l’eau de la Marne et ainsi redévelopper des activités de baignade. Inspirons nous de ces énergies naissantes pour réinventer l’imaginaire associé aux cours d’eau franciliens. Réactivons les espaces vacants et endormis en bordure de rivière, et créons de nouvelles synergies entre les sphères culturelles, sportives, environnementales et associatives pour y développer de nouveaux possibles.
Pour y arriver, il est temps de renverser l’approche réglementaire actuelle qui ne crée qu’hypocrisie et frustration. Car la pratique de la baignade libre est déjà bien répandue dans la métropole. Parfois, pontons et échelles sont déjà en place le long des rives. Qu’attendons-nous pour y autoriser l’accès à l’eau ? Il serait selon nous plus efficace d’y apporter un véritable encadrement réglementaire et sécuritaire plutôt que de continuer à proclamer des interdits qui ne sont in fine pas respectés et qui, comme l’actualité nous le rappelle parfois, peuvent apporter des situations dramatiques (début septembre, un jeune homme de 22 ans est décédé après avoir plongé dans le canal Saint-Denis, Ndlr).
Expérimenter de nouveaux usages dans toute la métropole francilienne serait bénéfique pour tout le monde. Cela permettrait de créer des lieux vibrants et rassembleurs ouverts à tous, de renforcer l’appropriation de nombreux espaces collectifs ainsi que d’en valoriser la qualité paysagère. Profitons de la dynamique métropolitaine pour changer notre regard sur l’urbain, pour refaire de la ville un terrain d’expériences collectives, de surprises, d’initiatives ascendantes. Pour faire des territoires franciliens des espaces de liberté, permettant à leurs habitants de jouir à nouveau de lieux trop longtemps confisqués à la population. Il serait temps de (re)voir la baignade urbaine comme un outil de valorisation des territoires de même que comme un loisir accessible à tous. A nous d’inventer les équipements baignables du XXIè siècle : permissifs, ouverts sur la ville, respectueux de leur environnement et des paysages alentours. À nous d’agir dès maintenant pour faire de ce Grand Paris ploufable une des réalités de demain.
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1 janvier 2017