Culture
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Jouir ou ne pas jouir, telle est la question

Charlotte Gainsbourg dans le film "Nymphomaniac" de Lars Von Trier / DR
Charlotte Gainsbourg dans le film « Nymphomaniac » de Lars Von Trier / DR

Le 21 décembre est la journée mondiale de l'orgasme. En mars dernier, la comédienne Constance Larrieu nous en enseignait les vertus à la Ferme du buisson (77).

Votre spectacle « La fonction de l’orgasme » s’appuie sur la théorie du psychanalyste autrichien Wilhelm Reich. Pourriez-vous nous en faire un résumé ?

Constance Larrieu : Wilhelm Reich fonde sa théorie sur la fonction vitale, mentale et sociale de l’orgasme ainsi que l’intérêt collectif de rapports sexuels individuels satisfaisants. D’après lui, si tout le monde jouissait sans entrave, il n’y aurait pas de frustrations donc pas de fascisme. Lorsqu’il écrit cela, nous sommes à la veille des années 1930, ce qui va bien sûr lui valoir quelques problèmes avec les nazis, mais aussi avec ses confrères psychanalystes.

Il fait donc de l’orgasme un projet de société…

L’analyse qu’il dresse de la société est qu’elle est peuplée de gens névrosés car frustrés par une énergie qui reste prisonnière de leurs corps. Si chacun parvenait à libérer cette énergie, nous serions plus épanouis dans nos vies. Ce qui soulève des tabous et réveille des peurs, notamment chez l’homme. Cette approche questionne l’image que l’on peut avoir du plaisir masculin, qui se réduit bien souvent à l’éjaculation. Il s’agit pour les hommes de laisser s’exprimer une autre sensibilité, en contradiction avec les mythes qui ont forgé notre conception de la virilité. Il s’agit également d’accorder plus de liberté aux femmes. Il ne faut pas oublier qu’il y a encore un siècle, l’orgasme clitoridien était provoqué par les médecins à l’aide des premiers vibromasseurs pour soi-disant guérir l’hystérie féminine. Ce qui m’intéresse en outre chez Reich, c’est qu’il prône l’épanouissement sexuel sans pour autant faire de la multiplication des expériences une condition. Pour lui, plus on connaît une personne plus on va prendre du plaisir avec elle.

Comment avez-vous mis en scène cette pensée ?

Cela fait plus de cinq ans que je travaille à partir des écrits de Wilhelm Reich et deux ans que nous avons commencé à réfléchir à la mise en scène avec Didier Girauldon, co-metteur en scène et co-auteur du spectacle, et Jonathan Michel, vidéaste et collaborateur artistique. Nous avons rencontré beaucoup de monde, des psychanalystes, des sexologues, des périnéologues… Nous nous sommes également intéressés aux travaux de scientifiques comme Virginia Jonhson et William Masters, qui ont été les premiers à étudier l’orgasme clitoridien. On s’aperçoit que même pour eux, ce sont des sujets difficiles à traiter. La chercheuse Rachel P. Maines, qui a écrit entre autres « Technologies de l’orgasme », a été virée de son université américaine lorsqu’elle a publié ses recherches. Quant à nous, nous avons eu droit à des réflexions étranges de la part de certains programmateurs. Ils trouvaient louche qu’une femme puisse être entourée d’hommes pour s’attaquer à un tel sujet. La seule autre femme de l’équipe est Fanny Brouste, la costumière. Mais je n’ai pas choisi de travailler particulièrement avec des hommes ou des femmes, j’ai choisi de travailler avec des artistes dont j’admire le travail, ce qui est loin d’être une question de genre !

Sous quelle forme se présente le spectacle ?

Ce n’est pas une adaptation du texte au sens strict. On préfère parler de recherche théâtrale, d’écriture de plateau. C’est un peu comme une conférence qui serait jouée par une actrice. Nous l’avons nourrie des témoignages de spécialistes que nous avons collectés, de courts extraits de Reich, de schémas, et de passages que nous avons écrits de toutes pièces pour en faire un vrai monologue théâtral. Il s’agit d’un projet engagé. Nous avons voulu aborder le sujet sans fausse pudeur, sans pour autant faire quelque chose qui s’apparenterait à la lecture didactique d’un manuel de sexologie. Il est important de pouvoir parler de sexualité pour la dédiaboliser. On a l’impression de vivre dans une société libérée mais elle ne l’est pas tant que ça.

Quels sont les retours du public ?

Ils sont très positifs. Il y a même des professionnels qui nous disent qu’ils aimeraient montrer le spectacle à leurs patients…

Avez-vous d’ores et déjà d’autres dates programmées ?

Nous sommes en train de construire la prochaine tournée. Nous reprendrons le spectacle à l’automne prochain à la Comédie de Reims, puis au Phénix à Valenciennes, ainsi qu’en région Centre où la compagnie est conventionnée. Nous souhaiterions bien sûr aussi trouver une opportunité de diffusion parisienne !