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« Il manque un imaginaire au Grand Paris »

Après Hermès, Chanel et BNP Paribas, Pantin accueillera dans quelques mois un nouveau pensionnaire de marque, l'agence de pub BETC qui va dire adieu à Paris intra-muros. On en a profité pour demander à son co-fondateur, Rémi Babinet, quelle image il avait du Grand Paris.

Expo "Les Passagers du Grand Paris Express" au MAC/VAL / © Steve Stillman

 

Selon vous, le Grand Paris est une chance de pouvoir changer l’image dans laquelle le monde entier veut enfermer Paris : une capitale magnifique et immuable avec laquelle on est sûr de rencontrer le passé mais pas l’avenir…

@RemiBabinetBETC : Oui, je trouve que l’image romantique qu’on associe à Paris intra-muros est plus dramatique qu’on ne croie. Paris bouge et vaut bien mieux que ça. Ce genre de carte postale de Paris fige notre imaginaire.

 Il n’y a donc pas que la taille de Paris qui compte, il y a aussi l’histoire que l’on raconte…

C’est tout le problème du Grand Paris à qui il manque un imaginaire. Cela prendra du temps et mérite qu’on fasse le tri dans ce que l’on va raconter. On a besoin d’images claires pour avancer et faire que la banlieue devienne Paris. Ce Paris-là possèdera plusieurs centres et ne se réduira plus aux limites du périphérique. Le canal à cet égard dispose d’un énorme potentiel parce qu’il traverse plein de communes différentes. Il incarne les Champs-Elysées du futur. 

 

 

A l’heure actuelle, les étrangers sont sans doute davantage prêts à croire à cette histoire que les Parisiens eux-mêmes. Les New Yorkais par exemple ont une sorte d’esprit pionnier et n’hésitent pas à investir des quartiers auxquels personne ne croit. C’est la même chose à Londres ou à Berlin. Il faut en finir avec la conception classique du centre dans lequel tout s’organise, vers lequel tout converge. Ce qui suppose entre autres d’améliorer les accès entre Paris et la banlieue pour donner envie de franchir le périph’. J’aurais beaucoup aimé que la Philharmonie joue ce rôle, un peu comme l’opéra d’Oslo où l’on passe du trottoir au toit sans s’en rendre compte. On a besoin de symboles. Je serais ravi d’être associé à cette réflexion sur l’imaginaire du Grand Paris. Malheureusement, je ne sais pas à quelle porte frapper aujourd’hui ni qui s’occupe de ces questions.

 

Philharmonie de Paris © Beaucardet

 

Vous êtes né à Suresnes et avez longtemps vécu à Ivry. Comment votre perception de la banlieue a-t-elle évolué entre hier et aujourd’hui ?

Lorsque j’habitais Ivry, je percevais Paris comme un monde complétement étranger. Nous y allions de temps en temps pour rendre visite à ma grand-mère, un peu comme des provinciaux. Notre vie était à Ivry. Il n’était pas question de sortir à Paris. J’ai emménagé pour la première fois intra-muros lorsque je suis arrivé en prépa dans les années 1970. Vu de Paris, la banlieue était quelque chose d’abstrait à cette époque. On n’en parlait pas et on ne la racontait pas non plus. 

 

 

Attendez-vous des médias qu’ils portent davantage ce récit de la banlieue ?

Cela me rappelle un peu ce que l’on voit avec l’Europe. Il y a des grands sujets comme ça, centraux et passionnants, que l’on n’arrive pas à rendre sexy et qui sont sous-joués alors qu’ils devraient être surjoués. Nous sommes trop habitués à réagir à de petits électrochocs que l’on oublie aussitôt.

 Lors de la consultation internationale sur le Grand Paris lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy, vous faisiez partie de l’équipe de l’architecte Jean Nouvel. Qu’avez-vous retenu de ces travaux ?

C’est à partir de là que j’ai réalisé pour la première fois qu’il y avait un projet fabuleux à discuter. J’ai été passionné par les propositions des équipes d’architectes. Il en ressortait une vision du Grand Paris. Apparemment peu de choses en sont sorties. Je trouve ça d’autant plus regrettable que cette consultation avait suscité beaucoup d’espoir. Au final, on se limite à un projet de transport. C’est très français. Nous sommes les rois du transport. On fait les plus beaux trains du monde. On a fait le Concorde. Malheureusement, la vision sociale et culturelle du Grand Paris a disparu. Pourtant, l’offre culturelle à Paris est foisonnante mais elle n’est pas considérée à sa juste valeur. Paris est la ville qui abrite le plus d’événements culturels au monde. Si on additionne cela avec tout ce qui se passe en banlieue, c’est de la bombe atomique ! La première chose à faire serait de cartographier le Grand Paris de la culture. C’est la base de tout et c’est comme ça que l’on parviendra à faire exister ce territoire.

L’enjeu est crucial lorsque l’on voit la place prise désormais par les grandes métropoles mondiales. Le Grand Paris peut être un moteur pour l’image de la France. Paris par exemple est en train de redevenir un symbole d’innovation, ce qui n’est pas le cas de la France.

 

 

 Le siège de BETC va déménager du 10e arrondissement aux rives du canal de l’Ourcq à Pantin. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Avant d’arriver dans le 10e arrondissement en 2000, nous étions en banlieue Ouest, à Levallois, là où se trouvent la plupart des agences de pub. A l’époque, le 10e n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. On nous en parlait comme on nous parle de Pantin à l’heure actuelle. Ce n’était absolument pas boboland, que nous avons évidemment participé à faire éclore, même si nous sommes dans un coin, le faubourg Saint-Martin, où cohabitent encore de nombreuses communautés. Ce premier déménagement nous a demandé beaucoup d’efforts et jamais nous n’aurions imaginé devoir déménager à nouveau.

Néanmoins, notre développement nous a contraints à nous répartir sur plusieurs sites et notre objectif est de rassembler à nouveau les équipes. Nous avons commencé à chercher dans Paris mais nous nous sommes vite aperçu que c’était trop cher. Nous avons donc choisi de regarder au-delà du périph’, au Nord et à l’Est. Je trouve cela amusant parce que j’ai fait le trajet dans les deux sens mais j’ai l’impression que c’est la même route. De la même manière que nous avions quitté une banlieue d’affaires classique pour un centre hyper-cosmopolite, nous continuons d’aller vers de l’expérimentation. Pour une boîte de création comme nous, c’est important que les gens sentent qu’on est curieux et qu’on a envie d’être des pionniers.

 

 

Comment préparez-vous votre installation ?

Nous y travaillons depuis maintenant cinq ans. Nous créons des liens avec les acteurs locaux, notamment les lieux culturels comme le Centre national de la danse et la galerie Ropac. Nous sommes très désireux de faire des choses ensemble. Nous discutons également avec la Philharmonie qui se trouve juste de l’autre côté du périphérique. Tous ensemble, nous avons une occasion en or de fabriquer un échantillon du Grand Paris. La notion de proximité est à mon sens un des éléments clefs du bon fonctionnement social de l’ensemble. Il s’agit de réussir une petite partie du grand tout. Je tiens à cette preuve par l’exemple. L’avantage avec le local c’est que ça se raconte facilement, ce n’est pas abstrait et ça peut donner des idées.

Ce qui m’intéresse dans ce que l’on va faire, c’est d’être expérimentateur. Je sais que je suis dans un lieu qui est bien né pour ça parce qu’il est au cœur d’un nœud de voies : on a le métro, on a des pistes cyclables, on a le canal, on a la route. Cela crée du lien entre Paris et la banlieue, deux concepts qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre aujourd’hui. Ces voies de circulation vont aider à construire l’imaginaire du Grand Paris. Pour autant, je n’ignore pas que nous sommes sur un territoire difficile, le 93. Mais si on parvient à rendre l’endroit attirant pour tout le monde, on aura prouvé en petit ce qu’il est possible de faire en grand.

 

 

Les sièges sociaux peuvent avoir tendance à vivre en autarcie lorsqu’ils s’implantent dans le 93. Comment éviter ce repli sur soi ?  

On ne veut pas d’un immeuble de bureaux déconnecté du quartier. Raison pour laquelle le rez-de-chaussée sera ouvert au public. Nous souhaitons en faire un lieu de vie avec un resto, pourquoi pas un marché. Nous sommes en train d’y travailler et de prendre des contacts. L’idée c’est d’apporter quelque chose et d’accueillir les gens qui vivent là. On réfléchit également  à de nouvelles manières de travailler, notamment en ouvrant nos portes à des entreprises extérieures par le biais du coworking mais pas seulement. Enfin, nous discutons avec des associations s’agissant de l’emploi local.