Dimanche matin à Saint-Denis (93). Le soleil est au rendez-vous. Sur la grande place Jean-Jaurès, le marché bat son plein. De la basilique, on entend les chants de la messe. Entre les deux, un groupe d’une dizaine de personnes est rassemblé sur le parvis. Toutes ont l’œil rivé sur le toit de l’extension de la mairie. « Vous voyez là-bas tout en haut ? Ce sont les ruches ». Celui qui parle, c’est Jean-Philippe Teyssier, architecte-paysagiste.
Depuis six ans, il organise des promenades urbaines partout en Île-de-France. L’homme se décrit comme un « Parigot qui a pris 15 ans de retard sur la banlieue ». Et d’ajouter : « faute d’y avoir suffisamment traîné – les ornières du provincial expatrié à Paris – je la regarde avec beaucoup de tendresse et regrette de ne pas l’avoir découverte plus tôt ». Aujourd’hui, il a été invité par le Parti Poétique, un collectif d’artistes-apiculteurs, à inventer une balade à Saint-Denis. Un parcours qui va des reines dont le tombeau se trouve dans la crypte de la basilique, aux reines des abeilles.
Paysagiste punk
« J‘avoue que j’ai un peu galéré à trouver des analogies entre les deux », sourit Jean-Philippe Teyssier. Qu’importe : le prétexte lui a suffi pour imaginer une promenade riche dans la ville, évoquant à la fois l’histoire archéologique de Saint-Denis et l’architecture moderne. En préférant à chaque fois évoquer les personnages plutôt que les grandes théories : Debret et Viollet-le-Duc, architectes de la basilique au XIXe siècle, Patrick Bouchain, l’un des papas de l’étonnant site archéologique de la Fabrique de la Ville – qui ressemble à une immense maison de schtroumpf –, Lucienne Collin, la paysagiste « punk » du parc de la Légion d’honneur…
Le petit groupe est passé du parvis au quartier Bel-Air en trois bonnes heures. À vol d’oiseau, les deux points sont pourtant très peu éloignés. Mais la promenade urbaine imaginée par Jean-Philippe Teyssier se paie le luxe du détour, de la rencontre et de la discussion. Et, dans les jardins derrière la cathédrale, tout le monde a pris le temps de goûter au « Miel béton », la production locale du Parti Poétique.
Une banque de reines
La fin de la balade est d’ailleurs entièrement consacrée aux insectes butineurs. Quartier Bel-Air, c’est en effet sur le toit de la miellerie du Parti qu’on se pose. Ici, le groupe fait la rencontre d’un nouveau personnage : Olivier Darné, le pionnier de l’installation de ruches sur les bâtiments publics en ville. L’un des premiers, il a senti que les abeilles avaient des choses à raconter sur un territoire, sur son évolution et même sur ses habitants. Son boulot, c’est de confronter la vision traditionnelle qu’on a d’une ville avec celle de l’abeille. Olivier Darné est inépuisable sur le sujet : il parle d’insectes pour mieux interroger la politique, l’urbanisme, le fait d’habiter un quelconque territoire.
Mais la mission du Parti poétique est aussi, face à la mortalité des abeilles, de venir en aide aux apiculteurs qui voient fondre leur cheptel. Sa nouvelle « Banque des Reines » est donc une réserve de reines et d’essaims. Ils pourront être distribués gratuitement à partir du printemps prochain. En attendant, quatre nouvelles promenades sont organisées à Saint-Denis ce week-end. Il y a peut-être moins de fleurs en ce début d’automne, mais pour les humains c’est tout de même une sacrée bonne saison pour un butinage.
22 septembre 2014 - Saint-Denis