
En 2024, le marché de la Halle de Meaux comptait parmi les participants au concours lancé par TF1 « Votre plus beau marché ». Correspondant pour la BBC, John Laurenson est allé y prendre une petite leçon de bien manger et de bien vivre sous sa charpente métallique qui se dresse fièrement depuis 150 ans.
Depuis 2024, le journaliste et correspondant pour la BBC John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.
« Chaud, chaud l’artichaut ! », crie le vendeur. À 5 € les trois, c’est même archi-chaud ! Comme tous les samedis matin, il y a de la bonne humeur en plus des bons produits dans cette grande et belle halle. Francine, fringante septuagénaire, rencontrée dans la file d’attente d’un producteur local de champignons, me montre son panier qui s’est déjà rempli un peu. « J’ai de la mâche, de la betterave et des radis que j’ai pris chez mon petit maraîcher que j’aime bien ! », me glisse-t-elle. Ici, elle compte prendre des pleurotes et des champignons de Paris.
« On vient à ce marché quasiment tous les samedis avec ma femme », m’explique Johan, la cinquantaine. Ce matin : « Salades, carottes… mais surtout on était chez les traiteurs. Le libanais, le créole… Les produits sont frais, on rencontre des amis, les commerçants sont sympas… »
Je ne suis pas venu pour faire mes courses, moi ; juste mon reportage. Mais, devant un stand de miels, j’hésite à la vue d’un pot de miel de tilleul. « Le miel liquide est plus parfumé, m’informe l’apiculteur Laurent Simon. Et celui-là a un goût extraordinaire : presque mentholé. » Allez, vendu ! À 8 € le pot de 500 g, je n’aurais pas payé moins dans une grande surface. Je discute un peu avec lui et, je suis heureux de pouvoir vous le dire, nous sommes interrompus à trois reprises par des acheteurs. Tous des habitués.

« Les gens veulent des producteurs locaux »
C’est vrai que l’apiculteur a eu le temps d’en accumuler. Depuis 40 ans qu’il fait ce marché… « J’ai parmi mes habitués des enfants, même des petits-enfants de certains de mes premiers clients », me raconte-t-il. « Il y avait deux fois plus d’exposants à l’époque, mais même aujourd’hui le marché ne se tient pas trop mal. » Lui, c’est un producteur d’ici. Il travaille avec 300 colonies d’abeilles là où les trois départements de Seine-et-Marne, Aisne et Oise se touchent. « Les gens veulent des producteurs locaux », me confie-t-il. « Ceux qui achètent et qui revendent repartent souvent au bout de quelques mois. Quand les clients s’aperçoivent que le vendeur n’est pas le producteur, ils font le tri. »
Le public, d’ailleurs, a bien raison de préférer les producteurs du coin. Y compris pour les prix. Au supermarché, « local » est une valeur ajoutée qui justifie un prix plus fort. Au marché, le local est considéré comme normal et, grâce aussi à l’absence d’intermédiaires et des frais de transport réduits, il est souvent moins cher. C’est un constat qui ne tient pas de moi mais du journaliste Olivier Razemon, auteur d’On n’a que du beau : le marché, ingrédient d’une société heureuse, ouvrage qui sortira en mai. Je l’appelle pour profiter de son expertise pointue et je ne suis pas déçu. « Il y a en France 8 à 12 000 marchés par semaine, m’informe-t-il. Beaucoup plus que dans d’autres pays. Des marchés existent partout dans le monde mais c’est seulement en France qu’on en trouve dans le moindre petit bourg. S’il y a 2 000 habitants, il y a un marché hebdomadaire. Avec en général un café devant où les gens peuvent s’asseoir en terrasse. » Ce qui est le cas ici.
Il y a deux raisons à ce succès des marchés, m’explique Olivier Razemon : une positive, une négative. « La positive, c’est la culture de la table en France. Nous y passons bien plus de temps que d’autres. C’est central dans nos vies. Nos courses en sont le reflet. La négative, c’est la dévitalisation des centres-villes. Les marchés sont devenus la seule possibilité pour y acheter des produits frais », détaille-t-il.

« Ça change des courses dans les grandes surfaces »
Plus loin, je m’arrête pour admirer chez l’un des trois fromagers affineurs les belles roues de brie. Non, décidément, je ne partirai pas sans un fromage fait avec le lait des vaches qui ont brouté l’herbe fraîche de Seine-et-Marne. Je me joins à la queue, et, quelques minutes plus tard, je suis l’heureux propriétaire d’un coulommiers artisanal. Choisi avec précision par le fromager : assez fait pour être goûté avec délectation dès ce soir mais pas trop pour éviter que mes voisins de métro ne changent de place en se posant des questions sur mon hygiène personnelle.
Dans l’allée centrale, je prends des bananes et des noix. Aucune d’elles n’a poussé près des bords de la verte Marne mais j’ai besoin de bananes et de noix, que voulez-vous ? Puis mon œil est attiré par un exposant qui arbore un chapeau de peintre impressionniste qui vient de poser son chevalet dans un champ de bleuets. C’est un marchand de pommes et de poires. Il a tellement de clients que je n’arrive pas à lui parler mais, dans la queue, je lis le doux poème des variétés qu’il propose. Belle de boskoop, rubinette, flamboyante, marie-madeleine… Une vingtaine de variétés de pommes, cinq de poires. On n’a pas ça à Hyper U ! J’y achète un pot de gelée de coing et rencontre, dans l’allée centrale, Élodie, trentenaire. Le marché ? C’est une militante : « Ça change des courses dans les grandes surfaces. C’est un rendez-vous qu’on aime bien. Et puis il faut le soutenir ! Ça fait partie de la vie locale ! Ce serait triste que ça disparaisse. Sans cette sorte de vie, Meaux deviendrait une ville sans intérêt », défend-elle. Elle exagère sans doute, mais c’est vrai qu’il ne tient qu’à nous de faire perdurer cette si jolie habitude de la vie française.
Suivant un tuyau d’Élodie, je m’arrête en quittant le marché au stand de borëk, sorte de galettes turques. J’en prends une à la feta et à la roquette du jardin de la vendeuse. Un repas complet pour 5,50 €. Puis je m’achemine vers la gare avec mes 5 kg et demi de courses en mangeant mon borëk. Ce n’était pas prévu mais je ne regrette rien. Et puis, ce n’était vraiment pas cher tout ça. Bon marché, quoi.
Infos pratiques : marché de la Halle de Meaux, place du Marché, Meaux (77). Ouvert tous les samedis de 8 h à 13 h. Accès : gare de Meaux (ligne P). Plus d’infos sur ville-meaux.fr
Lire aussi : Virée au marché de Versailles, l’un des plus beaux de France
Lire aussi : Virée au marché de Saint-Denis, une cathédrale commerciale
Lire aussi : L’appétit du Grand Paris pour les « halles food »
18 avril 2025 - Meaux