« Demain est annulé » : voilà un titre d’expo qui fait peur ! Doublée en plus du sous-titre « De l’art et des regards sur la sobriété », la nouvelle proposition de la Fondation EDF suscite chez moi un brin d’appréhension. Deux éléments me rassurent : sur l’affiche, « Demain est annulé » est barré (j’apprendrai en arrivant à l’expo que l’inscription est tirée d’une œuvre du street-artiste Rero). Logiquement l’espoir devrait pointer le bout de son nez ! Quant à la dernière expo de la Fondation – « Faut-il voyager pour être heureux ? » en 2023 –, elle s’était révélée aussi érudite qu’émouvante. D’ailleurs, je ne suis pas seule à le penser : elle avait attiré quelque 92 000 visiteurs.
Incendie au château de la Belle au bois dormant
À l’entrée, première surprise : je tombe nez à nez avec un centre de loisirs d’école maternelle. « Le propos doit donc être compréhensible par tous », me dis-je. Bingo : l’œuvre qui occupe tout le hall d’entrée – Zen Garden de Bianca Argimón – est tout à la fois dérangeante et accessible immédiatement. Elle représente un jardin japonais typique. Mais en lieu et place des bonsaïs, des hommes en costume de traders ont la tête enfoncée dans le sable, telles des autruches qui ne veulent pas voir. Tout le rez-de-chaussée est ainsi consacré au constat de l’impasse dans laquelle le monde se trouve face à l’urgence écologique. Comme dans la dernière exposition de la Fondation EDF, les explications de chercheurs – le commissariat de l’exposition est collectif – éclairent le propos artistique des films, installations et photos. Je plonge ainsi dans les paroles de Yamina Saheb. Cette experte du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) explique admirablement bien que la sobriété des pays riches constitue un véritable espoir pour les pays du Sud. Elle démontre également comment la solidarité est nécessaire au rééquilibrage du monde, entre politiques publiques, respect des plus vulnérables et habitudes du quotidien.
Au deuxième étage, je me réjouis de nouveau d’écouter une courte interview filmée de l’un des commissaires de l’exposition. Cette fois, c’est le philosophe Dominique Bourg qui vulgarise la notion de spiritualité, loin de la dimension religieuse. Si aujourd’hui notre modèle spirituel occidental consiste à accumuler les richesses au risque de détruire la nature, j’apprends que « nous n’échapperons pas à la redéfinition d’un nouveau mode d’accomplissement de soi, dans une reconnexion à la nature ». Je bois les paroles du philosophe quand j’aperçois une œuvre en faïence cuite : le célèbre château de la Belle aux bois dormant, très coloré mais… en flammes. Intitulée Happy Ending, l’œuvre volontairement kitsch de Jordan Roger ne manque pas de souligner les liens entre l’empire Disney, la société de consommation et les idées rétrogrades qui ont pu animer la firme. Un château que les enfants du centre de loisirs aperçus dans l’entrée saluent tous d’un joyeux « au revoir ! » en quittant l’étage. Feraient-ils partie de l’installation ? Le moment est cocasse.
Rencontre avec des collégiens mi-plantes mi-hommes
Je découvre ensuite plusieurs œuvres prônant la reconnexion à la nature dont parlait Dominique Bourg : me voilà bercée par la vidéo d’une femme qui se recouvre de henné pour soigner ses maux, happée par d’élégantes peintures de femmes-racines et un rien dérangée par une œuvre de science-fiction mettant en scène des collégiens se transformant en être hybrides mi-plantes/mi-humains. Enfin, je découvre une tapisserie sensitive qui s’allume quand on l’effleure. L’idée : « L’homme est fondamentalement un être technique », explique ici l’historien François Jarrige : selon ce dernier, nous pourrions, si nous le voulions, nous servir de cette technique pour accéder à la sobriété et donc à la défense de la nature.
Enfin, au sous-sol, je me retrouve sans filet (scientifique) face à des œuvres futuristes plutôt étranges. Sortes d’allégories d’un futur à construire collectivement, elles terminent poétiquement cette visite. Parmi elles, une installation assez ludique où on se voit soi-même devenir grain de sable, signée de l’artiste pantinoise Jisoo Yoo, une réflexion autour de notre propre place dans l’univers. Comme les bambins du centre de loisirs, je repars avec la furieuse envie de faire mes adieux au monde d’avant pour ouvrir les bras à un futur meilleur, basé sur le collectif. Une chose est certaine : art et sciences font bon ménage dans cette expo. Et ce monde-là, il me plaît.
Infos pratiques : Exposition « Demain est annulé » à la Fondation groupe EDF, 6, rue Juliette Récamier, Paris (7e). Entrée gratuite sur réservation de 12 h à 19 h, du mardi au dimanche, nocturne le jeudi jusqu’à 22 h. Accès : métro Sèvres-Babylone (lignes 10 et 12). Plus d’infos sur fondation.edf.com
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21 février 2024 - Paris